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Ha’aretz, 21 novembre 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Avant et pendant sa visite aux Etats-Unis, le Premier ministre Ehoud Olmert a annoncé qu’il apporterait avec lui un grand nombre de surprises, si seulement Mahmoud Abbas est prêt à le rencontrer. Le président de l’Autorité palestinienne ne peut même pas imaginer ce qui l’attendra lors d’une telle réunion, repoussée d’ailleurs depuis des mois sinon des années. Mieux vaut tenir une rencontre dans les bois que trois promesses tenues. C’est toujours comme cela que les choses fonctionnent quand on se rend au Bureau Ovale : à l’aller, montagnes et collines à gravir, plaines et vallées tranquilles au retour. La route qui mène à Ramallah passe par Washington, et elle fait 10.000 kilomètres.

Marwan Barghouti, lui, ne va nulle part. Il demeure dans sa prison de Hadarim, condamné cinq fois à perpétuité par un tribunal civil. Des « sources bien informées » se sont assurées de faire savoir qu’il n’y avait aucune chance pour qu’il soit libéré dans le cadre d’un éventuel échange entre détenus palestiniens et le soldat enlevé Gilad Shalit. Le gouvernement ne veut pas libérer Barghouti, point barre. Encore une de ses erreurs.

Non pas que Barghouti soit un Juste, dans une région où les Justes n’existent pas, mais il n’a pas de « sang sur les mains ». Au pire, le sang lui est monté à la tête après l’assassinat ciblé et malheureux de son ami Rami Kaed. Il est possible que Barghouti soit responsable d’attentats terroristes, mais il s’agit de la « responsabilité du commanditaire » (ce qui, en soi, constitue une base sérieuse pour être condamné). Le problème, c’est qu’il n’y a personne de l’autre côté qui n’ait aucune responsabilité en la matière. Et qui, du nôtre n’en a pas? Tout le monde a déjà baigné au moins une fois dans le fleuve de sang, et il est tout à fait possible de baigner deux fois dans ledit fleuve de sang, le sang des innocents. Chacune des personnalités avec lesquelles nous avons négocié (et avec lesquelles nous négocierons encore) est malheureusement connue pour avoir été un commanditaire de terroristes. Barghouti, en l’espèce, n’est ni pire ni meilleur.

Dans son chaos, le paysage politique palestinien se divise en deux camps principaux, tout le reste étant des groupes dissidents ou dissidents de dissidents. Le camp modéré reconnaît Israël et est prêt à accepter son existence, alors que le camp radical-extrémiste refuse tout compromis et considère Israël comme un élément étranger qu’il faut éradiquer. Bien qu’Israël fasse tous les efforts possibles pour brouiller les frontières entre ces deux camps et n’en faire qu’un, Barghouti appartient toujours au camp de la réconciliation, et quiconque fait autorité en Israël ne peut contester cette analyse. Depuis sa prison, il a soutenu l’élection de Mahmoud Abbas à la présidence, alors qu’il aurait eu les moyens d’agir autrement.

En prison, c’est lui qui a rédigé le « document des prisonniers » conçu par des membres du Fatah et du Hamas, qui appelle à deux Etats sur la base des frontières de 1967, adopte les accords précédents conclus entre les deux parties et renonce à la lutte armée dans les territoires non occupés. Il ne s’agit pas d’un document parfait, et les Israéliens ne sont pas invités à le signer, mais indiscutablement, il constitue une base raisonnable de discussion.

Il n’y aura pas de troisième camp palestinien qui conviendrait mieux à Israël. Et pour Israël, Barghouti est le dirigeant palestinien le plus souhaitable. Même en cherchant bien, il n’est pas possible de trouver un leader palestinien plus populaire. Il y a à peine quelques jours, un sondage a été réalisé dans les camps de réfugiés du Liban, et encore une fois, même là-bas, il s’est confirmé que Barghouti était le plus populaire, plus que Khaled Mesh’al et plus encore que Mahmoud Abbas. La prison israélienne a fait de lui un martyr, et lui donne l’image d’un homme courageux, intègre et populaire. Barghouti est un shahid de son vivant.

Il est vrai qu’Abbas suscite l’admiration pour sa force morale. Il est si difficile, et presque surhumain, de dominer ses passions et de ne pas brûler dans le fourneau des calamités quotidiennes. Mais il ne peut pas agir seul, et il a besoin d’aide. Personne ne peut l’aider mieux que Barghouti. Avec Barghouti à ses côtés, Abbas pourra s’asseoir à la table des négociations sans que sa chaise ne branle sous lui.

Et qu’arrivera-t-il le jour où Abbas disparaîtra de la scène? Qui lui succèdera? Dans la situation actuelle, seul un éternel partisan du refus du Hamas pourra lui succéder, car au sein d’un Fatah affaibli, il n’y a pour le moment aucun successeur naturel. Israël va-t-il continuer à maintenir Barghouti en prison, tant que celui-ci ne sera pas lui aussi affaibli prématurément? Est-ce cela, le plan secret d’Olmert?

Un jour viendra, et il n’est pas loin, où Marwan Barghouti prisonnier sera nommé président de l’Autorité palestinienne, ou président de la Palestine. Et que ferons-nous alors? Le monde entier (y compris l’Amérique, qui est en train de changer) exigera la libération immédiate des hommes élus par le jeu de la démocratie, idéal de George W. Bush, inventeur bien connu des démocraties.

Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Les gouvernements israéliens feront toujours ce qu’il faut trop tard. C’est ainsi qu’ils aiment faire les choses.