Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


On peut supposer sans grand risque de se tromper que la plupart des Israéliens n’ont jamais visité, ni ne visiteront jamais, la colonie de Beit El. Ils n’ont donc aucune idée de ce qu’un habitant de cette grande colonie voit quand il ouvre sa fenêtre.

A l’est, le colon ne voit que du militaire. La route qui conduit à son agglomération traverse une immense base de Tsahal, par le passé centre d’entraînement n° 4, mais aujourd’hui quartier général des énormes forces protégeant Beit El et ses environs. Pour rentrer à la maison, il faut donc passer entre des tanks et des dépôts d’armes, ce qui en soi est déjà une drôle d’expérience.

A l’ouest, le colon peut voir une route désolée, encombrée de pierres et d’obstacles divers. C’est l’ancienne route Ramallah – Naplouse, la route nationale à l’abandon depuis que toute circulation y est interdite. Si le colon regarde un peu plus loin, il verra des taches jaunes sur les bas-côtés d’une route, dans la vallée en contrebas. Ce sont des taxis palestiniens, qui roulent sur les pistes en terre, et transportent les quelques personnes qui contournent les checkpoints a pied. Dans le vent et le froid, on fait son chemin d’un checkpoint a l’autre. Pas le choix.

Légèrement au nord, surplombant une route abandonnée, se trouve un important
groupe de vilaines maisons surpeuplées, entourées de barbelés comme une
prison. C’est la que vivent environ 6.000 Palestiniens, habitants du camp de
réfugiés de Jalazun, piégés depuis des mois a l’intérieur du camp. De temps
en temps, ils arrivent à se faufiler à l’extérieur à pied, à travers les wadis, mais les soldats sont susceptibles de tirer sur eux, comme cela est déjà arrivé plus d’une fois. Partir en voiture n’est qu’un rêve inaccessible, évidemment.

Malheureux et désespérés, ces gens ont été deja frappés deux fois par le destin, en 1948 et en 1967. Maintenant, ils sont aussi privés de leur liberté de mouvement et de leur gagne-pain misérable. Piégés dans leur camp, il ne leur reste qu’à regarder avec envie les mega-colonies spacieuses et florissantes qui ont poussé près de chez eux.

Légèrement au sud de Jalazun, le colon peut voir le checkpoint de Surda où, il y a 15 jours, un soldat a été tué en protégeant Beit El. Au sud-ouest, pas beaucoup plus loin, se trouve le checkpoint d’Ein Ariq, plus enterré et fermé que jamais. C’est à cet endroit que six soldats de Tsahal, stationnés là pour protéger la poignée d’habitants des colonies de Dolev et de Talmon, voisines de Beit El, ont été tués.

Au nord-ouest s’étend le campus de l’Université de Bir Zeit. Le rêve de milliers de jeunes, qui ont le même que les jeunes de Beit El, c’est-à-dire faire des études et une carrière, a été remis à plus tard. L’université est fréquemment fermée puis rouverte, les deux dernières années universitaires ont ete bouleversées à cause checkpoints, et quand il est possible d’atteindre le campus, ce n’est faisable qu’à pied.

Un regard à l’est : à côté des bases militaires, le colon peut voir une longue file de Palestiniens marchant silencieusement le long des barbelés, à l’ombre des tanks. Des enfants et des personnes âgées, des femmes enceintes et des malades, portant des sacs et des paniers, terrorisés par les tourelles des tanks. Ce sont les habitants des villages environnants, qui ne peuvent rejoindre la ville la plus proche, Ramallah, leur source de vie, qu’à pied. Ils font les 6 ou 7 kilomètres pour le travail, les courses ou le dispensaire. Les voitures des colons les dépassent, roulant sur une route qui n’est ouverte qu’aux juifs.

Le journaliste Yoav Yitzhak, qui aime la justice, a écrit dans Ma’ariv, avec une certaine dose d’abomination, qu’il n’était pas normal que ces salauds de villageois soient autorisés à marcher près des colonies, mettant ainsi en
danger leur sécurité. Emouna Ellon, qui habite Beit El, a dit dans une émission de télévision que son coeur était retourné à la vue de ces pélerins. Peut-être l’horrible plan de son mari, le ministre du Tourisme Benny Ellon (extrême-droite, ndt) de chasser tous ces villageois de leurs terres, résoudra-t-il le problème. D’ailleurs, en-dehors de ces déclarations moralisatrices, le sort de ses voisins ne semble pas la préoccuper, pas plus que ses amis.

Des tanks, des checkpoints, des routes « séparées racialement », des longues files de gens à pied, des ambulances sautillant sur des routes caillouteuses, et de terribles souffrances, voila ce qu’un colon de Beit El peut voir chaque jour de sa fenêtre. Et il vit très bien avec tout ça.

Il est difficile de comprendre comment, parmi les 5.000 habitants de Beit El, ne se trouve aucun Juste de Sodome, aucun qui ne se lève et admette que sa colonie, comme toutes les autres, est la cause de toute cette souffrance. Comment se fait-il qu’aucun colon de Beit El ne perde le sommeil à l’idée de la femme sur le point d’accoucher qui ne peut atteindre l’hôpital, des malades qui meurent le long des routes poussiéreuses, des enfants qui doivent marcher pour rendre visite à leur grand-mère?

Il doit falloir une bonne dose de sang-froid pour rouler vers chez soi sur une route en bitume et voir des gens en nombre forcés de marcher dans la boue et les gravats, et ce au nom de l’existence de sa colonie, et pour continuer à croire en la justice de ce chemin tordu ; et d’assister à toute cette souffrance sans un battement de cil. Le débat autour des colonies ne peut pas être seulement un débat politique, il est aussi profondement moral, à cause de la souffrance humaine qu’elles imposent à leurs voisins.

Mais cependant, ce n’est plus seulement la souffrance des Palestiniens voisins que les colons portent au-dessus de leur tête, ils portent aussi la vie des soldats qui les défendent.

Il faut que la vérité soit dite : si Beit El, Talmon et Dolev n’étaient pas là, les checkpoints de Surda et d’Ein Ariq n’y seraient pas non plus. Ils n’ont aucun rapport avec la sécurité de l’Etat, et les 7 soldats tués jusqu’à maintenant seraient encore en vie. Le sort de ces soldats ne pose-t-il pas non plus de problème à Beit El?