Pendant plus de vingt ans, il y eut une solide alliance entre deux contraires: les colons et les couches défavorisées, entre le sionisme national-religieux et les pauvres. Une alliance que la gauche sioniste a été incapable de briser, une alliance qui a réussi à s’opposer à tout effort pour faire avancer le processus de paix.


Le Parti travailliste a (re)découvert les colonies. On a ressorti un vieux slogan – « l’argent pour les quartiers, pas pour les colonies » – on l’a dépoussiéré et on lui a redonné vie, Ben-Eliezer et Mitzna le brandissant à tout bout de champ.

Si l’objectif du slogan est de s’adresser aux pauvres d’Israël (les mots « quartiers », « périphérie », « villes de développement, etc., ne sont que des euphémismes pour parler de la pauvreté), il ne marchera pas.

Il ne marchera pas parce que pendant plus de vingt ans, il y a eu une solide alliance entre deux contraires : les colons et les couches défavorisées, entre le sionisme national-religieux et les pauvres. Une alliance que la gauche sioniste a été incapable de briser, une alliance qui a réussi à s’opposer à tout effort pour faire avancer le processus de paix.

La vraie question est : comment est-ce arrivé? Comment des élitistes, concernés uniquement par le principe de la terre d’Israël, ont-ils pu réussir à toucher le coeur des gens dont le souci principal est de survivre, aujourd’hui et demain?

Y a-t-il des préoccupations communes aux colons et aux pauvres? A première vue, non. A l’ouest, l’Etat-providence s’effondre, alors qu’è l’est, dans les territoires, il est florissant – pour les colons. Alors, quelle est la raison de cette alliance? En voici la raison.

Si l’on considère l’époque où Yitzhak Shamir était Premier ministre, on se rend compte qu’un mouvement de transfert a atteint à ce moment son apogée, et qu’il avait des caractéristiques sociales claires. Des gens venant des couches les plus défavorisées de la société – habitants de taudis, jeunes couples sans le sou – réunirent alors leurs maigres affaires pour se construire des maisons à des prix ridiculement bas, dans une colonie.

C’est ainsi qu’Ariel se developpa, que Givat Zeev prospéra, que Maale Adumim s’agrandit, qu’Oranit fut construite. Des dizaines de milliers d’émigrants effacèrent alors la ligne Verte. Ils choisirent de s’établir loin de leurs proches, quelques-uns pour seulement survivre, d’autres pour réaliser le rêve de la classe moyenne : avoir une villa avec jardin.

Quand Ehoud Barak a parlé à Camp David de maintenir 80% des colons chez eux, c’était de ces gens qu’il parlait, ceux que, pendant des années, on a appelé ironiquement « les colons – qualité de vie ». Ils ont été le carburant de la machine de colonisation, et s’y sont installés non par idéologie, mais pour des raisons pratiques.

En déménageant dans les colonies, ils se sont assuré un logement décent, un réseau d’emplois et d’établissements scolaires, et, cerise sur le gâteau, ils sont devenus une nouvelle élite.

Il est peu probable qu’une famille qui s’est transportée du quartier défavorisé de Jesse Cohen, à Holon, vers la colonie de Ginot Shomron, par exemple, ait considéré les colonies comme « un obstacle à la paix ». Pour eux, il s’agissait d’une ascension sociale. Un investissement dans une colonie, c’était un investissement pour eux-mêmes.

Au moins une personne a saisi ce processus socio-économique, processus aux implications politiques claires : le rabbin Ovadia Yossef. Il y a deux mois, le guide spirituel du Shas a donné sa benediction aux colonies, et le Shas fait maintenant une cour ouverte aux électeurs de l’autre côté de la ligne Verte, ne pouvant faire campagne contre les intérêts d’une grande partie de ses électeurs potentiels.

En redonnant vie au slogan « l’argent aux quartiers, pas aux colonies », la « gauche » prouve son aveuglement. Ces dix dernières années, les investissements dans les colonies n’ont pas empêché les dirigeantstravaillistes et du Meretz de participer à la course à la privatisation des systèmes éducatifs et sanitaires à l’intérieur d’Israël.

Amnon Rubinstein, du Meretz, a privatisé le système educatif, sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec les investissements au-delà de la ligne Verte. Et si les travaillistes revienent au gouvernement demain, ils continueront à privatiser les ressources nationales; et continueront à tailler dans le budget de l’Etat.

Les différences entre Sivan Shalom (actuel ministre des finances, Likoud, ndt) et Avraham Shokhat (ex ministre des finances, travailliste, ndt), qui a appelé son parti à voter le budget, sont insignifiantes.

Si Shochat avait été ministre des Finances depuis un an et demi, Shalom l’aurait appelé à « modifier les priorités et investir davantage » dans la périphérie et à Beer Sheva.

Depuis 1967, la gauche israélienne n’a pas su imposer son propre ordre du jour, elle n’a fait que s’opposer à celui de la droite. Le slogan « de l’argent pour les quartiers, pas pour les colonies » est né en réaction à un projet de Menahem Begin (« le renouveau »).

Tant que la gauche ne présentera pas un programme positif, et à elle, l’alliance tragique entre les colons et les pauvres se perpétuera. Le Parti travailliste se doit de dire ce qui doit être fait, pas ce à quoi il s’oppose. Il doit avoir un véritable plan pour une nouvelle
répartition des richesses, sans euphémismes géographiques tels que les « quartiers », car aujourd’hui, la pauvreté est quasiment partout.

Tant que cette alliance se renforcera, il sera possible de continuer à éluder les problemes sociaux et à favoriser les colonies.

Et il n’y aura pas non plus de paix. Ni même de processus de paix.