«Saba! Pourquoi ils veulent nous tuer?»

Après deux semaines passées auprès de mes petits-enfants en Israël, me voilà enfin à l’abri des sirènes et des bombardements. Dix jours et nuits haletantes, dans une bourgade située entre Ashqélon et Sdéroth, à 10 kilomètres de la bande de Gaza. Dès mon arrivée chez ma fille, Noam, mon petit-fils de huit ans, attend d’habitude avec impatience l’ouverture de ma valise et la découverte de ses cadeaux. Cette fois-ci, protecteur, il me donne les consignes nécessaires pour me protéger des roquettes Qassam. Il précise en expert avisé et responsable: «On n’a que 15 secondes pour se rendre à l’abri lorsque la sirène retentit, il faut courir s’abriter dans la chambre blindée et attendre que la fusée explose. Il ne faut surtout pas paniquer!».

Soudain, les sirènes retentissent. Il est environ 23 heures. La panique démarre. Le bruit de l’alerte paralyse nos esprits et éveille nos instincts de survie. Ma fille se précipite pour saisir son bébé d’un an qui repose tranquillement dans son lit. Maya, ma petite fille de 11 ans, sort de la salle de bain, visage et cheveux couverts de shampoing. Elle tremble. Elle pousse un cri. Elle se couche au sol les mains sur la tête et se bouche les oreilles. Les pleurs du bébé accompagnent la détresse ambiante. Cela se répétera quatre fois durant ma première nuit chez ma fille, qui se trouve malencontreusement près du champ de bataille. Après la troisième alerte, le bébé ne veut plus dormir. Il joue comme à son réveil, tôt le matin. La joie de le tenir dans mes bras atténue mon inquiétude. Noam m’assaille de questions : «Saba (Grand-Père)! Pourquoi ils veulent nous tuer? Est-il vrai que le Hamas demande aux parents palestiniens de se mettre avec leurs enfants sur les terrasses pour protéger les lanceurs de missiles et les tunnels situés à proximité de chez eux? Pourquoi, ils n’ont pas de chambres blindées?» Puis, il tente de me rassurer : «Heureusement que notre Qippath barzel (le Dôme de fer) intercepte leurs fusées!»

Un spectacle surréaliste

À une heure du matin, les enfants s’endorment sur des matelas posés à même le sol du petit abri sécurisé et étouffant. J’observe avec tendresse leur sommeil. Ils parlent. Ils sursautent. Ils poussent des cris. Je participe à un spectacle surréaliste. C’est comme si me parvenaient des bribes de discussions s’échappant d’une classe d’enfants parlant de la guerre. Le matin, Noam se réveille, un peu gêné. Il a fait pipi dans son lit, chose qui ne lui arrive plus depuis plus d’un an.

Une longue journée commence. Pas de crèche pour le bébé. Pas de centre aéré pour Noam et pour Maya. Depuis le début des hostilités, ma fille et mon gendre se partagent la garde des enfants. Ce jour-là, c’est à moi qu’ils confient cette importante mission. Il fait très chaud. Les alertes successives nous dissuadent de nous éloigner de l’abri. Les sirènes retentissent. J’évite d’ouvrir la télévision qui diffuse en boucle des images insoutenables, souvent en provenance du Hamas, et surtout les consignes de survie pour les différents territoires. Je tente de maîtriser mon angoisse. Mais la tension générale s’emballe. Les changements de couches réveillent mes maux de dos. Malgré tout, je préfère être aux côtés des miens en ces terribles moments. Chez moi, à Paris, cela serait sans aucun doute encore plus insupportable.

Je n’ai jamais porté d’estime à Netanyahou et sa politique. Mais cette fois, j’ai adhéré à sa déclaration avant le début des combats: «Le calme répondra au calme.» Et il fallait, quand nous serions contraints à la guerre, qu’elle soit inflexible – avec pour objectif essentiel d’en finir avec le pouvoir du Hamas.

Quels jalons pour le futur

À mon retour à Paris, le doute quant aux intentions véritables de Netanyahou et de son gouvernement m’a repris. Tout d’abord, les images insupportables que l’on peut voir ici commencèrent à entamer mon soutien à l’opération [Bordure protectrice] telle qu’elle fut menée. Le bombardement d’une école de l’Unwra, même si des batteries de missiles s’y trouvaient, aurait dû être évité. Leurs pertes furent leur triomphe. L’indignation contre Israël atteignit ses sommets parmi les pourfendeurs du pays. Cela alla jusqu’à saper le soutien de nombreux amis d’Israël. Cela causa bien plus de dommages que le tir d’autres roquettes depuis cette école. Surtout au vu des performances du Dôme de fer.

La question de savoir qui a vaincu l’autre n’est pas ce qui m’occupe. Ce qui me soucie, ce dont les intentions de Netanyahou. Il ne veut pas voir le Hamas anéanti; et sûrement pas la Cisjordanie unie à la bande de Gaza. Il préfère continuer à «diviser pour régner»; et surtout, pouvoir ainsi fonder son argument sur l’absence de partenaire pour la paix. Le rejet de la proposition de l’ancien président Shimon Pérès, appelant Israël à laisser Mahmoud Abbas et la direction du Fatah prendre le pouvoir à Gaza, m’inquiète.

Avec les Palestiniens de Cisjordanie, Israël a passé des accords reconnaissant son existence et sa souveraineté. Quand Tsahal lança l’opération “Retour de nos frères” à Hébron, à la suite de l’enlèvement et du meurtre barbare de trois adolescents, on ne vit aucun soulèvement significatif. Il s’avère qu’un peuple qui a quelque chose à perdre ne court pas à la guerre. Éloigner le Hamas du pouvoir à Gaza, la reconstruire et procurer à ses habitants un certain bien-être sont seuls susceptibles d’éviter d’autres affrontements dans le futur.