Il y de nombreuses similitudes entre « le printemps arabe » et les mouvements sociaux qui, depuis un mois, mobilisent la société israélienne. L’âge des manifestants, d’une part. Comme au Caire ou à Tunis, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération qui jusqu’à présent semblait se désintéresser des questions politiques. L’utilisation des réseaux sociaux et l’absence des partis politiques dans l’organisation des manifestations, d’autre part.

Il y a cependant une différence majeure. Dans les pays arabes, l’objectif des manifestants était de faire tomber des régimes autocrates, ce qui n’est pas le cas en en Israël. Ce qui rassemble les manifestants, largement soutenus par la population (plus de 80 % aux derniers sondages), ce n’est pas la volonté de faire chuter le régime, mais une aspiration commune au retour de l’Etat providence qui fut le modèle de la société israélienne jusqu’à son démantèlement progressif depuis une vingtaine d’années, principalement sous l’impulsion de Netanyahu.

Dans cet article, Ari Shavit nous explique comment cette politique ultra-libérale, qui a fait d’Israël un des pays les plus inégalitaires aujourd’hui dans le monde occidental, détruit peu à peu la cohésion même de la société.


La vraie question est : en quoi croit Benjamin Netanyahu ? Au Grand Israël ? Plus maintenant. À la paix ? Pas encore. À la colonisation ? Pas du tout. Au partage de la terre ? Pas vraiment.

Il croit en la construction d’un pays puissant. Il pense que l’Etat d’Israël assiégé ne pourra subsister que s’il est une puissance économique et il est convaincu que la voie pour faire d’Israël une puissance économique est la privatisation. Netanyahu a beau parler à la Churchill, son rêve est celui de Reagan et de Thatcher. Il croit que, de même que Reagan a restauré les USA par le marché et Thatcher revivifié la Grande-Bretagne par le marché, il renforcera Israël par le marché. La privatisation, la compétition et la suppression des barrières bureaucratiques amèneront la prospérité d’Israël et lui permettront de bondir en avant. L’économie libérale sauvera l’Etat juif en lui fournissant les moyens de se défendre.

Dans une certaine mesure, l’analyse de Netanyahu de la situation d’Israël est juste : une croissance rapide est une respiration pour le pays. Israël ne peut se permettre de somnoler comme la Grèce, le Portugal ou l’Italie. Pour faire face aux défis, il faut se muscler. Mais dans une autre mesure, l’analyse est viciée à la base. Israël doit, non seulement pour des raisons morales mais aussi pour des raisons stratégiques, être égalitaire. Négliger les jeunes ployant sous le faix et la classe moyenne n’est pas seulement un crime, c’est une idiotie. Pour subsister, la puissance économique israélienne doit constituer une société solidaire attachée à des valeurs.

L’erreur de Netanyahu est une erreur historique. Dans une situation de semi guerre, il ne peut y avoir de capitalisme débridé, de domination complète par les forces du marché. Ce n’est pas un hasard si le concept de société de bien-être (welfare society) est né à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas un hasard si la loi garantissant des études supérieures a été promulguée aux USA en 1944. Face à Hitler et Staline, même des conservateurs comme Churchill et des républicains comme Eisenhower ont compris qu’il fallait imposer des limites au marché. Ils ont compris qu’une société qui mobilise ses fils et exige qu’ils risquent leur vie doit être solidaire. Sans solidarité minimale et sans justice sociale elle ne vaincra ni ne subsistera.

Reagan et Thatcher en ont jugé autrement, mais leurs révolutions étaient les manifestations d’un temps de paix. C’est 30 à 40 ans après la Grande Guerre que les USA et la Grande-Bretagne ont tourné le dos à la société et se sont abandonnées au marché. En Israël, la guerre n’est pas finie, c’est un pays entre-deux-guerres. Ce pays mobilise encore ses fils et ses filles et parfois exige qu’ils sacrifient leur vie. Il ne peut donc suivre la voie de Reagan et Thatcher. En lieu de quoi, et dans ce contexte historique, la social-démocratie n’est pas un caprice de gauchistes et de staliniens, mais une nécessité stratégique suprême. Israël a autant besoin d’une société unie, juste et puissante que d’une économie forte.

Cette évidence, Netanyahu a refusé de l’entendre. Son reagano-thatcherisme a fait se déchirer la société israélienne ; il a créé la prospérité économique au prix du pourrissement de la société. Le reagano-thatcherisme de Netanyahu est anti-churchillien. Au lieu de construire ici une puissance économique et sociale capable de répondre aux défis qui l’entourent, il a créé un Etat spoliateur au service des colons, des ultra orthodoxes et des oligarques. Au lieu de forger un Etat juif, démocratique et moral, il a mis en place un Etat opposé à la majorité qui produit et qui crée. Au nom du marché et des forces du marché, il a fait dégénérer les infrastructures publiques et dangereusement affaibli Israël.

C’est pourquoi cet instant est décisif. La crise est une occasion, la dernière occasion. Netanyahu n’a pas à obtempérer aux exigences des chefs du mouvement ; il faut qu’il écoute enfin ce cri qui monte des divers “campements” – malgré les manipulations politiques, ce cri est authentique. Il faut que Netanyahu comprenne ce que Churchill a su comprendre. Il faut un new-deal israélien.