Deux membres parmi les plus éminents du mouvement pour la paix israélien,
les écrivains Amos Oz et David Grossman, se réunissent pour une conversation
sérieuse sur l’état de la nation et l’état de la gauche en particulier. En dépit de différences dans les nuances, ils voteront pour le meme parti.


La route d’Arad a egalement changé. Dans la commune bédouine de Lakiya,
de grandes maisons ont remplacé les baraques en tôle galvanisée ;à Hora, il
y a beaucoup de chantiers ; et à Kseifa, on voit des minarets de mosquées. Au
sud de Shoket Junction, les collines désertiques l’hiver sont parsemées d’innombrables bâtiments nouveaux qui jaillissent d’un sol dur et aride dans
le grand vide administratif au sud de Beer Sheva et dans la réalite anarchique et tumultueuse entre le Mont Hebron et Gaza. De chaque côté de la piste asphaltée et sinueuse, des installations de fortune pour laver les voitures, des centres commerciaux bâtis à la hâte, et d’énormes panneaux électoraux invitant a voter pour Dahamshe et Tibi (leaders politiques arabes, ndt). C’est une sorte de zone crépusculaire.

Amos Oz reçoit ses invités vêtu d’un pull-over bien chaud, avec une accolade
et un regard chaleureux. Il est beaucoup plus libre depuis qu’il a conclu le
chapitre concernant ses parents dans son avant-dernier livre. Depuis qu’il a
terminé ce chef-doeuvre, « Une Histoire d’Amour et de Ténèbres », il est détendu, lucide, vif, débordant. De son côté David Grossman baisse la tête comme un enfant prodige devant son rabbin. Poliment, avec retenue et respect, il accepte l’autorité naturelle du maitre, du guide, de l’aîné de la tribu. Pas mal de temps se passe avant qu’il se détende et qu’il commence à se sentir à l’aise.

Il y a un peu plus de six mois les deux écrivains eurent un petit differend. Oz estimait correct de boycotter Jose Saramago, l’ecrivain portugais antisémite prix Nobel de litterature, mais Grossman n’était pas d’accord.
C’est comme cela que cela se passe en general entre eux : Oz est plus au centre, plus digne, et bien plus critique de l’Europe et de la gauche. Mais, en fin de compte, plus la conversation dure plus il est clair que la différence qui les separe n’est pas grande. Tous deux votent pour Meretz, tous deux rejettent le droit au retour pour les réfugiés palestiniens, tous deux sont partisans de la proposition cadre de Clinton pour une solution. Tous deux admettent que la gauche a commis des erreurs mais ils insistent sur la justice de sa cause. Oz est partisan d’un retrait unilatéral, Grossman est plus proche des efforts diplomatiques de l’inlassable Yossi Beilin. Oz ne perdra pas son optimisme fondamental, Grossman se permet d’êrtre plus pessimiste. Oz a le style agressif et lapidaire de
l’écrivain-homme d’Etat, Grossman et plus hésitant et plus personnel. La logique et l’éloquence d’Oz sont impeccables ; chez Grossman, les contradictions mêmes sont captivantes.

Ont-ils fait un sérieux inventaire spirituel ? Dans son dernier livre qui réunit une serie d’articles sur les affaires courantes, Oz tache de formuler une conception pacifique et bien ordonnée pour la periode qui suivra le « Big Bang ». Il essaie de créer les fondements d’un projet de fin d’occupation qui pourrait être pertinent même quand il n’y a pas de fin a l’occupation. Cependant il est clair que lui et son invité ne se sont toujours pas remis. Ils sont tous deux encore en proie à un vertige, comme errant dans des ruines. Chacun a sa manière essaie de faire face à une vie ou l’espoir est perdu, une vie à l’âge de la terreur.

Le retour du destin des Juifs

Ma première question est simple : Qu’est-ce qui fait le plus peur et y a-t-il de l’espoir ?

Oz : « La bonne nouvelle, c’est que pour la première fois depuis 90 ans de
conflit, tout le monde sait quelle sera la solution. La mauvaise nouvelle, c’était quand les Palestiniens étaient incapables de prononcer le mot « Israël » et que les Juifs ne pouvaient dire le mot « Palestiniens ». Aujourd’hui les Juifs savent que les Palestiniens ne vont pas disparaître et les Palestiniens savent que les Juifs ne vont pas disparaître. Le fantasme de la disparition de l’autre a lui-même disparu. Et tout le monde sait exactement quelle sera cette solution. Nous connaissons meme le tracé des lignes de demarcation. »

Si les choses vont si bien, pourquoi vont-elles si mal ?

Oz : « Parce que le patient est plus ou moins prêt à l’opération mais les chirurgiens sont des lâches. Je ne me souviens pas d’un moment où les dirigeants des deux nations soient tombés aussi bas. S’il y avait maintenant des dirigeants capables de dire « Faisons ce que tout le monde sait qui doit être fait », le tout finirait en quelques mois. Tout le monde sait que la majorité des colonies devront disparaître, que quelques blocs vont rester en échange de quelques lots, et qu’il n’y aura pas de droit de retour généralisé. Par consequent qu’attendent-ils ? Qu’attendent-ils ?

La calamité, et je pèse mes mots, c’est la lâcheté personnelle des groupes dirigeants. Et aussi des deux personnages principaux. Je les appelle Sharafat. Et à leur propos on peut vraiment dire qu’ils se sont trouvés l’un l’autre. Parce que je les soupçonne tous les deux de préférer cette réalité-ci à celle qui suivrait une solution. Ni l’un ni l’autre ne savent comment vivre le matin après le jour de la solution. C’est aussi la raison pour laquelle la solution n’a aucun attrait pour eux. Ce qui pour vous, et pour toi et pour moi apparaît comme une aube nouvelle est un crépuscule pour eux. »

David Grossman, êtes-vous d’accord ? Ce que nous venons d’entendre semble
assez optimiste. Le probleme se réduirait à Sharon et Arafat.

Grossman : « Je suis d’accord pour dire que ce que voyons ici, c’est la lâcheté personnelle de deux individus dont la réputation est fondée sur la bravoure, la capacité de faire face au danger. Je conviens aussi qu’il est possible que la solution soit proche. A la fois parce que nous la connaissons et aussi parce que les Américains en ont assez, le monde en a assez, et il se peut qu’ils nous imposent une solution. Mais je suis plus pessimiste qu’Amos. Je crains que même lorsque nous parviendrons a une paix, ce ne soit pas une paix souriante et éternelle. Ce sera une serie de spasmes, des périodes de paix suivies de violations, et ensuite une autre période de paix. Jusquà ce que, peut-être, nous atteignions une sorte de stabilité, mais ce n’est pas pour notre génération. Pas du vivant de ceux qui sont présents dans cette pièce.

Vous avez demandé ce qui faisait le plus peur. Ce qui me fait le plus peur c’est de ne plus être sûr de l’existence d’Israël. Il y avait toujours ce doute. Je pense que quiconque vit ici, vit également l’alternative où Israël cessera d’être. C’est notre cauchemar. Au cours des années nous avons stabilisé le cauchemar, nous l’avons colmaté, nous l’avons chaulé. Ce qui s’est passé ici ces deux dernières années, c’est que tout à coup la possibilité qu’Israël cesse d’exister est devenue réelle. Ce n’est plus une sorte d’hallucination. Ce n’est plus un cauchemar. Il est possible que la grande expérience héroïque qui a eu lieu cesse d’être. Cela me fait très peur. »

Donnez-nous un exemple, s1il vous plaît : quand avez-vous été pris de cette peur existentielle ces deux dernières années ?

Grossman : « Plusieurs fois. Je pense que dans cette tempête de violence, nous avons assisté à la désintegration d’une certaine couche de culture, celle qui rend possible les illusions nécessaires au maintien d’une structure de vie plus ou moins supportable. Regardez ce qui s’est passé à la commission électorale centrale ou aux primaires du Likoud. Soudain vous voyez qu’il n’y a plus aucun sentiment de honte ; que même les mécanismes d’hypocrisie sociale qui sont nécessaires au tissu social, ont disparu. Et d’une certaine manière tout cela est lié à la vie sous la menace du terrorisme. Parce que si vous vivez dans une réalité où vous voyez des gens déchiquetés, où vous voyez la chair vivante déchiquetée, il devient très difficile de continuer à croire en quelque chose. Et alors on voit comment tous les mécanismes se désinègrent : aussi bien dans la vie privée que publique. Et l’on en vient à la conclusion que pour maintenir la culture, et en particulier pour maintenir la démocratie, il faut un certain type d’illusion, qui implique un contrat social fondé sur beaucoup de bonne volonté. Et c’est cela qui a été sapé ici. Tout simplement sapé. Quand j’entends que des amis envoient leurs enfants à l’étranger, quand des gens disent « Formidable, votre fils est en Inde, très bien, qu’il y reste » quelque chose se passe qui jette un grand doute sur tout ce pour quoi nous sommes venus ici. Nous sommes venus ici, justement, pour ne pas avoir à envoyer nos enfants à l’étranger. Pour ne pas être dans une situation où nous voulons qu’ils soient en Inde. Nous sommes venus ici pour que, même en cas de danger, notre réaction instinctive soit de ne pas fuir mais de rester. Aujourd’hui, ce n’est pas évident. »

Oz : « Je ne sens pas les choses comme David. Mes craintes existentielles ne
sont plus juives et israéliennes elles aussi se sont mondialisées. Aujourd’hui j’entends partout le tictac d’énormes bombes à retardement. Tout d’abord, il y a une vague de fanatisme qui n’engloutit pas seulement le Hamas et le parti de Kahana. C’est une vague à l’échelle du monde. Elle se manifeste de la manière la plus flagrante et choquante dans le fanatisme islamique. Dans les 29 conflits qui ensanglantent le monde à l’heure actuelle, 27 au moins ont un parti musulman. De la Tchétchénie à la Somalie, de l’Algérie aux Philippines. Mais l’Islam n’est pas le seul. Il y a le fanatisme chrétien avec des manifestations d’antisémitisme en Europe et il y a l’intégrisme religieux et nationaliste juif. Et tous ces fanatismes se
ressemblent de plus d’une manière. Tous sont des points d’exclamation ambulants.

Il y a aussi une bombe post-moderne qui met tout sous une lumière relative.
Peut-être les deux developpements sont-ils liés. Une forme d’extrémisme en
engendre une autre. Ou bien il n’y a qu’une seule vérité et quiconque ne la
partage pas doit se taire, ou bien tout est vrai et tout le monde est considéré comme égal, en sorte que les assassins ont aussi le droit d’assassiner.

La troisième bombe qui m’inquiète est la mondialisation. Je ne parle pas de
la mondialisation contre laquelle les gens protestent, mais d’une sorte d’infantilisation de toute la race humaine. Je parle d’un lavage de cerveau à une échelle comme jamais, un système de stimuli pour provoquer l’appétit, qui est en train de remplacer tout ce que nous avons connu comme culture. Ainsi, quand tu parles d’un manque de culture, David, cela ne se rapporte pas seulement au Hamas et à des corps déchiquetés. Cela se rapporte aussi au sentiment que nous sommes nés pour acheter et pour vendre. Au sentiment que tout est bon. A cette terrible infantilisation qui touche toute l’humanité.

Je vais dire quelque chose qui n’est pas bien vu : il n’y a pas de culture sans hiérarchie. Cela n’existe pas. Il n’y a pas de culture dans le vote, pas de culture fondée sur des études de marché, pas de culture suivant les resultats de sondages. Une telle créature n’existe pas. Par conséquent mes craintes ne se limitent pas à l’échelle locale. Il est évident que dans le monde de la quatrième guerre mondiale – un monde où une personne avec une enveloppe pleine de bactéries, de poison chimique ou de contaminant radioactif, peut menacer une ville entière -, je suis terrifié. Mais il ne s’agit pas de la vieille peur d’un pogrom, ou des « goyim » armés de haches viendraient nous tuer. Il ne s’agit pas de la peur de voir Israël detruit. »

Grossman : « Amos, il est impossible de ne pas tenir compte du fait que nous
sommes de plus en plus isolés a cause de toutes sortes de menaces et d’ostracismes. J’espère ne pas te sembler paranoïaque, mais je pense que
depuis le debut de l’intifada, et dans son sillage la vague d’antisémitisme et les attaques contre Israël dans le monde entier, quelque chose a changé en nous. Je pense que l’Israélien moderne de mon âge, qui se pensait déjà comme un citoyen du monde, universel, qui est relié a l’Internet, qui a une antenne parabolique sur son toit et la télévision satellite et MTV, cet homme a commencé tout d’un coup a sentir que l’élément tragique du destin juif se referme sur lui. Soudain il est pris dans quelque chose qu’il croyait ne plus exister.

Il y a un sentiment que le Juif qui est venu en Terre d’Israël, qui a construit un Etat pour créer un lien avec une base solide, est tout d’un coup devenu à nouveau le symbole de quelque chose d’autre. Après tout, le Juif a toujours été une sorte de métaphore pour quelque chose d’autre : il n’a jamais ete perçu comme une chose en soi. Et maintenant cela revient. Ces deux dernières années presque chaque Israélien a senti que c’etait tout d’un coup revenu.

Les gens ont toujours eu du mal à avoir un rapport avec nous, les Juifs, comme avec des êtres humains. Il y avait à la fois diabolisation et idéalisation, mais les deux sont en fait des formes différentes de déshumanisation. En dépit de tout, le sionisme nous en a guéris. Il nous a ramenés à ce qui est pratique, humain, historique. Mais maintenant nous retournons dans le domaine du symbolique. Je trouve cela dangereux. Et cela renforce aussi le complexe de persécution qui existe en nous de toute manière. Cela se nourrit de la blessure qui existe dans le judaïsme, dans son contenu sacrificiel et traumatique. Notre créativité, notre
vitalité, notre solidarité sociale et notre passion morale s’estompent maintenant
et cèdent le pas au sentiment tragique d’un destin juif qui semble nous envelopper de nouveau. »

Le degoût general de la gauche

Amos Oz, ce sentiment ne vous est pas étranger, n’est-ce pas ? Vous avez écrit à ce sujet bien avant l’intifada.

Oz : « J’ai toujours eu le sentiment que nous marchions sur une corde raide.
Nous étions en liberté surveillée pour bonne conduite, nous souscrivions sur
la banque de la memoire de l’Holocauste. Je présenterai les choses ainsi : une grande partie du monde arabe, et peut-être de l’Islam aussi, ne s’est pas remis de la terrible humiliation que les Arabes ont subie à la suite de la creation de l’Etat d’Israël en 1948. Ils ont vu cette defaite comme le point culminant de 800 ans d’humiliation ; 800 ans pendant lesquels ils n’ont jamais gagné une seule bataille contre le monde extérieur. Pas une seule victoire depuis Saladin. Et voila que maintenant cette souris, cette chose méprisable, vient et les bat ? Les Juifs les battent ? Et les battent encore et encore. Ainsi c’est clair dans le monde arabo-musulman : c’est une humiliation.

Dans le monde chrétien, cela va plus profond. Parce qu’il y a un élément profond et sinistre dans le recit chrétien. Dans le christianisme, les gens grandissent avec un récit où quelqu’un peut tuer Dieu. Et quiconque peut tuer Dieu est terriblement fort et intelligent, plus qu’humain, mais aussi mauvais. Qui peut vouloir tuer Dieu ? Uniquement quelqu’un qui est mauvais et intelligent. Des millions d’enfants chrétiens ouvrent les yeux et la première image qu’ils voient est celle d’un homme saignant sur une croix, un homme mourant supplicié sur la croix. Et quand l’enfant chrétien vient à comprendre qu’il s’agit d’une image représentant la mort de Dieu, il demande qui est le criminel. Qui a fait cela ? Cela pénètre même les gens qui
sont devenus athées. Parce que même les gens qui sont passés à l’extrême-gauche et qui ne mettent jamais le pied dans une église ont reçu cette idée avec le lait maternel. Ils ne sont pas antisémites au sens banal où ils veulent
tuer tous les Juifs, mais ils éprouvent un mélange de respect et de crainte. C’est comme si après avoir exonéré les Juifs de la responsabilité collective de la mort du Christ, ils devaient prouver que les Juifs méritent d’etre exonérés.

C’est ici que se trouve l’élément profond : mis a part Israël, aucun pays au monde n’existe d’une maniere conditionnelle. On dit à Israël, « Si vous vous conduisez de telle et telle manière, vous avez le droit d’exister. Sinon, vous n’avez pas le droit d’exister et tout cela n’a été qu’une grosse erreur ; vous vous conduisez mal et vous serez démantelés. » Personne n’a dit cela à propos de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Personne n’a dit que la moitié irait à la France et l’autre moitié à la Pologne, et qu’il n’y aurait plus d’Allemagne.

Mais ce qui me fait particulièrement peur c’est de voir combien d’Israéliens, dans la gauche intelligente, éclairée, pacifiste, ont intériorisé ce point de vue. Eux aussi voient Israël comme un Etat soumis à certaines conditions. Un Etat dont l’existence dépend de sa bonne conduite. Ainsi vous trouvez à Tel-Aviv des gens qui sont contre la peine de mort pour les tueurs en série, contre la peine de mort pour viol, contre la peine de mort pour les terroristes, mais qui sont partisans de la peine de mort pour un Etat qui se conduit mal. Je pense que c’est terrible. Dans une perspective morale, c’est une approche terrible. »

Vous voulez dire que l’intelligentsia de gauche et pacifiste en Israël se fait en quelque sorte l’écho de l’antisémitisme chrétien à l’egard de l’Etat juif ?

Grossman : « Tu exagères. »

Oz : « Pendant la période où la France commettait des atrocités en Algérie,
l’intelligentsia francaise s »est aigrie. Tout comme l’intelligentsia américaine pendant la guerre du Vietnam. Mais nulle part n’ai-je vu ce que je vois ici : une haine à cette echelle à l’égard de sa propre existence. Pas une haine du gouvernement, une haine de sa propre existence. Je vois chez certains membres de l’extrême-gauche dans l’intelligentsia israélienne une haine non seulement à l’egard des religieux, des colons, de la droite, des nationalistes. Je vois une haine généralisée pour l’architecture, la musique, les chants folkloriques, la mémoire, pour tout. Pour les rues dans lesquelles les gens marchent. Pour les autobus dans lesquels les gens voyagent. »

Grossman : « Tu exagères. »

Oz : Peut-être que j’exagère en employant le mot haine. Peut-etre le mot juste est-il dégoût. Mais un dégoût généralisé. Et je vois certainement chez ces intellectuels d’extrême-gauche quelque chose qui se rattache à cette persécution générale qui dit qu’Israël vit sous condition. Si vous etes un bonbon, alors oui, vous avez le droit d’exister. Mais si ce n’est pas pour les kiboutzim, l’Institut Weizmann, les poètes et les écrivains, alors à quoi bon ? Pourquoi devraient-ils exister ? Personne ne dit une telle chose à propos du Yemen. Ou de l’Islande. Il y a là quelque chose d’implicite qui me révolte vraiment. Et cela me révolte davantage quand cela vient de l’intérieur plutot que de l’intelligentsia européenne chrétienne. »

Grossman : « Je crois que tu vas trop loin. Ces gens disent ce qu’ils disent
parce que leur coeur saigne. Ils pleurent devant ce qui se passe ici. Devant
l’écart grandissant entre le rêve et la réalité. De toute façon ils ne sont pas si nombreux et ils ne sont pas si importants. Ce qui m’intéresse bien davantage c’est comment il se fait qu’après 54 ans d’existence nous vivions encore sous condition, comment il se fait que nous ne croyions pas vraiment en notre existence. Il me semble que c’est la question clef. Qu’y a-t-il derrière ? Est-ce que nous, les Juifs, nous possédons un gène qui nous rend incapables de rester en un seul endroit ? Tu sais, nous avons toujours connu cela, ce trouble, ces errances. Nous avons été incapables de décider : sommes-nous un peuple dans un territoire ou un peuple dans le temps ? Dans la Diaspora nous avons décidé que nous étions un peuple dans le temps. Un peuple éternel. Mais même après être venus ici, nous restons encore incapables de cristalliser en nous un sentiment d’identité en tant que peuple dans un territoire.

Notez la formule : la Terre promise. C’est une forme grammaticale qui continue à l’infini. Ce n’est pas la terre de la promesse ou la terre qui a été promise, c’est la terre qui est éternellement promise. C’est une terre jamais atteinte. »

Les erreurs de la gauche, la critique de la droite

J’aimerais que vous me parliez chacun de votre évolution politique, de votre
biographie respective en tant qu’homme de gauche. Quand votre vision du monde a-t-elle pris forme, comment a-t-elle évolué, et que s’est-il passé ces deux dernières années ?

Grossman : « J’avais 13 ans quand la guerre des Six Jours a éclaté en 1967. Je me souviens de l’angoisse qui l’a précédée. Je me souviens combien était
réelle la possibilité que nous soyons jetés à la mer. Et parce que cette possibilité était si tangible pendant l’hiver précédant la guerre, j’ai pris des leçons de natation au YMCA de Jerusalem. Il me semblait qu’il pourrait être utile de savoir nager.

Puis est venue l’occupation. Pour ma génération il y a eu une sorte de melange entre l’énergie sexuelle de l’adolescence et l’énergie de l’occupation. Il ne faut pas l’oublier : une pénétration soudaine, la rupture des tabous, et l’entrée dans les Lieux saints. Il y a quelque chose d’érotique dans le contact entre l’occupant et l’occupé. Je me souviens fortement de la sensation physique, de la sensation de pouvoir. Et, en meme temps, de la peur. Mes parents etaient membres du Mapai [le Mapai a precédé le Parti travailliste actuel et a été au pouvoir de 1948 a 1977] mais ils ont dérivé de plus en plus à droite à cause de cette peur. Et pendant mon
service militaire j’ai aussi adhéré a des opinions qui sont maintenant considérées comme de droite. J’etais dans les services secrets et je savais ce que les Arabes pensaient de nous. Ils ne pensaient rien de bien. Ainsi jusqu’à ce jour la peur que ressent la droite ne m’est pas étrangère.

Pour moi, le choc a été la guerre du Liban [de 1982]. Au debut j’ai tout à fait accepté le slogan selon lequel nous partions en guerre pour mettre fin au terrorisme. Mais quand j’ai servi comme réserviste dans un petit village du secteur oriental [du Liban], j’ai commence à voir des choses que je refusais de voir auparavant. Et soudain tout ce qui était réprimé a explosé.

Il y a un moment précis que je n’oublierai jamais. Peu de temps après mon retour à Jérusalem, j’étais dans un autobus du quartier de Talpiot, et cet autobus s’est arrêté à côté d’un autre, qui venait de Bethlehem ou [du camp de éfugiés] de Deheisheh. Tout d’un coup je les ai vus. Nous étions là, un autobus à côté de l’autre, et tout d’un coup j’ai vu les gens dans l’autre autobus. J’ai vu leurs visages, leur désespoir. J’ai eu l’impression qu’ils étaient comme des fantômes. Comme si toute leur vitalité s’était écoulée. Je les ai regardés et je me suis dit que c’était ainsi qu’était une personne vivant sous l’occupation.

Quand j’ai écrit « Le Sourire de l’agneau  » en 1983, j’essayais déjà de comprendre cette maladie qu’est l’occupation. Je me suis demande comment il etait possible qu’une nation que j’estimais etre une nation morale pouvait en etre arrivee a une telle situation. Et comment les deux cotes avaient appris a developper une sorte de regard vide et aveugle : parce que l’occupe a honte de sa situation, et l’occupant prefere ne pas voir ce qu’il fait.

Quand je suis alle a Deheisheh [pour faire des recherches pour] le « Vent jaune » [le titre du livre de Grossman sur l’occupation, paru en 1987, qui a d’abord ete publie en une serie d’articles dans l’ancienne revue Politika], j’ai eu vraiment peur. Je suis reste la pendant trois heures, entoure de gens tres mefiants a mon egard. Pour certains enfants, j’etais le premier Israelien qu’ils voyaient sans uniforme. A la fin, une vieille femme est passee et il semble qu’elle a remarque quelque chose ; elle a traverse le cercle des hommes et elle m’a dit « Ta’al » [viens]. Elle m’a emmene dans sa baraque, et elle a commence a parler et a parler. C’est la que tout d’un
coup il y a eu quelque chose d1’ffectif. Apres toutes les disputes et tous les arguments pour et contre nous, quelque chose est soudain passe. Ils voulaient tellement que je reconnaisse leur sentiment d’avoir ete offenses. »

Et quel a ete votre plus grand choc ces deux dernieres annees et demi ?

Grossman : « Le lynchage [de deux reservistes israeliens] a Ramallah. Cela a
ete un point de rupture pour nous tous. C’etait une eruption de nos peurs les plus profondes et c’etait aussi une tentation de ceder aux stereotypes, de dire qu1ils sont tous comme cela. Mais je crois que de penser ainsi c’est se declarer vaincu. Je le vois toujours comme une defaite. Je crois en un « summud » pour la paix [un terme qu’utilisent les Palestiniens pour decrire leur attitude a l’egard de leur terre, et qui signifie le fait de s’accrocher avec tenacite]. Nous ne devons pas lacher, nous de devons pas renoncer, nous devons continuer a croire dans la possibilite d’une solution rationnelle. »

Y a-t-il des moments ou vous mettez cette possibilite en doute ?

Grossman : « Bien sur. Quelquefois je me dis « Ecoute, il n’y a aucune chance ». Je regarde la carte du petit Israel, sur laquelle il n’y a pas assez de place pour ecrire le nom du pays on doit jeter quelques lettres dans la mer pour l’ecrire. Et tout ce qu’il y a autour. L’integrisme qui fait rage la-bas. L’absence de democratie dans les pays arabes. Le fait que le Moyen-Orient ne nous a pas vraiment acceptes.

Mais a la fin je ressens un affront personnel en renoncant. Je ne suis pas
aveugle aux defauts de notre partenaire. Je ne me fais pas d’illusions. Et je ne crois pas dans la bonne volonte des Arabes. Il n’en ont jamais manifeste a notre egard, pas plus que nous n’avons eu de bonne volonte envers eux. Mais en 1967 nous sommes entres dans une sorte de boucle dans laquelle nous tournons depuis lors. Nous repetons les memes erreurs. Je pense qu’avec notre puissance militaire nous devrions etre assez courageux pour sortir de ce cercle vicieux. Nous devons lacher cette branche avant d’en avoir attrape une autre, dans une foi pour la paix. Mais nous n’avons pas encore ose faire ce saut. Nous avons encore peur. »

En fin de compte, la gauche a-t-elle echoue ou reussi ? La gauche avait-elle
raison ou tort ?

Grossman : « La gauche a clairement echoue, mais c’est un echec auquel je suis fier d’avoir participe. Ceux qui ont choisi en faveur du processus d’Oslo en connaissaient les risques, a savoir qu’il serait tres difficile de resoudre un conflit centenaire d’un seul coup.

La gauche a commis deux erreurs fondamentales. L’une etait de trop croire dans la rationalite elle a pratiquement idealise la rationalite et l’autre consistait en une erreur fondamentale dans l’evaluation des forces en presence. Je pense que de ce point de vue la droite avait un instinct plus juste concernant les forces en presence et l’importance de la force de dissuasion. C’est essentiel dans la region ou nous vivons, qui est violente, integriste et desordonnee. Mais en fin de compte, les erreurs de la gauche etaient dans les details. Peut-etre aussi dans l’evaluation de la personnalite d’Arafat, qui est apparemment d’une nature terroriste. Mais la
droite avait tort sur l’ensemble de la situation. La droite croyait qu’il serait possible de maintenir le regime de l’occupation, et par consequent je n’ai aucune hesitation pour savoir ou je me situe et ce qu’il faut faire.

Autre chose : nous avons parle tout a l’heure de notre experience devant des victimes, mais pas de ce que cette experience a rendu possible. En reaction a l’hostilite a notre egard, nous avons transforme la Cisjordanie en un grand camp de concentration et nous avons fait des choses qui sont a la limite du crime contre l’humanite et qui souvent vont outre cette limite. En tant que societe, nous avons mis nos idees eclairees au congelateur. Notre stature morale a retreci. Et a la fin nous avons confirme pas mal de stereotypes antisemites sur le juif xenophobe, manipulateur, affame de puissance, instable et imperialiste. Tout cela doit cesser. Nous devons sortir de cette situation.

Amos Oz, quel a ete votre plus grand choc ces deux dernieres annees et demi? Quelque chose a-t-il remis en question votre vision du monde ?

Oz : « Ecoutez, le Comite pour la paix et la securite a ete cree trois semaines apres la guerre des Six Jours. Il se rangeait derriere l’idee de deux Etats. Moi-meme, parmi d’autres, soutenais que si nous suivions cette voie, il y aurait la paix entre les Palestiniens et nous. J’ai soutenu cet argument pendant plus de 30 ans. Aujourd’hui je ne l’invoque plus. Je dis toujours qu’il faut deux Etats, mais je ne suis pas sur que cela amenera la paix. Dans le meilleur des cas, cela amenera la paix, au pire cela creera une situation ou, au lieu de se battre dans deux guerres et d’avoir raison pour l’une, nous nous battrons dans une guerre ou nous aurons
entierement le droit pour nous. »

C’est un changement significatif.
Cela veut dire que ce sera la premiere campagne electorale ou la gauche ne promettra pas la paix : le retrait, pas la paix.

Oz : « Je peux temoigner pour moi-meme : je me suis retire unilateralement. Je me suis retire unilateralement de quelque chose que je defendais depuis 30 ans parce que je pensais que si les Palestiniens se voyaient offrir ce que Ehoud Barak leur a offert a Camp David, ils repondraient par une contre-proposition. J’admets que je n’imaginais pas que de proposer une solution avec deux Etats, deux capitales, et le retour de 92 ou 95 ou 97% des territoires declencherait une vague d’hostilite contre nous. Cela a ete pour moi un tres grand choc. »

Apres coup, Oslo a-t-il ete une erreur ?

Oz : « Je maintiens que l’on n’a pas donne un jour de chance aux accords d’Oslo. Immediatement, avant que l’encre ne seche, un cote preparait la guerre sainte et le lavage de cerveau pour la guerre sainte, et l’autre preparait la colonisation. Par consequent je ne pense pas qu’Oslo ait echoue parce que Oslo n’a jamais ete tente.

Je ne suis pas d’accord que la gauche n’a pas tire de lecons des evenements.
Quand le dirigeant du Parti travailliste parle de retrait unilateral des territoires occupes les plus peuples, c’est un changement majeur par rapport aux positions qui ont precede l’intifada. C’est la droite qui n’a tire aucune lecon. Non seulement depuis Oslo, mais depuis les annees 30. Pendant toute cette periode, la droite n’a dit qu’une seule chose : « Tapez tres fort et ils se calmeront. »

Sharon, Mitzna, Meretz, Shinoui

Que pensez-vous de Sharon ? Le détestez-vous ?

Grossman : « Je ne le deteste pas. Je pense qu’il a une vision du monde tres
etroite and qu’il reduit tout a un concept tres superficiel : la force. Il croit que nous devons user de plus en plus de force. Il n1a pas d’autre solution et il est totalement inflexible. Par consequent je pense qu’il mene Israel a un point tres dangereux. En tant que dirigeant il est cense nous mener vers l’avenir, au lieu de quoi il nous ramene constamment au passe. C’est son succes qui m’etonne. Il a reussi a creer une situation ou il opere presque dans un vide. C’est un Premier ministre sans opposition et sans coalition, qui fait ce qu’il veut. »

Comment l’expliquez-vous ?

Grossman : « Peut-etre que dans une periode ou nous avons tous l’impression
que l’ordre ancien s’est ecroule, y a-t-il un desir de s’accrocher a quelqu’un qui projette une sorte de continuite, d’entetement, de coherence et aussi de rigidite. En tant qu’ecrivain, je ne veux pas me separer des sentiments des partisans de la droite. En tant qu’ecrivain, je peux dire qu’Ariel Sharon donne vraiment une impression de force. Mettez-lui une toge et il ressemblerait a un empereur romain. Il y a presque une force biblique en lui. Cette image, avec ses instincts puissants, sa brutalite et son histoire, contient quelque chose apparemment qui plait aux gens. »

Oz : « Ce n’est pas en tant qu’ecrivain ni en tant que psychologue que je
tacherai de repondre a la question sur Sharon, mais en tant qu’analyste politique. Je pense qu’il est bien vu parce qu’il apparait comme victorieux contre les Palestiniens sans pour autant facher les Americains contre nous. Et il apparait comme victorieux parce qu’il a certainement remporte une victoire : aujourd’hui les Palestiniens reclament ce qu’ils ont refuse a Camp David. Ainsi aux yeux du public il a soumis l’ennemi, il lui a porte un coup mortel, et il nous donne aussi une certaine satisfaction affective qui compense les frustrations ressenties a cause des autobus et des enfants disloques, la discotheque, le cafe, et la veille de Paque a Natanya. De la ou je suis, je vois un homme qui donne une impression d’assurance reconfortante pour son entourage, mais qui ne sait pas ou il va.

Et de l’autre cote, pour qui avez-vous de l’estime parmi les dirigeants de la gauche ? Y a-t-il un successeur de Yitzhak Rabin et de Shimon Peres ?

Grossman : « Le sentiment general c’est qu’il y a un vide. [Le dirigeant du Parti travailliste recemment elu, Amram] Mitzna dit les choses qu’il faut et il s’y tient, mais je crains qu1il ne paie pour la corruption du Parti travailliste. Je crois que le Parti travailliste s’est conduit d’une facon meprisable en servant de feuille de vigne au gouvernement de Sharon sans faire le contrepoids a ses instincts et ses elans. Cependant mes sympathies vont au Meretz et je voterai pour eux. [Le dirigeant du Meretz MK Yossi] Sarid et [l’ancienne personnalite travailliste Yossi] Beilin
reflechissent tous les deux avec plusieurs coudees d’avance. Ils reussissent a ne pas participer au sentiment general de desespoir et d’impuissance. Et ils sont capables d’etre au-dessus de sentiments tout a fait comprehensibles de peur et de desir de vengeance. »

Oz : « Je voterai pour le Meretz parce qu’il me parait avoir raison. Oui, des negociations sous le feu. Oui, une autre tentative de pourparlers avec les Palestiniens. Et si cette tentative echoue, alors la fin unilaterale de l’occupation. »

Et le parti Shinoui ?

Grossman : « Il represente un phenomene tres authentique qui resume des
sentiments vrais. Cependant, le copyright de ce parti n’appartient pas a [son dirigeant] Tommy Lapid mais au [parti ultra-orthodoxe] Shas. C’est Shas
qui, par haine des Ashkenazes et par haine de tout ce qui est laique, a forge
cette creature, un parti artificiel qui a la longue se disloquera. La plate-forme electorale de Shinoui est insipide. En fin de compte, une voix pour Shinoui me semble une voix perdue. »

Oz : « Je pense que Shinoui a tort dans son programme. C’est comme si une
personne arrivait dans une unite de soins intensifs pendant une attaque terroriste et s’attachait avec enthousiasme a remettre en etat les plantes vertes. Il taille et il arrose et c’est tres joli mais attention, il y a du sang qui coule. Je pense aussi que Shinoui se renforce grace au Shas, et l’inverse, et je dirais que les deux partis devraient passer un accord pour se partager les voix gagnees en plus. »

Grossman : « Je propose un nom pour leur liste commune : « Shisoui » [qui signifie incitation].

Finalement, vous gardez tous les deux l’espoir ? Vous pensez que la gauche peut se remettre et reprendre la direction d1’srael dans un avenir raisonnablement proche ?

Oz : « Mon ami Jumus-Haim Oron [une personnalite du Meretz] dit que ce qui
se passe maintenant dans l’opinion publique israelienne ressemble a ce qui
se passe lors d’un tremblement de terre majeur. Lorsque les plaques
tectoniques bougent, les couches profondes bougent dans une direction et les
couches superieures dans une autre. Dans cette election, les voix se porteront sans doute vers la droite mais en profondeur il y aura un mouvement vers les positions fondamentales de la gauche. La semaine derniere ma tante Sonia remarquait que si Sharon avait parle a Golda [Meir] comme il parle maintenant, elle l’aurait expulse du parti Mapai en l’accusant d’etre trop a gauche, comme elle a expulse Lova Eliav. Et c’est vrai. Fondamentalement le public israelien va vers la gauche, pas vers la droite.

Je suis tres inquiet devant ce que Sharon fait maintenant. Apres avoir detruit l’Autorite palestinienne il detruit la bourgeoisie palestinienne. Et la paix se fait avec la bourgeoisie, pas avec les fanatiques religieux, pas avec des jeunes excites, pas avec la mafia. Ce qui m’inquiete c’est qu’une fois qu’il aura fini son travail, il ne restera plus personne avec qui parler pour faire la paix. Mais je crois en la capacite de l’etre humain a nous surprendre. Peut-etre meme Sharon nous surprendra-t-il. Et sinon lui, alors quelqu’un d’autre. Je suis sur que l’homme ou la femme qui mettra fin a l’occupation israelienne des territoires avec ou sans paix est deja
ici parmi nous. Je ne sais pas encore qui c’est, et il ne le sait pas lui-meme, mais il est deja la.

Grossman : « Aujourd’hui la direction palestinienne est prete a accepter la
proposition-cadre de Clinton. Et je le tiens de source sure. Mais si aucun
dirigeant israelien ne propose quelque chose, je crains que la societe
palestinienne ne se dirige vers un extremisme et une « Hamassisation ». Si la
privatisation du terrorisme continue, cela deviendra un cauchemar un cauchemar pour les Palestiniens aussi bien que pour les Israeliens.

Je n’ai aucune illusion : meme si la paix se realise avec Arafat, le terrorisme ne cessera pas completement. Il continuera pendant beaucoup d’annees encore, jusqu’a ce qu’il s’eteigne finalement dans l’epaisseur de la vie. Cela se passera dans bien des annees, pas necessairement de notre vivant. Mais ce n’est pas une raison pour arreter d’oeuvrer pour la paix parce que le terrorisme n’est pas une menace existentielle pour Israel. Ce qui est un danger existentiel c’est le schisme et la dissolution nes de la situation actuelle.

J’ai parle de « summud » pour la paix. Mais j’ai aussi un autre « summud ». A mes yeux, l’Etat d1Israel est advenu pour que nous ne soyons plus des victimes. Pour que mon grand-pere ne soit pas battu de nouveau dans cette ville de Galicie. Pour que nous venions ici, pour que nous menions une vie normale et pour que nous nous defendions. Je suis trouble par le fait que malgre notre puissance, malgre 200 peut-etre – bombes nucleaires, nous continuons a etre les victimes de nos peurs et de nos anxietes, des elements tordus de notre esprit.

Voici notre grande mission : emerger de la peur dans la vie. Faire face a notre histoire sans en etre les victimes. Et faire en sorte que toute notre energie ne soit pas entierement detournee pour construire cette armure qui doit nous proteger contre le monde exterieur. Parce que maintenant on a l’impression que l’on se concentre tellement sur l’armure qu’il n’y a plus d’etre humain a l’interieur. Mon « summud », c’est pour qu’elle contienne un etre humain. Pour que la vie ici soit celle d’etres humains. »