À en juger par les récents développements, ce texte ne semble guère d’actualité. Même si le Premier ministre a battu en retraite sur le vote d’une loi d’exception visant à empêcher l’évacuation d’Oulpana et Migron [1], les nouvelles constructions promises en échange font payer au décuple cette apparente marche arrière.

Le retour aux frontières de 1967 moyennant aménagements réciproques et, a fortiori, celui des colons à la maison, ne sont donc pas à l’ordre du jour – et nous ne faisons que nous éloigner d’un accord de paix sur la base de “2 Peuples 2 États”. Ces propositions, pourtant n’ont rien d’utopique. Il est plus urgent que jamais d’ouvrir des voies permettant de sortir par le haut du piège qui nous enferme tous, Palestiniens et Israéliens réunis.

C’est ce que fait ici Gershon Baskin qui, non content d’offrir une porte de sortie honorable à l’ensemble des colons indépendamment de leurs options, cherche une solution aux discriminations subies par les minorités nationales – les Arabes israéliens en proie à l’acculturation, certes, mais aussi les groupes ethniques en quête de refuge ou de travail en Israël [2] … et ailleurs dans le monde.


Il existe trois façons de résoudre la question des colons dans le cadre d’authentiques accords de paix avec les Palestiniens.

Première option : les colons qui le souhaitent pourront être rapatriés au sein de l’État d’Israël proprement dit – à l’intérieur des frontières délimitées par la Ligne verte [3].

Deuxième option : les colons désireux de rester en Judée et Samarie, plutôt que de retourner à l’intérieur des frontières délimitées par la Ligne verte, pourront demeurer – ou se réinstaller – dans les zones annexées par l’État d’Israël en accord avec les Palestiniens.

Troisième option : les colons souhaitant rester dans leurs implantations, si celles-ci ne sont pas annexées par l’État d’Israël, pourront demeurer au sein de l’État palestinien, sous souveraineté et juridiction palestinienne, et obtenir la nationalité palestinienne.

Ceux qui se prononcent pour la première option auront droit à de complètes et généreuses indemnités compensatoires afin de pouvoir se réinstaller dans le lieu de leur choix au sein de l’État d’Israël. Tirant les leçons du désengagement de la bande de Gaza, l’État d’Israël ne se chargerait pas de leur relogement – il s’en occupe mal. Les indemnités seraient très larges, mais indexées sur la longueur du délai : plus vous attendez, moins vous obtiendrez. Sitôt les contrats d’indemnisation signés, une date de départ devrait être fixée et les clefs remises à l’administration.

Ceux qui retiennent la deuxième option et souhaitent rester en Judée ou en Samarie, mais sous souveraineté israélienne, pourront le faire dans les zones dévolues à l’annexion. Les évaluations réalistes de ce qui constituerait un compromis raisonnable se situent toutes aux environs de 4 à 5% du territoire de la Cisjordanie. 75 à 80% des colons pourraient ainsi demeurer là où ils sont.

Des colons résidant hors des zones annexées pourraient décider d’y emménager, restant ainsi en Judée ou en Samarie. Ils percevront une compensation généreuse en échange des maisons qu’ils quittent, afin de leur permettre d’acquérir l’équivalent dans l’une des implantations annexées.

Quant à ceux pour lesquels demeurer en Judée ou en Samarie importe plus que de vivre sous souveraineté israélienne, il devrait leur être permis de rester là où ils se trouvent (à condition que leurs maisons ne soient pas construites sur des terrains privés). S’ils font ce choix, il leur faudra admettre de devenir citoyens de l’État palestinien. Ils auront à accepter de vivre sous souveraineté et juridiction palestinienne.

Il devrait leur être possible de jouir de la double nationalité, restant ainsi également citoyens de l’État d’Israël. Il faut s’attendre à ce que l’État palestinien ne les autorise pas à porter les armes, et prenne directement leur sécurité en charge. Même si le nombre de ceux qui sont susceptibles de choisir cette option paraît très réduit, si j’étais l’un des négociateurs j’insisterais pour que les Palestiniens acceptent le principe de la présence d’une minorité juive au sein de leur État.

J’ai donné la semaine dernière une conférence dans une école de préparation militaire, à Aderet. L’un des élèves m’a demandé si je reconnaissais les droits du peuple juif sur la totalité de la terre d’Israël. J’ai répondu que oui. Je comprends bien que feuilleter l’Ancien Testament revient à parcourir les monts de Judée et Samarie. Le berceau de notre culture ne se trouve pas sur les plages de Tel-Aviv, mais sur les collines mêmes dont les prophètes ont foulé le sol et qui ont été colonisées au fil des ans depuis 1967.

J’ai également dit qu’en suivant cette même logique il serait facile de parler des frontières promises par la Bible, dont le tracé court jusqu’en Iraq – mais que nous ne le faisons pas. Il y a une différence entre avoir des droits et les exercer. Nous avons également le droit et le devoir d’assurer l’existence de nos concitoyens, ce qui exige de faire des compromis avec nos voisins sur les frontières. Nous ne serons pas en mesure d’exercer notre droit juif à la terre sur sa totalité. Nous aurons à faire des compromis.

Lors de la naissance d’Israël, en 1949, nous nous sommes retrouvés avec une population palestinienne de quelque 156 000 individus. Ils représentaient alors environ 12 % de la population. Ils sont aujourd’hui plus d’un million, soit près de 20 % de la population. Ils n’ont pas choisi d’être israéliens. L’État d’Israël leur a accordé la citoyenneté tout en leur imposant jusqu’en 1966 un régime de loi martiale. L’égalité des droits leur a certes été reconnue à titre individuel, mais ils se sont vus, à titre collectif, largement soumis à discrimination depuis la naissance de l’État. Leur situation et leur statut sont bien meilleurs qu’il y a quelques dizaines d’années et nous voyons des signes de progrès constants, mais d’autres, inquiétants, indiquent que le fossé se creuse autant qu’il se comble.

Israël ne reconnait pas à ses citoyens palestiniens le statut de minorité nationale, et ne s’intéresse pas à la question de leurs droits collectifs, hormis leur droit de vivre dans des localités séparées et d’étudier en langue arabe au sein d’écoles qui leur sont réservées. Leur cursus est soumis au contrôle de l’État et on leur demande de suivre un tronc commun d’enseignement, y compris en histoire (celle d’Israël et du peuple juif), instruction civique, hébreu, Bible, etc. Ils n’étudient rien qui concerne leur histoire propre et très peu d’éléments portant sur la culture et la littérature palestiniennes.

La demande faite aux Palestiniens d’autoriser l’existence d’une minorité judéo-israélienne au sein de l’État palestinien nous mettra tous au défi de composer avec ce que signifient les droits collectifs d’une minorité nationale. L’État de Palestine devrait demander à tous ses citoyens d’étudier son histoire, sa langue, sa culture, etc., parallèlement aux sujets et contenus qui relèvent spécifiquement de la minorité nationale.

Au cours d’une conversation avec le Premier ministre palestinien Salam Fayyad à ce sujet, où il disait n’être pas opposé à l’idée de la présence de Juifs au sein de l’État palestinien, je l’ai encouragé à annoncer que l’État de Palestine traiterait sa minorité juive exactement comme Israël traite sa propre minorité.

Je persiste à penser que c’est là une bonne formule, qui devrait tous nous pousser à prêter attention, dans l’intérêt des futurs citoyens juifs de l’État de Palestine, au concept des droits collectifs des minorités nationales dans son ensemble.

La mise au point de ce concept pourrait constituer une démarche pionnière, à l’heure où presque toutes les nations du monde sont confrontées aux problèmes posés par des minorités en grand nombre.


NOTES

[1] Sur ce sujet, on peut, sur ce sujet, se reporter sur notre site aux récents articles de :

• Dror Etkes, “Le pays de la Loi au bois dormant” (mis en ligne le 2 juin 2012 )

[->http://www.lapaixmaintenant.org/Le-pays-de-la-Loi-au-bois-dormant]

• Shaul Ariéli, “Construire contre l’espoir – Netanyahu enfoncé jusqu’au cou dans les colonies” (mis en ligne le 25 mai 2012)

[->http://www.lapaixmaintenant.org/Construire-contre-l-espoir]

•Ilan Rozenkier, “Oulpana, attention danger” (mis en ligne le 14 mai 2012)

[->http://www.lapaixmaintenant.org/Oulpana-attention-danger…!]

[2] Pour en savoir plus sur les violences anti-immigrés survenues à Tel-Aviv, on peut retrouver sur notre site l’article d’Ilan Rozenkier : “Shalom Akhshav et les récents dérapages racistes dans le sud de Tel-Aviv” (mis en ligne le 29 mai 2012)

[->http://www.lapaixmaintenant.org/Shalom-Akhshav-et-les-recents]

[3] La Ligne verte délimite les frontières de l’État d’Israël telles qu’elles existaient à la veille de la guerre des Six Jours.