À voir la coalition faucon qui gouverne en Israël et la longue crise de la direction palestinienne dans les Territoires, on a peine à croire que, l’année prochaine, nous serons un peuple libre à Jérusalem, capitale d’Israël et de la Palestine.

Sans parler de nations qui n’ont aucun des attributs de la démocratie ni même son masque, il est d’autres États qu’Israël où la menace – réelle, supposée ou prétendue – d’atteinte à la sécurité nationale mène à des politiques susceptibles d’attenter à la démocratie. Le paradoxe n’est pas nouveau, et l’on a pu entendre, face à la montée du fascisme en Europe au siècle passé : « Pas de liberté, pour les ennemis de la liberté ! » Difficile équilibre… dont font parfois les frais, à la fois ceux qui se battent pour leur propre liberté et ceux qui se battent pour celle de tous. Quid de la Vendée attachée à ses prêtres ? Quid des révolutionnaires auxquels Bonaparte confisquera les clefs de la Cité ?

Comme vient opportunément nous le rappeler l’ancienne antienne de Pinhas Sapir : « Si nous maintenons notre emprise sur les territoires occupés en 1967, c’est nous qui serons bientôt sous la leur. » Israël en est là, depuis de trop longues années. Il lui reste à s’en libérer.


La première nuit de la Pâque, fête de la liberté, le chant « Esclaves nous étions, et aujourd’hui, aujourd’hui enfants de la liberté » résonnera partout dans le pays tandis que les Juifs prendront place pour célébrer le Séder [1]. Mais chaque année ces mots perdent un peu de leur force, chaque année de plus en plus d’Israéliens, d’êtres libres, se font esclaves. Esclaves de l’instinct de puissance et de l’angoisse, esclaves de la terre, esclaves régnant sur un autre peuple.

Une nation qui a conquis sa liberté politique après des millénaires d’exil est devenue l’esclave de zélotes juifs, l’esclave de fossoyeurs ayant conclu un pacte de sang avec les zélotes musulmans ; l’esclave d’un gouvernement qui a détourné en programme de politique étrangère et en propagande à usage interne les mots [de la Haggadah] : « Génération après génération, ils se dressent contre nous pour nous anéantir. »

Un bref – trop bref – laps de temps, nous avons respiré le parfum d’une authentique liberté. Cela alla de décembre 1966, avec l’abolition du règne de l’armée dans les régions d’Israël à majorité arabe [3], à l’instauration du règne de l’armée dans les territoires occupés en juin 1967. Ce fut une période de libération de la discrimination notoire exercée à l’encontre de la minorité palestinienne livrée à notre bon vouloir. L’affranchissement de la peur du voisin et de la terreur du démon démographique.

Levi Eshkol, Premier ministre considéré comme pusillanime sinon lâche, comprit alors qu’il ne pouvait y avoir de démocratie avec des citoyens de première zone jouissant d’une liberté souveraine et des citoyens de seconde zone dont la liberté était soumise à des restrictions. Eshkol n’était pas d’extrême-gauche. Non plus que le légendaire ministre des Finances Pinhas Sapir, auteur de cette mise en garde : « Si nous maintenons notre emprise sur les territoires occupés en 1967, c’est nous qui serons bientôt sous la leur. »

À voir la coalition faucon au pouvoir en Israël et la longue crise de la direction palestinienne dans les Territoires, on a peine à croire que, l’année prochaine, nous serons un peuple libre à Jérusalem, capitale d’Israël et de la Palestine. La « négociation en cours » est devenue le nom de code d’un processus d’extension des implantations et de construction d’avant-postes.

D’éminents responsables des services de sécurité ont prédit que l’absence d’espoir en une solution au conflit allait produire un nouveau cycle de violence dans les Territoires. Des diplomates ont prédit un déclin du statut international d’Israël. La justification coutumière – « Nous n’avons pas de partenaire pour la paix… » – s’est muée en alibi d’une politique qui se résume à attendre sans lever le petit doigt ; elle est devenue la recette la plus sûre pour perpétuer une situation de maîtres et d’esclaves dans les Territoires. Plus les négociations reculent, plus le jour approche où le nombre des esclaves surpassera celui des maîtres.

Comment sortir de ce gâchis ? Le mouvement Âthid Ka’hol-Lavan (Avenir Bleu-Blanc) est dirigé par Ami Ayalon, qui fut ministre, chef des services de sécurité intérieure – le Shin Beth – et commandant de la marine israélienne ; l’homme d’affaires Orni Petrushka ; et l’avocat Gilad Sher, qui mena pour Ehud Barak les pourparlers avec les Palestiniens. Ils ont forgé un archétype de solution diplomatique. Leur plan ne dépend pas de la reprise des négociations. Ils proposent, en vue de parvenir à une solution au conflit, des « avancées constructives unilatérales ». En d’autres termes, une série de pas qui fassent progresser dans les faits la mise en place graduelle de deux États.

Les points essentiels de ce plan :

• Une déclaration du gouvernement israélien affirmant ne pas réclamer de souveraineté sur les territoires situés à l’est de la barrière de séparation, et sa volonté de ramener à l’intérieur des frontières israéliennes proprement dites les colons installés dans ces régions ou hors des grands blocs d’implantation ;

• Un gel de la construction à l’est de la barrière et dans les quartiers arabes de Jérusalem ;

• La poursuite de la construction à l’intérieur des blocs d’implantation à titre de pressions pour une reprise des pourparlers, faute de quoi la barrière marquera la frontière définitive ;

• La réglementation des cas d’évacuation volontaire et des compensations attribuées aux résidents des implantations isolées, indépendamment d’un accord permanent ;

• La préparation d’un programme national d’absorption des colons revenant en Israël proprement dit, qu’un accord ait été signé ou non.

Les dirigeants du mouvement augurent de cette dynamique positive qu’elle fera lever l’espoir et encouragera les parties à ouvrir des négociations sérieuses sur la base des frontières de 1967 assorties d’échanges territoriaux. Ils s’efforcent de donner au plan son impulsion en dialoguant avec les colons, et entretiennent des relations suivies avec les idéologues à leur tête. Les économistes à leur service ont intégré les leçons de l’évacuation de la bande de Gaza, et trouvé dans le centre du pays (à l’exception de Tel-Aviv) des solutions en termes de logement et d’emploi destinées à l’ensemble des résidents des implantations isolées.

Le programme d’Âthid Ka’hol-Lavan n’est pas parfait. Mais, considérant la méfiance et le fossé entre les positions des parties, il paraît être la seule alternative à l’impasse, et/ou à l’apartheid, et/ou à des négociations stériles menant à la violence. Peut-être qu’à la prochaine célébration pascale de la liberté nous parachèverons le récit fait à nos enfants de la sortie d’Égypte grâce aux nouvelles de la sortie de l’implantation d’Yitzhar. Si vous le voulez, ce ne sera pas une légende.


NOTES

[1] Le Séder marque le premier soir de la Pâque (voire, en Diaspora, les deux premiers) d’un repas cérémoniel où le rituel alimentaire se veut mémoriel : le h’arosseth couleur de brique, les herbes amères ou l’eau salée, sans parler du pain sans levain, etc., évoquent chacun un épisode de la sortie d’Égypte – dont ils ponctuent le récit pédagogique.

[2] Pédagogique en effet, la lecture de la Haggadah shel Pessa’h (litt. le « Dit de la Pâque ») vient répondre aux questions chantées des plus jeunes : « En quoi cette nuit diffère-t-elle de toutes les autres nuits ? » Versets du Livre de l’Exode et autres extraits du Pentateuque, fragments des Psaumes, cantiques et comptines, jeux et explications s’inscrivent dans l’ordonnancement (litt. Séder) de cette célébration de la liberté retrouvée.

[3] Officiellement instaurée en octobre 1948 (dans la foulée des lois d’exception britanniques à l’encontre du “Yishouv”, la population juive de la Palestine mandataire), l’administration militaire fut mise en place dans les régions à forte population arabe : la Galilée, le « Petit Triangle » au centre du pays, et le Néguev. Durant cette longue période, les citoyens arabes du pays, tant électeurs qu’éligibles, furent soumis à des contrôles et restrictions de déplacement de toute sorte…

Le déclenchement des opérations militaires, en 1956, s’accompagna ainsi d’un strict couvre-feu visant les agglomérations arabes de ces régions. Les consignes étaient formelles et aboutirent à la monstrueuse « bavure » de Kafr Kassem, dans le Triangle, dont les hommes partis comme à l’accoutumée travailler à Tel-Aviv ou alentour ne purent revenir à temps et furent passés par les armes par un officier zélé. Le scandale fut à la mesure, et donna lieu à un procès où ne payèrent que les militaires impliqués sur le terrain. Seul point positif, le droit, voire le devoir de refuser d’exécuter un ordre allant à l’encontre de la morale fut reconnu… clause de conscience sur laquelle s’appuyèrent nombre de ceux qui refusèrent de poursuivre à Beyrouth une guerre amorcée en deçà du Litani.

À l’exception des deux cités mixtes de Haïfa et Jaffa, où elle avait été abolie dès 1949, l’administration militaire se perpétua cependant, en dépit des recommandations successives de diverses commissions d’étude et des prises de position de plusieurs partis – repoussées par David Ben-Gourion tant qu’il fut Premier ministre. Ce ne fut qu’en 1966 qu’elle fut abolie par Lévi Eshkol, son successeur.