article en anglais sur le site d’Haaretz

Haaretz, 27 avril 2004

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Extraits des notes d’un spécialiste en communication politique

Au début, les créatifs ont ete choqués : cela ne marchera pas. La nature prendra le dessus, et pire, on ne pourra pas vendre cela au public. Mais quand les collègues de gauche et au Parti travailliste ont dit que c’était impensable, je sus que ce n’était qu’une question de temps pour qu’il soit impensable de penser autre chose. Ainsi vont les grandes idées : après un moment de stupeur, vient le temps de la maturation. Et, plus tard, on se demande : mais comment se fait-il que
personne n’y ait pensé plus tôt?

Mais ce qui a fini de me convaincre, cela a été l’option par défaut. Tout simplement : il n’y a personne de comparable à notre homme. Notre camp n’a pas d’autre leader. Ceci est un fait : depuis bientôt dix ans, rien. Le carnage, idéologique, personnel, électoral. Et après Sharon, une crise au Parti travailliste serait d’autant plus mal vécue.

De toute façon, je sentais que ma grande idée commencait à prendre corps, vous me pardonnerez l’expression : présenter la candidature d’Itzhak Rabin, que sa mémoire soit bénie, à la tête du Parti travailliste et au poste de Premier ministre!

Nous nous sommes tout de suite rendu compte que le gros problème, pour vendre Rabin, n’était pas tant le fait qu’il soit mort, car cela nous donnait plutôt un certain avantage au départ sur le plan électoral pur, que la question d’Oslo, devenue en termes de campagne un sérieux fardeau. Mais un bon slogan (« Oslo est mort – Rabin est en vie ») pouvait tout à fait résoudre le probleme.

« Que voulons-nous en réalité? », demandai-je de facon rhétorique aux membres
du Parti travailliste, et je répondis : « un peu de tranquillité, l’air conditionné en été, le ministère des affaires étrangères, et deux Etats pour deux peuples. De toute façon, après Sharon, nous n’avons aucun candidat crédible, sauf peut-être Olmert (ministre Likoud, ndt). Et Rabin, c’est du teflon. Il l’a été et le sera toujours. Peut-être pas physiquement, mais électoralement, et au niveau de l’image. Depuis 10 ans maintenant, c’est le seul atout du camp de la paix. Pardon, du camp de la trêve ».

A mes collègues créatifs, je dis ceci : « malgré toutes les difficultés, malgré tous les problèmes, il faut y aller. Notre public en a assez. Le moment est venu d’exploiter la meilleure ressource d’Israël de ces dernières années : la mort » (et en mon for interieur, j’ai pensé exporter l’idée, par exemple Ceausescu en Roumanie ou Tito en Yougoslavie, mais je n’ai rien dit).

S. souleva certains problèmes pratiques, relatifs à l’esthétique et à l’hygiène. Je lui repondis : « les gars, on est au 21ème siècle, pas en Transylvanie du Moyen-Age. La mort n’est plus ce qu’elle était. Et sûrement pas au pays de la Zaka (organisation religieuse de secours, particulièrement active à l’occasion des attentats, ndt). Dans ce pays, la différence entre la vie et la mort a toujours été brouillée. Veuillez noter : en Israël, la nécrophilie est la nouvelle start-up ; Israël d’aujourd’hui est la Skeleton Valley du monde! »

G. souleva des questions éthiques et morales. Mais nous parvînmes à la
conclusion que, tout particulièrement depuis trois ans, la morale ne constituait plus un problème. « Notre code moral est cassé depuis longtemps. Nous n’avons plus de problèmes moraux, et si d’aventure nous en avons un, nous trouverons toujours un philosophe célèbre pour nous le régler sur-le-champ ».

Quelqu’un demanda : « attendez une minute. Tant qu’à faire, si on fait dans le post-mortem, pourquoi ne pas prendre Ben Gourion, par exemple? »

« Ben Gourion est ringard », expliquai-je. « Il ne passe pas à la télévision, et de toute façon, il est moins sécuritaire que Mofaz. Le Likoud va le manger tout cru au petit-dejeuner ».

L’honnêteté m’obligea alors à soulever deux problèmes. « Le premier problème
n’est pas tant la mort que quelque chose, ou quelqu’un, de nettement moins
irréversible, de bien plus déterminé et de bien plus éternel que le « Grand
Sommeil »
.

Silence. Tout le monde savait de qui je voulais parler. Même Peres.

 « Et le deuxième problème? »

 « Le public va-t-il se souvenir de lui? Avec l’amnésie qu’on connaît
aujourd’hui, c’est à peine si on se souvient de Mitzna.
 »

 « De qui? », chuchota quelqu’un. « De qui? »

Nous organisâmes une dernière séance de brainstorming. « Posons-nous la
question : est-ce réellement un problème de présenter aux élections quelqu’un qui …, disons, qui n’est pas très vivant? »

Nous pesâmes le pour et le contre : la mort apporte beaucoup en sincérité et
en intégrité, sans parler des économies sur les gardes du corps. Néanmoins,
un candidat mort peut avoir tendance à manquer relativement de souplesse, et
perd aussi beaucoup en vivacité. Mais combien de premiers ministres souples
et vivaces avons-nous eus? Vraiment, quelle différence?

P., qui depuis plusieurs années observe le fonctionnement des équipes de Barak, de Netanyahou et de Sharon, confirma qu’aujourd’hui, cela ne devrait pas poser de problème. Et puis, de toute façon, à quoi servent les experts? A quoi servent les porte-parole, les conseillers, les chefs de cabinet, les gardes du corps, les journalistes de cour, les entourages, les fuites à la presse, et les artistes du maquillage et de l’éclairage? Aujourd’hui, avec un bon plan médias, de bons coups de communication, et, bien sûr, un bon avocat, l’état physique du premier ministre d’Israël n’est qu’un élément dérisoire de son fonctionnement vu dans sa globalité.

En particulier quand l’opinion en a assez des zigzags. Assez ! Aujourd’hui, on veut quelqu’un de solide, avec les deux pieds sur terre.

Pour m’en assurer, j’appelai Fisher & Sons à Los Angeles, des collègues.

C’est Federico (un hispanique) qui répondit – leur meilleur expert. Il se trouve, d’après lui, que de nos jours, cette petite étourderie qu’on appelle la mort n’est plus considérée que comme un problème d’esthétique, assez facile a réparer. « Au moins sur la côte Est, il y a beaucoup de gens qui ont meilleure mine ‘après’ qu »avant’. Et ils sont aussi beaucoup plus calmes. Comment dire, il n’y a pas cette tension, ni toutes ces interférences, le stress, la responsabilité, la peur des attentats, tout ce qu’on appelle la vie (p… de vie) ; surtout chez vous autres, les Israéliens. »

Que dire? Cela m’a réellement fait envie. Mais j’avais du travail.