Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Les colons de Kiryat Arba, avec l’aide active de l’Administration civile et de l’armée, tiennent leur promesse : créer « une continuité territoriale entre Kiryat Arba et le caveau des Patriarches ». Moins de trois semaines après l’embuscade fatale du Jihad islamique, ou 12 soldats et officiers de sécurité israéliens ont été tués, la réponse sioniste appropriée prend une forme physique : caravanes et ordres de démolition, comme tout le monde le prévoyait. De nombreux Palestiniens n’habitent plus le long du chemin qui relie Kiryat Arba à la vieille ville de Hebron. Ils se sont enfuis par peur des colons.

Des maisons à moitié détruites, perles architecturales vieilles de plusieurs centaines d’années que les Palestiniens n’ont pu rénover faute d’exercer un contrôle civil sur la zone de la vieille ville, seront détruites. Des immeubles moins anciens seront probablement détruits, eux aussi. Mais il s’agit du genre d’information qui s’évapore très vite dans un pays occupé à la fois à enterrer ses morts, victimes des attentats terroristes, et par les élections toutes proches.

La mise en oeuvre continue des plans de colonisation du Premier ministre Ariel Sharon, aidé par sa loyale armée de colons, n’est pas un information, même pas quand l’un des leaders de ces colons, le maire de Kiryat Arba, Tsvi Katsover, met à jour la vision géographique/démographique/militaire qui se cache sous la détermination et l’obstination qui l’animent, lui et ses camarades.

« Quand la grande guerre commencera, et que les Arabes s’enfuiront d’ici, tôt ou tard, nous retournerons dans les maisons », a-t-il dit le 27 novembre au journaliste Benny Liss (première chaîne de télévision). C’est une phrase courte, mais qui en dit beaucoup. On peut en déduire plusieurs choses. La « grande guerre », apparemment comparée à la « petite guerre » que nous connaissons ces dernières années, est sans doute une guerre régionale, ou peut-être une guerre qui sera décrite comme une lutte entre la lumière et les ténèbres. L’islam contre le judaïsme et le christianisme, ou « entre civilisations », l’Islam des Ténèbres contre l’Occident des Lumières. C’est un événement qui surviendra, sans aucun doute, et il n’y a aucune raison d’empêcher qu’il survienne. En fait, peut-etre vaudrait-il mieux qu’il survienne. En fait, il faudrait plutôt l’encourager, si ce qui en découle est positif, bien sûr, parce que « les Arabes s’enfuiront ».

Il est difficile de croire que Katsover ne parle « que » des Palestiniens de Hebron. La « grande guerre », après tout, ne touchera pas seulement la vieille cité des patriarches. Selon cette logique, ce n’est pas seulement à Hebron, mais dans tout le pays que des étrangers (c’est-à-dire des non-Juifs) sont en possession de terres juives. Cette logique catastrophique se superpose très exactement aux croyances religieuses/nationalistes qui guident les colons pionniers depuis 35 ans, une foi en une promesse divine concernant la terre d’Israël au peuple d’Israël. Il s’agit d’une combinaison entre une foi en une intervention divine inévitable au service du peuple juif, ayant pour base une interprétation religieuse fondamentaliste, et une croyance que c’est du devoir des individus d’agir pour hâter l’arrivée du happy end.

Cette logique catastrophique ne guide pas seulement les fondamentalistes juifs. La même logique religieuse/déterministe remplit, encore et encore, les réservoirs de kamikazes palestiniens, ceux qui préparent les bombes et lancent les cocktails Molotov vers les tanks qui roulent dans les villes palestiniennes, des gens dont les chances de se faire tuer sont bien supérieures à celles d’entamer le blindage des tanks.

Le désir de vengeance peut constituer la motivation de l’individu qui prend la place du Palestinien capturé, interrogé, tué ou blessé par les opérations de Tsahal. Mais les mouvements islamistes qui exploitent le phénomène ont leur propre vision mortifère.

Eux aussi croient que la terre a été donnee par une promesse divine, mais aux musulmans. Eux aussi s’appuient sur des textes. Eux aussi croient que la promesse divine s’accomplira, tôt ou tard, et que « Dieu aide ceux qui s’aident eux-mêmes », ce qui signifie qu’il ne faut pas attendre sans rien faire que le happy end survienne. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement dans les cercles du Hamas et du Jihad islamique qu’on peut entendre des jeunes expliquer que le jour viendra où le monde musulman tout entier s’enrôlera au service de la cause de la guerre contre Israël, et que ce sera une « grande guerre », terrible et globale, mais qui finira par « libérer » la terre promise. On entend maintenant cette rhétorique religieuse chez les jeunes du Fatah, qui deviennent de plus en plus orthodoxes..

Cette logique palestinienne/islamiste catastrophiste se nourrit de la faiblesse de la société palestinienne défaite par les opérations militaires israéliennes. Et la vision juive catastrophiste se nourrit, elle, à la fois d’un sentiment de désespoir personnel face à l’échec des opérations militaires sisyphéennes à tenir la promesse d' »éradiquer le terrorisme », et d’une armée puissante qui, de plus en plus, dicte l’ordre du jour civil, alors que la limite entre foi nationaliste et foi religieuse de ses officiers les plus éminents se brouille de jour en jour.