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Haaretz, 19 mars 2004

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Malgre la brièveté de son discours devant la Knesset, Sharon a quand même
exprimé l’idée que son initiative était destinée à combler un vide diplomatique. Selon lui, si le statu quo dans les relations israélo-palestiniennes demeure en l’état, des idées extrêmement désagréables (pour Israël) pourraient être émises pour sortir de l’impasse, et pourraient exercer une pression pas franchement désirée. Pour éviter cette éventualité, il propose le plan de désengagement.

Tout en disant cela, Sharon ressentait déjà une pression américaine inconnue
auparavant : l’administration Bush ne se précipite pas pour adopter le plan
Sharon, et souhaite voir d’importants changements, qui pourraient aller à l’encontre de ses objectifs initiaux. D’une situation où il régnait une excellente entente entre Washington et Israël au sujet du conflit israélo-palestinien, l’administration américaine faisant son possible pour le garder dans les tiroirs, Sharon en est arrivé à un point ou lui-même a placé la patate chaude au centre du debat, et s’est exposé à de nouvelles exigences americaines. La manière pour le moins tiède dont le plan a été accueilli aux Etats-Unis indique que, pour l’instant du moins, les calculs de Sharon n’ont pas donné les resultats escomptés.

L’espoir que l’administration americaine accepte de reconnaître le droit d’Israël à consolider certains blocs de colonies en Cisjordanie, en échange d’un retrait de Gaza, semble irréaliste, comme l’attestent certains officiels de haut rang qui ont pu prendre le pouls de Washington. En outre, l’idee d’effectuer ce retrait de façon unilatérale semble de moins en moins appliquable. Et, pour couronner le tout, l’establishment militaire a conclu cette semaine qu’une évacuation totale de la bande de Gaza n’était pas possible : Israel devra y conserver certains liens, et peut-être y maintenir une présence, au moins sur ses confins.

La dernière version du plan Sharon parle de « désengagement relatif », ce qui
signifie le retrait de l’armée et l’évacuation de toutes les colonies de la bande de Gaza, mais un maintien de mécanismes de controle par Israël sur certaines parties. Par exemple, Israël continuerait à superviser les entrées et les sorties, par air, mer et terre ; il patrouillerait le long du couloir Philadelphie, et contrôlerait les mouvements des biens, des personnes et des capitaux entrant et sortant de la bande de Gaza.

En d’autres termes, d’après l’establishment militaire, même si Israël souhaite se dégager de Gaza, il ne peut renoncer à ses obligations, qui découlent de son statut de puissance occupante depuis 37 ans. On a aussi conscience qu’un canal de dialogue avec l’Autorité palestinienne devra être créé pour coordonner le retrait de Gaza sur le plan pratique. En conséquence, deux éléments centraux de l’initiative de Sharon sont déjà mis à mal : le principe de l’unilatéralisme, et celui d’une séparation totale de Gaza. Et l’un de ses objectifs majeurs (se procurer plusieurs années de calme qui permettraient à Israël de fortifier sa présence sur une partie de la Cisjordanie) est en train d’être manqué.

Les difficultés que rencontre Sharon dans la mise en oeuvre de son plan (qui en lui-même constitue un geste spectaculaire qui pourrait provoquer un changement majeur dans les relatons israélo-palestiniennes comme dans le paysage politique israélien) affectent son caractère et son étendue. Cette semaine, on pariait plutôt sur un retrait de Gaza (avec toutes les caracteristiques mentionnées ci-dessus) et, pour bonus, sur un demantèlement de trois ou quatre colonies de Cisjordanie. Le piège est que, dans ces conditions, Sharon aura du mal à obtenir en retour ce qu’il désire des Américains : une declaration présidentielle qui accorde une légitimité à des ajustements de frontières qui prendraient en considération les besoins de sécurité d’Israël, ce qui impliquerait 1) l’acceptation de la consolidation des blocs de colonies en Cisjordanie, 2) la reconnaissance du droit d’Israël d’utiliser tous les moyens pour se défendre en cas de continuation du
terrorisme venu de Gaza, et 3) l’acceptation par la communauté internationale d’une situation provisoire qui résulterait du retrait, jusqu’à ce qu’émerge un leadership palestinien avec lequel un véritable dialogue peut être mené.

Dans ces conditions, Sharon pourrait être confronté à une situation où même le soutien de Shimon Peres à son plan ne serait pas acquis. Peres a le sentiment que Sharon est en retrait par rapport à l’option d’une combinaison retrait de Gaza/ retrait important de Cisjordanie. Cette semaine, Peres a parlé de la « segmentation de la terre » (bitour haaretz), le concept de Sharon, au lieu du « partage de la terre » (haloukat haaretz), concept traditionnel des travaillistes, et déclaré que la différence entre les travaillistes et le Likoud résidait dans l’etendue du retrait de Cisjordanie : Sharon veut conserver d’importantes portions entre les mains d’Israël, alors que Peres ne recommande que des modifications de frontières mineures. Les débats au sein de l’establishment militaire semblent confirmer son
analyse : on y conclut qu’une séparation d’Israël de la Cisjordanie, si celle-ci est proposée, serait mission impossible compte tenu des liens mutuels créés entre les deux peuples depuis 1967.

A ce propos, Peres raconte une petite histoire : lors d’une récente visite à Hong Kong, il a constaté que les 7 millions d’habitants de l’île vivent sur une surface de 1000 km2, et que le revenu par habitant dépasse les 30.000 $/an. Les autorités ont asséché une bande de terre pour y construire un gigantesque aéroport, pour un coût total de 9 milliards de $. « A l’heure actuelle », remarque Peres, « nous avons englouti en Cisjordanie 60 milliards de $. Avec cet argent, nous aurions pu assécher en Méditerranee une surface équivalente à sept fois celle de la Cisjordanie, et l’annexer ».