La nouvelle loi sur le financement des associations représente-t-elle une attaque contre la démocratie israélienne ? Telle est la problématique analysée par Lee Wilson à l’heure où Israël se divise autour de cette question : doit-on interdire les dons de nations, d’associations ou de personnes étrangères à des organisations ou des mouvements politiques, tel Shalom Akhshav (LPM) ? En arrière-plan flotte la vieille accusation : ces dons, ceux de l’Europe en particulier, feraient de ces associations des pions à la solde d’intérêts anti-israéliens.

Mais ne s’agit-il pas plutôt de bâillonner la gauche et le mouvement colombe, comme les modifications successives du projet de loi le montrent bien, qui font à l’inverse la part belle aux organisations et aux activités des colons – dont les subsides, qu’ils proviennent de France, des États-Unis ou de la planète Mars ne doivent surtout pas être coupés. Une colonisation pourtant illégale en droit international, rappelons-le, tandis que les programmes subventionnés par les démocraties occidentales restent conformes aux valeurs que celles-ci partagent – avec Israël, entre autres !


L’opinion, les médias et le gouvernement israéliens s’embrasent en une véhémente controverse sur le financement des ONG [1] politiques par des États étrangers. Depuis leur approbation en première lecture, ces projets de loi ont fait la une des journaux et des débats radiodiffusés
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La législation fixera un plafond annuel aux subventions allouées par des gouvernements ou organismes étrangers à une organisation israélienne – celui-ci étant fixé à 20 000 shekels (4 000 € environ). Ces contributions seront également frappées d’une taxe de 45% de leur montant.

Les opposants à ces mesures y voient une tentative de museler les mouvements colombe, lesquels critiquent le gouvernement ;  et une inquiétante érosion des fondements de la démocratie israélienne.

Question : Ces projets de loi concernent l’aide apportée par des gouvernements étrangers à des organisations jouissant d’influence en d’Israël. N’est-il pas légitime de prévenir l’ingérence d’entités étrangères en Israël ?

Réponse : L’organisme qui reçoit en Israël l’aide la plus importante de la part de gouvernements étrangers est Tsahal. Y a-t-il quelqu’un pour prétendre que les Forces de Défense d’Israël sont une armée d’agents ou d’États étrangers ? Bien sûr que non !

Des organisations civiles ou politiques de toute obédience sur l’ensemble de l’éventail lèvent des fonds à l’étranger, y compris des députés pour les besoins de leurs campagnes politiques.

Traditionnellement, des pays amis entretenant avec Israël des relations diplomatiques pleines et entières ont contribué à de nombreux projets de la société civile israélienne. Le concours desdits pays a contribué à consolider Israël au plan financier, comme à assurer sa remarquable croissance au fil du temps.

Des pays amis pourvoient à une vaste sphère d’aides globales incluant des projets communs dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la recherche et de la culture. C’est dans le désir de promouvoir les valeurs communes à Israël et aux pays occidentaux qu’ils subventionnent des programmes de ce type. En relèvent, par exemple, l’hôpital Hadassah, l’Institut Weizmann de recherche scientifique ou des compagnies théâtrales, aussi bien que des associations de défense des droits de l’être humain ou de promotion de l’égalité entre les sexes, etc.

Q : Mais si ces dons proviennent de pays amis d’Israël, pourquoi proposer de les mettre hors la loi ?

R : L’argument du gouvernement est qu’il tente d’interdire le financement étranger de groupes qui influencent l’opinion publique et peuvent peser sur la politique du pays – interférant ainsi indirectement dans la prise de décision israélienne.

Cependant, le même Premier ministre Netanyahu qui condamne haut et fort l’ingérence étrangère encaisse en même temps les bénéfices d’Israël Ha-Yom [“Israël aujourd’hui“], un tabloïde financé par les seuls subsides d’un multimillionnaire étranger, dont la ligne est de droite et la diffusion vaste (il est distribué gratuitement et à l’échelle nationale). Comparaison saisissante, le budget annuel des subventions étrangères attribuées à Shalom Akhshav est égal au coût d’une unique journée de distribution de ce quotidien gratuit. Ce journal ne constitue-t-il pas une intrusion étrangère lorsqu’il tente de faire pencher les cœurs et les esprits en Israël en faveur de Netanyahu et de ses choix politiques ?

Chaque jour, l’argent étranger influe sur la parole publique en Israël. De nombreux députés profitent eux aussi d’un apport étranger à leur trésorerie ; des centaines de milliers de dollars [ou d’euros] sortent des poches des plus grosses fortunes du monde, en Europe et aux États-Unis, pour financer les campagnes électorales et les primaires en Israël. Quel genre d’accords sont passés sous la table en vue des lendemains d’élections ? Voilà qui n’est jamais dévoilé.

En outre, les activités des colons ne sont pas soumises à ce contrôle des sources de financement, bien qu’elles soient elles aussi alimentées par des donations étrangères. Celles-ci couvrent des changements directs sur le terrain, comme l’installation de caravanes et la construction de maisons dans les avant-postes – parrainant des opérations qui changent de facto le paysage, ont un impact sur la scène politique internationale, et menacent l’avenir d’un règlement pacifique fondé sur une solution à deux États.

Q : Comment les pays étrangers choisissent-ils les projets auxquels ils contribuent ? À quel point le financement est-il transparent ?

R : En réalité les choses diffèrent selon qu’il s’agit d’un don émanant d’un particulier ou d’un État. Mais quoi qu’en dise la droite, les dons d’origine étatique sont mieux contrôlés et plus transparents que ceux des particuliers.

Tous les États riches de par le monde parrainent des projets qu’ils estiment promouvoir les valeurs démocratiques universelles en phase avec leur éthique, comme la liberté d’expression, l’égalité des sexes, les droits de l’être humain, les droits civiques et le droit à vivre en paix (c’est précisément la raison pour laquelle de nombreux groupes de droite en Israël n’ont pas qualité à bénéficier de tels parrainages – leur action allant diamétralement à l’encontre de ces valeurs).

Le gouvernement britannique, par exemple, pourrait choisir de parrainer, en 2012, des projets promouvant la résolution des conflits entre femmes en zone de guerre. Auquel cas les ONG du monde entier seraient invitées à soumettre des demandes de subventions, en décrivant leurs objectifs et leurs méthodes. Le gouvernement britannique sera dès lors à même de décider si un projet russe, polonais, ougandais, congolais ou israélien répond aux critères qui sont les siens et est éligible à l’attribution d’un financement. Une fois un programme adopté, l’association sera soumise à un strict contrôle financier et devra soumettre des rapports et des relevés de comptes exhaustifs.

Mais alors qu’un don émanant d’un État étranger est parfaitement ouvert et transparent, répond à des objectifs clairs et ne peut être utilisé que pour des activités spécifiques destinées au programme dit, et non pour des actions illégales, le don émanant d’un particulier n’a pas à être révélé, échappe au contrôle public et ses objectifs restent souvent ignorés.

Q : Pourquoi cette loi est-elle perçue comme visant la gauche ?

R : Dans le cadre de la nouvelle loi, les subventions étrangères faites à Tsahal, l’hôpital Hadassah, etc., de même que les dons étrangers non transparents des particuliers, pourront se poursuivre. Des dons qui se trouvent fort opportunément correspondre aux sources de financement de la plupart des groupes de colons et de droite, dont les missions ne concordent pas avec les principes démocratiques soutenus par les subventions d’États étrangers.

Les dons provenant de particuliers étrangers ne sont pas soumis à contrôle. Ils peuvent émaner du premier parti venu en possession d’un chéquier, y compris des organisations douteuses désireuses de susciter l’instabilité et les conflits régionaux en renforçant les plus extrémistes des colons. Des subsides étrangers incontrôlés émanant de donateurs privés sont susceptibles d’affluer en Israël pour toutes sortes de raisons : blanchir de l’argent, influencer les décisionnaires, ou servir un intérêt quelconque connu du seul donateur.

La plupart des organisations de droite perçoivent des subventions régulières de la part d’organisations américaines évangélistes et conservatrices. La majeure partie d’entre elles refuse également avec véhémence de révéler ses sources de financement au public, ou de faire part de ses listes de donateurs. La nouvelle loi n’exigera pas d’elles de rendre leur mode de financement transparent ni d’en permettre le contrôle public, alors qu’elle éliminera le financement étranger transparent des organisations israéliennes “libérales“[2].

Au moyen de cette loi, le gouvernement tente de dire aux pays étrangers : « Vous êtes autorisés à contribuer à tel projet mais non à tel autre, car l’organisation qui le dirige s’oppose à la politique gouvernementale. »

Il apparaît clairement qu’on ne va interdire les subventions étrangères qu’autant que leurs bénéficiaires ne s’alignent pas totalement sur les positions du gouvernement. Le débat public ne porte donc plus sur le financement, mais sur la question de savoir jusqu’où le gouvernement est prêt à aller afin d’interdire l’expression d’une contestation.

Q : En quoi ces projets de loi sont-ils antidémocratiques ?

R : Le but de ces lois est de réduire au silence et de neutraliser les associations de la société civile qui s’identifient aux valeurs “libérales“ tendant à gauche, de sorte qu’elles ne puissent opérer efficacement. Tout en permettant de fait aux mouvements israéliens de droite de poursuivre leurs agissements librement et sans le moindre contrôle, en les subventionnant à partir de sources de financement cachées.

La loi entend exploiter la majorité parlementaire afin de changer les règles du jeu démocratique et de limiter rigoureusement le droit fondamental à la liberté d’expression.

La liberté d’expression ne consiste pas seulement à rédiger un message sur Facebook ou une lettre adressée au courrier des lecteurs. La liberté d’expression, c’est aussi la liberté d’association, celle de fonder une organisation, de lever des fonds, d’agir efficacement pour convaincre et pour infléchir le discours officiel, comme de doter l’opinion publique d’informations pertinentes.

Une démocratie authentique doit accorder aux mouvements de gauche comme de droite la liberté de lever des fonds d’origine privée ou étatique pour les besoins des associations de la société civile et des organisations non gouvernementales. On doit permettre aux citoyens d’appeler sans détours leur société à changer, et d’y œuvrer. La liberté d’expression est la pierre angulaire de la démocratie. C’est le système démocratique tout entier qui se trouve menacé quand les voix dissidentes sont réduites au silence et que seuls les droits de ceux dont les convictions adhèrent à la ligne du parti au pouvoir sont protégés.

Toutes les démocraties “libérales” s’engagent aux côtés de leurs propres et dynamiques ONG, participant ainsi à la mise en valeur et au juste équilibre des valeurs démocratiques et des attentes sociétales face aux intérêts politiques des hommes d’État.

Nulle autre démocratie occidentale n’a voulu interdire ses propres associations comme Israël le fait. En conséquence, au lieu d’être salué comme l’unique démocratie au Moyen-Orient, Israël est maintenant perçu par la communauté internationale juive et non-juive comme un pays déviant des normes démocratiques admises. Il est particulièrement choquant de voir le gouvernement démocratique d’Israël proposer des mesures aptes à réduire au silence ceux de ses citoyens qui le contestent, et cela juste après avoir assisté à l’expansion du printemps arabe dans l’ensemble de la région.

« Le gouvernement craint pour la sécurité du régime, pas pour celle du pays, écrivait Boaz Okon ce lundi dans le quotidien Yédioth Ah’aronoth. Aussi use-t-il de son pouvoir législatif pour clore la bouche des gens. » [3]

D’une manière générale, il n’y a rien de mal à ce que des associations reconnues au sein d’un pays démocratique jouissent du soutien d’autres démocraties. Ceux qui financent les ONG ne sont pas des ennemis d’Israël et l’État n’est pas la proie d’une tentative de subversion de la part de ces associations elles-mêmes. Loin de là, elles travaillent à faire progresser Israël et à renforcer les fondements de sa démocratie. Plutôt que ces tentatives avortées de réduire au silence les voix dissidentes et d’étouffer l’expression populaire, érodant la démocratie, le gouvernement et l’État seraient mieux inspirés de résoudre les problèmes soulevés par ces associations.

Il faut mettre fin aux tentatives d’une fraction de la droite d’user de sa majorité au Parlement pour saper la nature démocratique de l’État d’Israël ; le Premier ministre Netanyahu est conscient du caractère antidémocratique de ces lois, et a capitulé sur nombre d’entre elles [4] sous la pression de l’opinion publique.

Shalom Akhshav [LPM] est à la pointe de ce combat en Israël [5].


NOTES

[1] “Organisations non-gouvernementales“ : le terme recouvre dans les institutions internationales, (Onu, Unesco, etc.), l’ensemble des organisations qui y sont représentées en dehors des États membres, avec un statut qui leur permet certes de se faire entendre mais en aucun cas de participer à la prise de décision. Le terme, dans sa version anglaise (NGO) s’est depuis étendu hors la sphère de ces institutions, pour englober l’ensemble des associations, mouvements et partis (comme nous l’avons alternativement traduit dans ce texte, quand nous ne l’abrégions pas en “organisations”).

[2] “Libéral” au sens politique (dans la ligne de Toqueville) et non économique du concept.

[3] Dans un article uniquement publié en version hébraïque, “Kmo be-Diktatura – Comme en dictature”, Yédioth Ah’aronoth le 22 novembre 2011. Pour ceux de nos lecteurs lisant l’hébreu :

[->http://www.ynet.co.il/articles/0,7340,L-4151479,00.html]

[4] Dont ce projet de loi sur le financement des associations, à la fois sous la pression de l’opinion publique israélienne et des réactions internationales.

[5] Voir photographie de la manifestation du 28 novembre 2011, qui accompagne cet article.