Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Ma’aleh Miyus (qu’on peut traduire à peu près par « Haut-Degoût ») est le nom d’une nouvelle implantation que les membres d’un nouveau mouvement, la
« Ligne Verte – les Etudiants font la Frontière », ont l’intention de créer dans le Parc Rose, en face de la Knesset. Leur objectif est d’exiger « la fin immédiate de l’occupation, au nom de l’avenir d’Israël »».

Le mouvement est né il y a 2 mois, dans des circonstances bien improbables,
au cours du meeting à la mémoire d’Yitzhak Rabin, à Tel-Aviv. « Je sentais que je ne pouvais plus continuer », se rappelle Itamar Raz, 22 ans, étudiant en philosophie, économie et science politique à l’Université Hébraïque. « J’attendais des déclarations claires de la part des dirigeants, mais tout ce qu’on a eu, c’était des chansons. J’étais furieux ».

En errant parmi la foule, Raz découvre qu’il n’est pas seul. Il tombe sur un autre étudiant de l’Université Hébraïque, Avner Inbar, qui ressent exactement la même chose. « Il faut faire quelque chose », se disent-ils. Le lendemain, ils organisent une réunion à l’université, et ils sont surpris du succès. « Nous avions accepté le postulat que tout le monde avait viré à droite. Mais c’est absolument faux. La vérité, c’est qu’ils restent chez eux, à penser qu’ils sont les derniers à être de gauche. Nous n’avons pas de leaders, ni personne qui parle en notre nom. Alors, nous avons décidé de faire quelque chose ».

Depuis, la Ligne Verte a lancé quelques actions. Il y a 3 semaines, ils ont adressé une lettre au 1er Ministre Ariel Sharon : « nous, qui avons grandi dans une guerre absurde, qui tuait chaque jour des innocents des deux côtés, refusons de croire qu’il n’existe pas de solution, déclarons lancer par la présente une campagne d’opinion contre la politique d’occupation et de colonisation, et appelons les Israéliens à commencer à agir pour que la Ligne Verte soit la frontière entre Israël et l’Etat palestinien ».

Parallèlement, ils ont couvert l’autoroute Jerusalem-Tel-Aviv d’énormes pancartes appelant les gens a « renoncer au desespoir, quitter les territoires ». Le slogan, ainsi que l’emplacement des pancartes, répondait au slogan de la droite « éliminer Arafat, ramener l’espoir ». Pendant quelques jours, on a assisté à une guerre d’affiches entre les deux camps, chacun arrachant les pancartes de l’autre. Une conversation téléphonique avec le Conseil de Yesha (organistaion des colons, ndt) conduisit à une trêve. Les deux slogans sont maintenant déployés chacun d’un côté de la route.

Entre paix et réconciliation

L’histoire des mouvements protestataires en Israël montre que de nombreux
mouvements naissent et disparaissent avant que leur message ne soit entendu
par l’opinion publique. Il est difficile de prédire ce qui arrivera à la Ligne Verte. Mais son apparition indique un certain réveil du camp de la paix. Dans les rapports entre les différents mouvements, dans les news qui circulent sur internet, ce réveil est effectif. Même si ces mêmes news ressemblent un peu à un médecin observant un certain progrès chez un patient dans un état critique.

Mais il est faux d’assurer que le mouvement pour la paix n’existe plus parce que l’opinion a viré en bloc à droite. Ce qui a changé est le sentiment, pas l’ambition d’atteindre une solution fondée sur le principe de 2 Etats pour 2 peuples. Entre juillet 2000 (Camp David) et décembre 2001, le Dr Yaakov Shamir (département de communication et Institut Truman, Université Hébraïque) et le Dr Khalil Shikaki (Centre Palestinien de Politique et d’Opinion Publique, Ramallah) ont mené une serie de trois enquêtes d’opinion publique, étudiant les attitudes des publics juifs et arabes en Israël, et des Palestiniens des territoires. Malgré l’intifada, malgre la terreur, et malgre le sentiment qu' »il n’y a personne à qui parler » que les porte-parole du gouvernement tentent tellement de nourrir, de facon surprenante, il n’y a eu que peu de changements dans la proportion de juifs croyant en la possibilité d’une paix permanente.

En juillet 2000, quelque 55% des juifs interrogés croyaient en cette possibilité. En juillet 2001, le chiffre était descendu à 50%, et en décembre, le déclin s’était poursuivi pour atteindre 46%. Les résultats montrent que malgré l’image communément admise (y compris dans le camp de la paix), l’intifada n’a eu qu’un impact limité sur les attitudes de fond de la population juive d’Israël.

Ce qui a changé est la croyance en la possiblité d’une réconciliation. Entre juillet 2000 et décembre 2001, la proportion de ceux qui « ne croient pas à la réconciliation même en cas de paix » est passée de 27% à 36%. Une proportion importante de l’opinion publique perd espoir en une réconciliation, même au cas où un accord politique interviendrait. Par le passé, paix et reconciliation étaient quasiment synonymes. Aujourd’hui, l’opinion fait la différence.

C’est sur ce fil, entre soutien à un accord politique et manque de confiance
en une reconciliation, que le camp de la paix se tient en équilibre, en essayant de transformer des pas hésitants en marche digne de ce nom. Il n’est pas vrai que le camp de la paix n’existe pas. C’est seulement qu’il ne sait pas comment formuler son nouveau message à l’opinion. Ces dernières années, les militants des mouvements pour la paix se sont impliqués dans des actions de réconciliation, en supposant que la paix était à portée de la main. Aujourd’hui, ils doivent revenir aux fondamentaux, dans un contexte dans lequel le mot « paix » a perdu son sens.

« Notre grand problème est que nous n’avons pas su toucher l’opinion avec un
message de rechange », dit le Professeur Arieh Arnon, l’un des fondateurs de
Shalom Akhshav. « Mais avant tout, il nous faut reconstruire le camp lui-même. Shalom Akhshav a toujours été un mouvement réactif, et il faut que cela change. Le fait d’attendre le bon moment pour agir paralyse l’action quotidienne ».

Une petite manifestation, samedi soir devant la résidence du 1er Ministre, a prouvé combien il était difficile pour le camp de la paix de trouver grâce aux yeux de ses propres membres. Après la démolition de maisons à Rafah jeudi dernier, qui a soulevé la gauche, la manifestation semblait hors contexte. Les slogans et les chants contre l’occupation et les colonies ne semblaient pas en rapport avec la réalité. Même la chanson chantée pendant la guerre du Liban et réécrite « descends, avion, et emmène-nous à Hebron, on se battra pour Sharon et on retournera dans un cercueil » (en hébreu, cela rime) sonnait comme un anachronisme. Personne ne parlait des démolitions dans le camp de réfugiés. La même manifestation aurait pu avoir lieu il y a deux ans, ou pour la circonstance, il y a 17 ans.

Disperser le brouillard

Néanmoins, il se passe quelque chose dans le camp de la paix. La meilleure
chose qui pouvait lui arriver a été l’election du ministre de la défense, Benjamin Ben-Eliezer, à la tête du Parti travailliste. Qu’un politicien aussi éloigné du camp de la paix dirige aujourd’hui la « gauche » a provoqué un afflux de sang neuf dans les veines sclérosées du camp de la paix.

L’histoire du camp de la paix montre que les gouvernements d’union nationale
le paralysent, mais le changement à la tête du Parti travailliste a dispersé une partie du brouillard créé par ce gouvernement. Des semaines de calme relatif, accompagné d’actions moralement indéfendables par Tsahal, semblent avoir reveillé des militants qui, pendant toute l’année ecoulée, se terraient chez eux

Le changement le plus profond a été la reprise des actions en commun avec les Palestiniens, par tous les mouvements pour la paix, emmenés par la Coalition pour la Paix. Il semble que les Palestiniens aient eux aussi compris qu’en suspendant ces actions pendant toute l’année dernière, ils assassinaient le camp de la paix israélien, et se tiraient une balle dans le pied.

La Coalition pour la Paix, à l’intérieur de laquelle Shalom Akhshav est le principal moteur, est une organisation qui rassemble la plupart des groupes en faveur de la paix, ainsi que l’opposition parlementaire, avec l’ensemble du Meretz et les colombes travaillistes emmenées par Yossi Beilin. Ces derniers mois, la Coalition s’est trouvé un allié du côté palestinien, avec des gens comme Sari Nusseibeh, Yasser Abed Rabbo, Rassan al-Khatib, et Hanan Ashrawi. La Coalition Israélo-Palestinienne est née lors d’une rencontre entre la dirigeante de Shalom Akhshav Janet Aviad, Beilin et Abed Rabbo, il y a deux mois à Washington. Cette semaine, elle prévoit une réunion commune de ses 2 comités, israélien et palestinien, en vue de formuler des plans d’action, avec le plan Clinton comme plateforme commune.

Il y a 15 jours, bien plus de gens que prévu ont assisté à la réunion de la Coalition pour la Paix dans les bureaux de Sari Nusseibeh à l’hôtel New Imperial. Avec Yossi Beilin et Yossi Sarid, le député Roman Bronfman et l’ensemble du Meretz, il y avait d’anciens militants israéliens pour la paix, et de nouveaux militants palestiniens, qui n’avaient jamais participé à ce genre de réunion. Des dizaines de personnes sont restées dehors, faute de place. Le point d’orgue a été de nouveau la signature d’une déclaration commune.

La communauté palestinienne semble attacher une grande importance à de
telles déclarations. Pour de nombreux militants israéliens, c’était une erreur, non seulement en raison des nombreuses déclarations communes qui sont restées lettre morte, mais aussi en raison du sentiment qu’une déclaration commune semble arrêter un processus, ou pour le moins crée l’impression que quelque chose se fait, alors qu’en réalité, rien ne change. Le peuple du camp de la paix est en effet tout à fait capable d’entendre des idees nouvelles. Mais, plus important, il a besoin de sentir une dynamique, et de savoir qu’il y a de l’autre côté quelqu’un avec qui parler, sans déclaration mettant fin au processus de dialogue.

La presse israélienne indifférente

Pendant la tenue de la réunion au New Imperial Hotel, de l’autre côté de la ville avait lieu une grande marche organisée par la Coalition des Femmes pour la Paix et par différentes organisations, étrangères comme israéliennes. Cette marche s’est terminée par une manifestation d’une importance tout a fait inattendue, devant la Porte de Jaffa à Jérusalem. Les deux événements ont été tres bien couverts par les médias du monde entier.

Mais les médias israeliens ont ignoré les deux événements, comme d’ailleurs
la plupart des efforts des mouvements pour la paix. « Nos médias fonctionnent
selon l’humeur de l’opinion, et non selon une analyse objective des circonstances », deplore le Dr Yaron Ezrahi, du département de science politique et de l’Institut Truman, à l’Université Hébraïque. « La gauche n’a en ce moment aucune influence sur l’opinion, et en consequence, les médias l’ignorent. Ce faisant, ils trahissent l’éthique de leur profession. Tout comme les politiciens, la presse lit les sondages pour savoir comment se comporter. Au lieu de confronter l’opinion à une analyse de la réalité, elle lui tend un miroir qui lui renvoie son reflet. C’est bien, mais ça n’aide pas l’opinion ».

La commission « relations publiques » de la Coalition pour la Paix doit se réunir dans les prochains jours. La commission comprend Beilin, Sarid, Haïm Oron (Meretz), Tzali Reshef et Didi Remez de Shalom Akhshav, ainsi qu’un expert en communication proche du mouvement. Ils vont travailler à une campagne de communication. Entre autres, il sera question de la proposition de Beilin d’organiser des déplacements en bus de militants pour la paix vers l’Egypte et la Jordanie, et d’envoyer des délégations en Europe, pour montrer une « alternative d’un autre Israël ». Mais la cible principale demeure l’opinion publique locale des deux côtés, en Israël et en Palestine.

Samedi prochain, des militants de terrain de la Coalition pour la Paix, une trentaine d’Israéliens et une trentaine de Palestiniens, prévoient de se rencontrer pour discuter des actions futures, y compris des manifestations dans la rue. Si cela marche, ce sera la première fois que des militants palestiniens pour la paix sortiront dans la rue, auprès de leur communaute. Plus que jamais, les deux côtés ont besoin l’un de l’autre pour montrer qu’il y a un interlocuteur. Mais avant tout, le camp de la paix doit avoir quelque chose à dire.