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Bitterlemons, 6 mars 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


1/ Une opinion israélienne

Non, il ne compte pas
par Yossi Alpher

« La balle est dans le camp des Palestiniens. Celui qui doit jouer, c’est le le futur gouvernement Hamas. Et Abou Mazen (Mahmoud Abbas), dans ce contexte, ne compte pas ». Ainsi s’exprimait la semaine dernière Tzipi Livni, ministre des Affaaires étrangères. Elle a raison.

Certaines bonnes volontés, en Israël, en Palestine et dans le reste du monde, veulent faire de Mahmoud Abbas un personnage « qui compte ». Elles nous rappellent que les accords signés par Israël l’ont été avec l’OLP, pas avec l’Autorité palestinienne, et que le Hamas ne fait pas (encore) partie de l’OLP. Elles font remarquer qu’Abbas a l’intention de renforcer l’OLP vis-à-vis de l’Autorité palestinienne. Elles notent que le Hamas n’a pas recueilli la majorité des suffrages palestiniens et qu’en conséquence, Abbas représente toujours la majorité des Palestiniens. Ils font rermarquer aussi que la plupart des Palestiniens, y compris de nombreux électeurs du Hamas, continuent à soutenir des négociations immédiates avec Israël et une solution à deux Etats. « La victoire du Hamas ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt », a déclaré la semaine dernière au New York Times Saeb Erekat, négociateur en chef des Palestiniens. « Le peuple palestinien veut une paix négociée, et en Mr Abbas, nous disposons d’un président de l’Autorité palestinienne et d’un président de l’OLP qui partage cette opinion, qui a le mandat pour agir et qui a la capacité de le faire.

Mais, dans la situation actuelle, Abbas ne compte pas, et pour le moment, un processus de paix n’est pas possible. Le Hamas est notre « partenaire », pour le meilleur et pour le pire.

Mahmoud Abbas est quelqu’un de bien, et il a des sentiments nobles. Il s’oppose à la violence et semble sincèrement désireux de parvenir à une solution à deux Etats. Il demeure président de l’Autorité palestinienne et de l’OLP. Jusque là, tout va bien. Mais il est incapable d’agir de façon décisive, et incapable de tenir ses promesses. Il avait promis de désarmer les milices (celles du Hamas, de l’OLP et du Jihad islamique), mais il n’a pas pu. Il a voulu nettoyer les rangs du Fatah et de l’OLP de sa vieille garde de politiciens corrompus, mais il a échoué.

Ses engagements idéologiques ne vont pas nécessairement, eux non plus, dans le sens d’une paix avec Israël. En mars 2005, au Caire, il fut d’accord avec le Hamas pour affirmer que le droit au retour devait s’exercer pour tous les réfugiés sur leurs terres d’origine : une recette certaine pour éliminer Israël. Auparavant, à Camp David et à Taba, en 2000-2001, il a fait partie de l’équipe de l’OLP dont les positions sur le Mont du Temple et sur le droit au retour ont contribué à faire échouer les négociations. Pour le dire brièvement : même s’il avait un mandat pour négocier et la capacité de le faire, il est probable que des négociations avec lui échoueraient. Dans l’hypothèse improbable où elle réussiraient, Abbas ne pourrait rien faire, car il n’a pas le mandat qu’a le Hamas.

Le fait que le Hamas ait receuilli moins de 50% des suffrages palestiniens le 25 janvier dernier est peu significatif : dans toute l’Europe, des partis au pouvoir sont élus avec moins de 50% des voix ; certains présidents américains ont eux aussi recueilli moins de 50% des suffrages. En Israël, il est question que le parti Kadima forme le prochain gouvernement avec moins d’un tiers des votes. Nous avons défendu avec force l’idée que les Premiers ministres Rabin et Sharon avaient un mandat pour agir, même quand leurs partis n’avaient eu qu’une fraction des suffrages et que leurs coalition étaient branlantes. En fait, les systèmes électoraux comme celui des Palestiniens sont conçus pour garantir le pouvoir à un seul parti, ce qui renforce la démocratie. Israël ne peut que regarder avec envie le succès « technique » du système palestinien (mais pas, bien entendu, son résultat politique : le Hamas au pouvoir).

Il se peut que la majorité des Palestiniens soit en faveur d’une solution négociée à deux Etats, mais elle est aussi pour les attentats à la bombe. Et si leur seule raison de voter Hamas était de jeter dehors l’establishment du Fatah, ils auraient pu voter pour des Palestiniens propres et laïques comme Salam Fayad, qui n’a obtenu que deux sièges. Le Hamas a honnêtement gagné sa majorité parlementaire. Maintenant, il doit exercer le pouvoir.

Il ne fait pas de doute que Mahmoud Abbas conserve d’importantes prérogatives, en tant que président et en tant que chef de l’OLP. Mais il a également l’obligation, en conformité avec l’accord du Caire, d’intégrer le Hamas au sein de l’OLP. S’il ne le fait pas, le Hamas pourrait déclarer que l’OLP « ne compte pas ». En outre, précisément parce qu’il est démocrate et homme d’honneur, Abbas ne neutralisera pas le parlement palestinien, mais il respectera la volonté du peuple palestinien. Il trouvera avec le Hamas une solution qui permettra à cette organisation d’exercer le pouvoir. Et Abbas aura sauvé la face.

Soit les Palestiniens modérés comme Erekat sont dans le déni, soit ils ne comprennent pas qu’ils ont été remplacés par les Frères musulmans, avec tout ce que cela implique pour la société israélienne et pour les relations israélo-palestiniennes. Israël, sans aucun doute, a une responsabilité dans l’échec d’Abbas et dans le triomphe du Hamas : il n’a pas su renforcer suffisamment Abbas, et il n’a pas rempli ses obligations dans le cadre de la Feuille de route. Mais nous faire porter, seuls, la responsabilité de la victoire du Hamas, comme le font de nombreux Palestiniens, c’est une autre forme de déni palestinien. Et cela ne change pas non plus la situation que nous devons affronter aujourd’hui.

Si un miracle se produisait et si le Hamas acceptait les conditions imposées par le Quartette, Israël pourrait se retrouver face à un partenaire viable avec lequel discuter d’un accord provisoire. Il vaudrait la peine d’attendre quelques mois pour vérifier cette thèse, ne serait-ce que pour garantir notre crédibilité compte tenu de ce qui nous attend. Le plus probable est que nous devrons agir de façon unilatérale. Dans cette perspective, ce qui « compte » pour Israël, c’est d’assurer son avenir en tant qu’Etat juif et démocratique : en démantelant les colonies éloignées et en achevant la clôture de sécutité, le plus près possible de la ligne Verte, y compris à Jérusalem.


2/ Une opinion palestinienne

Un rôle crucial
par Hassan Khatib

Il y a deux manières d’expliquer les récentes attaques israéliennes à l’encontre du président Mahmoud Abbas, dont on dit qu’il « ne compte plus » après la victoire du Hamas aux dernières élections palestiniennes.

L’une est à relier au climat général préélectoral qui règne en Israël, dans lequel les hommes politiques israéliens trouvent nécessaire d’adopter des positions extrêmes à l’égard de tous les sujets liés aux Palestiniens. La seconde serait, en quelque sorte, une tentative de refuser à Mahmoud Abbas toute possibilité de sauver son peuple de la crise intérieure et internationale qu’il connaît.

La victoire du Hamas et les réactions israéliennes et internationales ont créé une impasse à laquelle les deux côtés doivent trouver une issue. Le Hamas, dont la victoire a été écrasante, est en train de se rendre compte progressivement qu’il ne peut pas concrétiser sa victoire sans un niveau minimum de coopération avec d’autres forces sur le plan intérieur, et sans un niveau minimum de coopération avec la communauté internationale. Mais le Hamas ne sait pas comment s’y prendre.

La communauté internationale, de son côté, souhaite (et d’ailleurs y est obligée) préserver la survie de l’Autorité palestinienne, empêcher son effondrement et le chaos qui s’ensuivrait. La communauté internationale comprend que cela n’est pas possible sans un minimum de coopération avec un éventuel gouvernement Hamas, mais elle ne sait pas comment entamer pareille coopération.

Il se pourrait que Mahmoud Abbas soit la personne idoine pour créer une base commune qui assurerait un vote de confiance du parlement palestinien (où le Hamas domine) pour un gouvernement palestinien spécifique, et qui en même temps tiendrait compte de la nécessité du soutien de la communauté internationale pour que ce gouvernement puisse survivre.

Les deux côtés, à savoir le Hamas d’une part, et Israël et la communauté internationale d’autre part, ont besoin de Mahmoud Abbas. Ils doivent donc lui faire des concessions pour lui permettre de décider de grandes lignes qui soient acceptables pour les deux côtés. Ces concessions doivent être raisonnables. On ne peut pas exiger du Hamas des concessions qui videraient sa victoire de toute signification. On ne peut pas non plus attendre d’Israël et de la communauté internationale de renoncer à leurs intérêts, dont l’un est justement de maintenir en vie l’Autorité palestinienne, qu’on peut considérer en un sens comme un projet international : elle a été créée par un accord international, maintenue en vie grâce à l’aide internationale, et réformée après des pressions internationales.

En ce sens, Mahmoud Abbas « compte » énormément pour la société palestinienne, pour Israël et pour la communauté internationale. De fait, c’est lui, sa position et son approche, qui semblent être la seule issue de l’impasse actuelle, pour tout le monde.
Et pourtant, c’est précisément ce rôle potentiel que peut avoir Mahmoud Abbas dans le maintien de cette coopération vitale et nécessaire entre les Palestiniens, si on lui en donne la chance, qui semble être la cible des déclarations israéliennes, qui ne sont destinées qu’à l’affaiblir et à détourner l’attention de sa personne.

L’avantage de Mahmoud Abbas, c’est sa crédibilité, unique sur le plan intérieur comme sur le plan international, et son engagement envers une solution politique par la négociation et non par la violence. En outre, c’est le seul dirigeant palestinien qui dispose d’une légitimité égale, sinon supérieure,à celle du Hamas, car il a été élu par le peuple palestinien sur un programme en contradiction absolue avec celui du Hamas. C’est le programme de Mahmoud Abbas qu’il faut soutenir, en Palestine et à l’étranger.