Haaretz, 26 janvier 2002

Article de Zeev Schiff, spécialiste respecté des questions militaires et stratégiques au quotidien Haaretz, et très proche de l’establishment militaire.

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Pourquoi Ariel Sharon n’a-t-il pas jusqu’ici tenu sa promesse solennelle, prise après l’arraisonnement du bateau « Karine A », d’organiser au sein du gouvernement un débat stratégique?

Il est possible que la raison en soit qu’à part la volonté de chasser Arafat, Sharon n’ait aucun autre plan stratégique pour sortir Israël de sa situation actuelle. Il est possible aussi que Sharon ait un plan, mais qu’il soit obligé de garder ses cartes par devers lui, de crainte de provoquer un conflit avec ses alliés travaillistes, et de mettre ainsi en danger sa coalition gouvernementale. En revanche, révéler un plan trop tôt risquerait de le mener au conflit avec le bloc des droites, et avec Netanyahou qui lorgne sur son poste. C’est d’ailleurs le Parti travailliste qui devrait montrer de l’intérêt pour un tel débat de stratégie, et le plus tôt possible, afin de ne pas se laisser entraîner par la situation sur le plan militaire. Et il est par ailleurs certain que le ministre de la Défense, Benjamin Ben-Eliezer, a déjà entrepris au sein de Tsahal un débat stratégique, probablement à un stade avancé.

Un débat stratégique est nécessaire, parce que la perpétuation du statu quo est au désavantage d’Israël, à cause des dangers d’extension du conflit qu’il implique. Ce statu quo convient à Arafat, et aussi probablement aux colons les plus extrémistes. Ceux qui se méfient de Sharon disent que son objectif est de provoquer la destitution d’Arafat, et de créer une situation telle qu’il n’y ait plus personne à qui parler à l’intérieur de la direction palestinienne, et que ceux qui seraient prêts au dialogue soient dans l’incapacité de remplir leurs engagements.

En Israel, le doute existe quant à la question de savoir si Arafat est bien le dirigeant qui désire aboutir à un accord de paix avec les Israéliens, un accord avec lequel ils puissent vivre et exister en tant qu’Etat juif. En face d’Arafat, le temps de Sharon en tant que Premier ministre est compté. Il dispose au maximum de deux ans jusqu’aux prochaines élections. Et pour aller jusqu’au bout de son mandat, il a besoin d’un réel partenariat avec le Parti travailliste à l’intérieur de la coalition. S’il ne l’associe pas dans une recherche d’un objectif politique cohérent avec les actions militaires d’aujourd’hui, Sharon risque de passer a la posterité comme le commandant de l’Unité 101[[Unite 101 : commando d’élite spécialisé, dans les annees 50, dans les actions en territoire ennemi.]], et comme celui qui a conduit la guerre du Liban.

Certains caressent l’idee que cet objectif politique se traduira par la chute d’Arafat, parce que ce dernier serait celui qui rend impossible une réconciliation entre les deux peuples. D’autres ajoutent que ce fameux objectif ne sera atteint qu’avec les successeurs d’Arafat, et qu’il ne convient de proposer un compromis territorial qu’à eux seuls. Les successeurs d’Arafat seront peut-être moins rusés que lui, et peut-être n’obtiendront-ils pas auprès de la communauté internationale de légitimité en tant que représentants du peuple palestinien. Mais en revanche, il est fort possible qu’ils soient plus extrémistes dans leurs positions, ou qu’ils soient obligés de l’être pour asseoir leur légitimité nationale. Au cours de l’histoire du Moyen-Orient, on a vu des dirigeants succéder à des leaders nationalistes et charismatiques. Certains ont même signé d’importants accords avec Israël. Mais Sadate, par exemple, qui a succédé à un leader comme Nasser, a eu besoin d’une guerre pour se tourner ensuite vers la paix.

En tout état de cause, il est parfaitement vain d’attendre que de l’autre côté pointe une génération plus ouverte à la paix avec Israël. Il est tout aussi vain de repousser les décisions en attendant que les affrontements cessent. Compter aujourd’hui sur un succès sur le champ de bataille revient à maintenir Israël dans sa situation actuelle, celle d’une demi-occupation. Ce qu’il faut, c’est faire évoluer la guerre contre le terrorisme palestinien vers une situation telle, que celui qui en prend l’initiative ne puisse pas bénéficier de résultat tangible. Sinon, à chaque désaccord avec Israël, la violence reviendra.

Parce qu’un accord de paix global, incluant la fin du conflit, n’est pas possible aujourd’hui, il faut avoir en vue un objectif politique consistant en un large accord de transition, sincère, et qui satisfasse les deux parties sans les mettre en danger.