Haaretz

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(Trad : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant)


par Youli Tamir[[Signataire du pacte de Genève, Youli Tamir est députée travailliste.
Ancien ministre, elle fait partie des fondateurs de Shalom Akhshav (La Paix
Maintenant).]]

Pour la huitième commemoration de l’assassinat d’Yitzhak Rabin, une
quatrième balle a été tirée, destinée, celle-là, à tuer sa mémoire. Le timing n’a rien de surprenant. Le réveil de la gauche fait peur à la droite. Le rassemblement d’une gauche défaite sur la place Rabin aurait été toléré, mais une gauche qui envoie une message d’espoir, c’en est trop, et il faut donc la réduire au silence. Cela peut etre fait en parlant de trahison, comme l’a fait le député du PNR Shaul Yahalom à l’égard des initiateurs du pacte de Genève. Cela peut être fait aussi en baillonnant la place Rabin, comme ont essayé de le faire tous ceux qui ont fait l’éloge de Rabin à la Knesset. Le Premier ministre Ariel Sharon, le président de la Knesset Reuven Rivlin (Likoud) et Shaul Yahalom s’en sont pris a la commémoration et au ton très politique des orateurs qui y ont pris la parole. « Moi aussi, je veux être sur la place (Rabin) », ont dit en choeur les députés de droite et les colons. « Je veux y être, mais on ne me le permet pas, parce qu’on y parle des accords d’Oslo que je deteste, et qu’on y chante ‘le Chant de la Paix' ».

Le président Moshe Katsav a été encore plus loin en suggérant que la
commémoration de l’assassinat de Rabin soit découplée de l’anniversaire d’Oslo. Ainsi, on ne pourrait plus dire pourquoi Rabin a été assassiné. Tout au plus pourrait-on alors remarquer qu’au cours de ses derniers jours, il fut impliqué dans une sorte d’accord diplomatique dont on a déjà parle en septembre. Cela permettrait aussi de ne plus chanter « le Chant de la Paix », que chantait Rabin à la tribune, quelques instants avant d’être tué. La dernière image de la place Rabin ne serait plus montrée, a cause de la présence de banderoles de Shalom Akhshav (La Paix Maintenant), la silhouette de Shimon Peres serait effacée, parce qu’il est le chef de l’opposition, et du dernier discours de Rabin, on ne garderait que la phrase neutre : « La violence ronge les fondations de la démocratie ». Il ne serait fait aucune mention des incitations à la haine, sauf de celles d’Avishai Raviv (agent
des services de renseignement infiltré dans les milieux d’extrême-droite, ndt). On ne montrerait pas les images des violentes manifestations qui ont précédé le meurtre, mais seulement des critiques prudentes et courtoises de cet accord dont nous avons parlé en septembre. Et Rabin serait critiqué pour avoir, au temps de cet accord, dont nous avons parlé en septembre, agi de manière peu démocratique en négligeant d’être à l’écoute des sentiments des colons. Alors, le premier ministre, des masses de colons, la jeunesse de Bnei Akiva (mouvement de jeunesse religieuse nationaliste, ndt), et la droite venue de tout le pays afflueraient vers la place Rabin. Seuls mes amis et moi, qui étions présents sur la place au moment du meurtre, ne serions pas là.

Ceux qui étaient présents sur la place Rabin, cette terrible nuit du 4 novembre, étaient venus parce qu’ils croyaient en Rabin et en la paix. Ceux qui etaient là, et ceux qui croient aux messages envoyés depuis cette place, y reviennent poussés par la colère et par le désir de faire revivre ces moments d’espoir. Je connais des gens qui y retounent chaque année avec sur eux la chemise qu’ils portaient la nuit de l’assassinat, avec encore les mêmes autocollants, avec la banderole qu’ils portaient cette nuit-là, avec leurs enfants qui ont grandi entre temps, et leurs petits-enfants nés depuis. Personne ne leur volera leur espoir, leur mémoire et leur place.

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On ne peut pas déformer l’Histoire. Rabin n’a pas été assassiné parce qu’il a fait partie du Palmah, ou parce qu’il a libéré Jérusalem, ou parce qu’il a été un excellent premier ministre, un bon époux et un bon grand-père. Il a été assassiné à cause d’Oslo. A cause de l’incitation à la haine. A cause de ceux qui sont aujourd’hui sur les tribunes officielles et qui parlent de tolérance, et qui en ce temps-là gardaient le silence. De la poche du costume de Rabin, maculé de son sang, ce sont les paroles du « Chant de la Paix » qu’on a sorties, pas celles d’une autre chanson, et les derniers mots qu’il a prononcés furent des mots de paix. Cela doit etre rappelé lors des cérémonies officielles. Il faut s’exprimer contre l’incitation à la haine, et montrer les documents relatifs à ces jours terribles de violence qui ont précédé l’assassinat. Il faut montrer la manifestation de droite à Jérusalem et celle de la place Rabin, et ne cacher aucune des banderoles, de l’une comme de l’autre. Il faut montrer les dernières images et ne pas cacher le
visage de Peres, et il faut raconter l’histoire de la vie de Rabin, qui a pris fin si cruellement à cause de sa foi dans le processus d’Oslo.

L’attaque orchestrée par la droite contre l’appropriation de la mémoire de Rabin oblitère le fait qu’aujourd’hui aussi, le premier ministre et Shaul Yahalom pourraient participer à des cérémonies officielles sans fin et condamner l’assassinat. L’ont-ils fait? Les colons ont-ils participé a une seule cérémonie en mémoire de Rabin? Si l’on en croit la liste des cérémonies publiée par le Centre Rabin, la reponse est non. L’amère vérité est que cette exigence de neutralité ne decoule pas d’un désir sincère de la part de la droite de marquer l’assassinat de Rabin (elle dispose de tous les moyens de le faire, aujourd’hui comme hier), mais représente plutôt une tentative méprisable de réduire la place Rabin au silence, et de lui ôter son âme. Cette tentative ne réussira pas. L’année prochaine aussi, nous serons sur la place Rabin. Et nous terminerons avec le « Chant de la Paix »,
la dernière chanson chantée par Rabin avant qu’il n’ait descendu les marches.