[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/592484.html]

Ha’aretz, 27 juin 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Quiconque parcourt aujourd’hui Israël, ses rues et ses routes, a l’impression d’être un privilégié dont les pieds fouleraient le berceau de la démocratie. Et les masses s’expriment par des rubans. Chaque antenne de voiture a quelque chose à dire. Une Subaru enrubannée d’orange côtoie, pare-chocs contre pare-chocs, une Mazda en bleu et blanc. La première clame son opposition au désengagement, la seconde son soutien. Exemple d’une société civile active, paradigme d’un débat public civilisé? Quel dommage, à première vue, qu’une poignée d’extrémistes, les fruits pourris du panier, vienne gâcher l’humeur des automobilistes qu’ils coincent dans les embouteillages.

Car, c’est vrai, d’après un récent sondage du Truman Institute de l’Université Hébraïque de Jérusalem, pas plus de 3% des gens comptent participer activement à l’opposition au désengagement. Même parmi les colons, seule une faible minorité (11%) compte se rendre dans la bande de Gaza pour faire obstacle à l’évacuation.

Et pourtant, la marée de rubans orange (4 Israéliens sur 10 s’identifient à eux) administre une fois de plus la preuve que la démocratie n’est en rien une garantie de sagesse. Que se passe-t-il dans la tête d’un citoyen ordinaire de Tel-Aviv, Hedera ou Tibériade quand il attache un ruban orange à son antenne? Ne réfléchit-il pas cinq minutes à ce qui arrivera au lendemain du jour où son vœu sera exaucé?

Le plan de désengagement, c’est vrai, n’offre pas matière à réjouissance dans le camp de la paix. Votre serviteur a souvent énuméré ses défauts et averti qu’il avait été créé pour enterrer la « Feuille de route » américaine. Mais il y a quelque chose de pire que ce plan : c’est ne pas l’appliquer. Son avortement équivaudra, sous les yeux du monde entier, à la négation de toute possibilité de paix, car un Etat incapable de supporter la douleur qu’inflige la renonciation à la bande de Gaza refusera très certainement d’endurer les tortures du partage de la Cisjordanie et de Jérusalem.

Choisir l’orange, c’est choisir une théocratie nationale-religieuse, la perpétuation de l’occupation, le conflit violent, un régime d’apartheid, le défi aux Etats-Unis et au monde entier, l’isolation d’Israël et la crise économique. De surcroît, le plan ayant reçu l’approbation du gouvernement et du Parlement, choisir l’orange, c’est voter la censure de la démocratie israélienne.

Le sondage cité plus haut montre que, si près de 40% des Israéliens s’opposent au désengagement, 62% sont favorables au démantèlement des colonies dans les territoires dans le cadre d’un accord de paix avec les Palestiniens. Il faut d’ailleurs être un disciple extraordinairement zélé d’Ariel Sharon pour croire que la sortie de Netzarim (dans la bande de Gaza) nous rapproche d’un iota de l’évacuation de Kiryat Arba (colonie près de Hebron, en Cisjordanie) ou de la fin du conflit. Même Dov Weisglass, le conseiller le plus proche de Sharon, a suggéré de préserver ce rêve dans du formol.[[Sur les suites des déclarations de Dov Weisglass (qui a déclaré que le désengagement de Gaza permettrait de mettre le processus de paix dans du formol), voir par ex l’article de Ze’ev Schiff : « Retirer le plan de retrait des mains de Sharon »
[->http://www.lapaixmaintenant.org/article846]
ou celui d’Ephraïm Sneh :  » Le plan de Sharon perpétuera la guerre  » [->http://www.lapaixmaintenant.org/article845]
Voir aussi le discours de Yasser Abed Rabbo à la conférence d’Herzliya : [->http://www.lapaixmaintenant.org/article960] ]]

Mais les « bleu et blanc », la majorité qui soutient le désengagement, ne se soucie guère de la nature unilatérale du retrait. Pour eux, pour autant que cela les concerne, il suffit que nous sortions de Gaza et que nous montrions aux « orange » qui donc est le patron. Les avant-postes, les confiscations de terres, les démolitions de maisons, et bien sûr les négociations de paix, tout cela peut attendre. Il est probable que lorsque Sharon voit tous ces rubans orange depuis sa limousine, il rigole un bon coup. Avec leur aide, dans un mois ou deux, lui aussi attachera un ruban à son antenne. Un ruban orange.

Et pendant ce temps, les ministres travaillistes, représentants naturels des « bleu et blanc », se sont endormis et ne surveillent plus Sharon. Ils ne lèvent pas le petit doigt pour l’obliger à renforcer la position de nos partenaires pragmatiques dans les territoires, à commencer par Mahmoud Abbas. Aucun n’ose s’élever contre le complot qui consiste à transformer l’évacuation des colonies de la bande de Gaza en un échec exemplaire des Palestiniens et en un paradigme de traumatisme israélien.

Et personne n’agite le ruban qui pourtant conviendrait le mieux au plan de désengagement : le ruban noir, qui avertirait de la transformation de « Gaza d’abord » en la fin de la paix.