«Selon Tzipi Hotovely*, sa mission en tant que ministre adjointe aux Affaires étrangères consiste à dire aux diplomates ce que ses amis du Likoud et du Conseil de Judée-Samarie veulent entendre», écrit ici Aviad Kleinberg. Et ce qu’ils veulent entendre au sein de ce cabinet ultra-nationaliste et prêt aux plus surprenantes dérives est, entre autres perles, ceci: «Si nous disposons d’un verset biblique, nul besoin de ligne politique.»

Battant au fond de sa tombe le rappel de ce malheureux Rachi [Troyes, 1040-1105], ces propos d’une responsable du ministère des Affaires étrangères ont dû en laisser plus d’un bouche-bée au sein des chancelleries occidentales.

Mais ont les théocraties ailleurs ont le vent le poupe. La métaphysique armée de Tzipi Hotovely pourrait être mieux entendue en ces lieux où le glaive domine le verbe… sans espoir d’y provoquer autre chose qu’une autre confrontation de parole à hadith par le feu et la poudre. [TA]


Sitôt informée de la nomination de Dor Gold au poste de directeur général du ministère des Affaires étrangères, la ministre adjointe aux Affaires étrangères Tzipi Hotovely a tweeté: «Je suis heureuse de sa nomination et la salue.» Mais au lieu d’user du terme hébreu pour «sa nomination» – “minuyo”, elle a écrit par erreur “mino” – son “genre » [masculin en l’occurence].

Il y a quelque chose d’amusant à ce lapsus du clavier. Hotovely se félicite du genre de Gold et lui fait bon accueil. Absolument. Le fait qu’il soit un homme ne devrait pas empêcher [le nouveau venu] de vider sa [propre] mission de contenu – et ne le fera pas.

Mais cela n’en empêchera pas non plus Hotovely elle-même, et pas seulement Gold et le Premier ministre Benyamin Netanyahu. En théorie, la ministre est censée s’intéresser aux relations étrangères – en d’autres termes à nos rapports avec les nations du monde. En fait, la seule chose qui l’intéresse, c’est la politique intérieure. Son rôle, en tant que ministre adjointe aux Affaires étrangères, est de dire aux diplomates ce que ses amis du comité central du Likoud et du Conseil de Judée-Samarie veulent entendre.

Et elle l’a fait en une salve lors de son entrée au ministère des Affaires étrangères: «Il est temps de dire au monde que nous ne sommes pas seulement intelligents, mais justes… Nous devons revenir à la vérité élémentaire de nos droits sur cette terre. Notre terre. Nôtre en totalité. Nous ne sommes pas là pour nous en excuser.» Là encore, sa langue a probablement fourché: la locution «pas seulement» est superflue. Nous ne sommes pas intelligents mais justes, et au diable ce qu’en pensent les autres.

Non qu’Hotovely et ses amis ne se croient pas intelligents. Ils le sont remarquablement à leurs propres yeux (ont-ils ou non battu “la gauche”?) Quand vous vous savez dans votre droit, vous vous moquez de ce qu’en pense le reste du monde. Alors les vannes, ça suffit. Nous devrions, pense la ministre adjointe, dire les choses telles qu’elles sont: l’occupation continuera, la colonisation continuera, il n’y aura pas deux États, il n’y aura aucun accord avec les Palestiniens leur donnant un droit quelconque à un État. Ça ne vous plaît pas? C’est votre problème. À vous de l’intégrer. Car Israël, comme on sait, n’a pas besoin de politique étrangère. Le pays à une ligne politique à usage interne, et une ligne diplomatique officielle.

Il est vrai que personne de par le monde ne partage les vues de la ministre adjointe aux Affaires étrangères et de ses amis du conseil de Judée-Samarie, mais tel est la bonne approche, tout au moins aux yeux de la ministre adjointe Hotovely, du directeur général du ministère des Affaires étrangères Gold et de leurs amis. Si besoin est, ils expliqueront aux non-Juifs étonnés nos droits sur la totalité de cette terre au nom de la promesse divine.

Oubliez les explications en termes de sécurité, a proposé Hotovely. La promesse divine est la seule explication qui les convainque, elle et ses amis. Ça ne convainc personne d’autre? Cela pourrait être difficile? Nous pourrions avoir à payer le prix de l’isolement international, parce qu’il nous sera difficile de trouver des appuis dans le monde? Peu importe. À cela aussi Hotovely a une réponse. Balaam n’a-t-il pas prophétisé: «Voici un peuple qui demeurera solitaire; il ne sera pas compté parmi les nations» [Nombres 23.9, traduction André Chouraqui]? Il l’a dit.

Et si nous disposons d’un verset biblique, nul besoin de ligne politique, nul besoin de tenir compte des pertes et des profits, nul besoin d’évaluer combien il nous en coûtera de préserver notre orgueil national et l’irrépressible envie de poursuivre l’occupation, de concrétiser, tout de suite, la vision de la fin des temps, avec ou sans messie. En bref, nous n’avons pas à nous montrer «intelligents» et ne le serons pas.

Ce n’est pas que les principes soient sans importance; ils en ont. Ce n’est pas que les rêves de puissance territoriale soient forcément indécents; c’est bon de rêver. C’est juste que la politique traite, ou du moins est supposée traiter avec le possible – ce qui peut être accompli dans les conditions existantes. Et avec tout le respect dû aux rêves de grandeur et de justice absolue de la ministre adjointe, la réalité dit que nous avons un problème – démographique, diplomatique et même moral.

La mission du ministère des Affaires étrangères est de faire attention à la perception des autres concernant la réalité et la justice, et d’aider le gouvernement à trouver des solutions diplomatiques opérationnelles. Mais il n’y a plus de ministère des Affaires étrangères. Il y a un ministère chargé d’expliquer la promesse divine faite au peuple d’Israël.

Un ancien vœu chinois dit: «Puissiez-vous vivre en des temps intéressants.» Cela promet d’être intéressant.

Note

* Rappelons que le Premier ministre a conservé le portefeuille des Affaires étrangères ce qui place au quotidien la nouvelle et impétueuse ministre adjointe en première ligne sur le terrain. Agée de trente-six ans et née à Rehovoth de parents venus de Géorgie, Tzipi Hotovely se trouve donc de facto propulsée au cœur du dispositif.