Jerusalem Post, 25 septembre 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


A NOTER : peu de temps après la publication de cet article, Sam Bahour a pu rentrer en Palestine. Voir sa lettre : [->http://www.lapaixmaintenant.org/article1395]

Ces 15 derniers jours, j’ai passé des heures à tenter d’aider un ami. Bon, ce n’est pas vraiment un ami, c’est à peine si nous nous sommes rencontrés.

Pendant des années, nous avons échangé des emails, et nous avons participé ensemble à une conférence à l’université de Tel-Aviv. J’étais impressionné par ses manières douces et son attitude décidée dans la vie.

Par de nombreux points, il me rappelle mon cas. Il a immigré dans ce pays par profond idéalisme. Il sentait qu’il rentrait chez lui. Il voulait servir son peuple, bâtir une vie pour lui-même et pour sa famille. Comme moi, il a immigré des Etats-Unis. Il y a vécu pendant des années et y a accompli un certain nombre de choses, dont se faire un nom dans le monde des affaires.

Son nom est Sam Bahour, et il est palestinien. Il est rentré en Palestine au tout début du processus de paix, pour bâtir le nouvel Etat et contribuer à la paix. Il croyait au processus de paix et voulait faire sa vie au sein de son peuple.

A Ramallah, Sam a créé une société hi-tech, et aussi un petit centre commercial. Il avait un rôle actif et central dans la vie sociale et intellectuelle de Ramallah.

Sam est partout, toujours prêt à donner un coup de main, toujours prêt à rencontrer des Israéliens parce qu’il croit à la paix. Il a de nombreux amis israéliens partout en Israël. Il a même un MBA délivré par l’université de Tel-Aviv.

Le seul endroit où Sama n’a pas d’amis, c’est l’Administration civile, et c’est là qu’il en aurait besoin, plus que jamais.

Quand Moshe Arens était ministre de la défense, au début des années 90, il a formé une commission, dirigée par le professeur Ezra Sadan, pour réexaminer la politique économique d’Israël en Cisjordanie et à Gaza. La commission Sadan avait recommandé, et le ministre Arens a appliqué, un changement de politique majeur qui, de fait, encourageait les investisseurs d’origine palestinienne à « retourner » en Cisjordanie et à Gaza pour investir et créer des emplois.

Quand le processus de paix se mit en route, après 1993, cette politique fut développée et les expatriés palestiniens furent appelés par le gouvernement israélien comme par l’Autorité palestinienne à retourner en Palestine et à y bâtir leur avenir tout en contribuant à la paix.

Ce que fit Sam. Mais ce que Sam ignorait, c’est qu’Israël continuerait à contrôler le registre de la population, et qu’il devrait quitter le pays tous les trois mois pour pouvoir rester au pays.
Sam est un citoyen respectueux des lois, et donc, tous les trois mois, il quittait le pays pour renouveler son visa de touriste valable trois mois.

Tout le monde savait que Sam n’avait rien d’un touriste, mais on jouait le jeu des apparences pour qu’il puisse demeurer à Ramallah avec femme et enfants et continuer à diriger l’affaire florissante pour laquelle il avait travaillé si dur.

Depuis des années, des milliers de personnes jouent le même jeu. Sam fit une demande de regroupement familial en 1994, avant l’avènement de l’Autorité palestinienne. Il faut également noter que des milliers de Juifs vivent depuis des années en Israël avec des visas de touristes, sans être le moins du monde menacés.

A la fin du mois, soit dans quelques jours, Sam devra une nouvelle fois quitter le pays, mais cette fois, il ne reviendra pas. Quelqu’un a décidé que le jeu était terminé.

Un certain M. Gour Lavie, chargé du registre de la population en Cisjordanie, m’a dit la semaine dernière : « Regardons les faits en face. Nous savons tous que ce n’est pas un touriste. »

« Exact, nous le savons tous », ai-je répondu.

Alors, dit mon interlocuteur, « qu’il fasse une demande de regroupement familial. »

Idée brillante! Depuis 2000, quelque 120.000 demandes de regroupement familial ont été déposées, mais depuis le début de l’Intifada en septembre 2000, l’Etat d’Israël a arrêté d’examiner ces demandes.

Réaction de l’officier du registre : « c’est son problème » – et il a raison. C’est son problème, mais cela devrait être aussi le nôtre.

Il y a quelque chose qu’il faut bien comprendre. Sam Bahour n’a pas envie d’habiter en Israël. Il vit à Ramallah, et veut continuer à vivre à Ramallah. Lui aussi veut arrêter de jouer à ce petit jeu.

Et il n’est pas le seul. Il fait partie des milliers de Palestiniens qui n’ont pas de carte d’identité émise par l’Autorité palestinienne. Ainsi, il ne dispose d’aucune carte d’identité approuvée par l’Etat d’Israël. Sam Bahour n’a que son passeport américain, qui ne lui sert plus à rien pour avoir l’autorisation de vivre à Ramallah.

Le fonctionnaire auquel j’ai parlé applique une pollitiqe qui n’est rien d’autre qu’une forme de nettoyage ethnique, mais ce n’est pas lui qui a pris la décision. Ce n’est qu’un fonctionnaire de niveau intermédiaire dans un pseudo-système gouvernemental de contrôle appelé « occupation ».

C’est l’un de ses supérieurs qui a pris la décision. Son supérieur direct étant le chef de l’Administration civile, il semblerait qu’un général aurait pris la décision. Mais ce n’est pas le général Karim Abou Rukon, chef actuel de l’Administration civile. Cela est venu de plus haut. Abou Rukon dépend du général Yossef Mishlev, coordinateur des actions du gouvernement dans les territoires, mais ce n’est pas non plus le général Mishlev qui a pris la décision. Elle a été prise par le minsitre de la défense, non pas Amir Peretz, mais son prédécesseur, Shaul Mofaz. Ce fut probablement l’une des dernières décisions qu’il ait prises avant de quitter son poste. Il est possible que Peretz ne soit même pas au courant de cette décision, et de son impact sur des dizaines de milliers de gens en Cisjordanie.

Il est temps de mettre fin à cette farce. Quand j’ai immigré en Israël, je suis devenu résident temporaire. Quand j’ai été prêt, on m’a accordé la citoyenneté et la résidence permanente.

Sam Bahour n’a pas encore d’Etat duquel devenir citoyen, mais on pourrait certainement lui accorder une forme de résidence pour lui permettre de continuer à être le citoyen exemplaire qu’il est. Nous, les Israéliens, aurions intérêt à garder Sam Bahour et les milliers d’autres comme Sam, en tant que voisins en Cisjordanie. Les chances de bâtir une paix véritable augmentent quand des gens comme Sam Bahour peuvent être nos voisins. Honte à un gouvernement d’Israël qui forcerait des gens comme Sam à partir!

Au cours des derniers jours avant Yom Kippour, nous devrions tous demander pardon à Sam Bahour et corriger une fois pour toutes l’injustice qui lui est faite, ainsi qu’à des milliers d’autres. C’est la chose la plus juive à faire, en particulier pendant les jours saints qui séparent Rosh Hashana (nouvel an) de Yom Kippour (jour du Grand pardon).