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United Press International, 3 novembre 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


L’été dernier, une équipe de la télévision d’Abou Dhabi se joint à un long convoi d’automobiles qui pénètrent dans la plus grande base militaire israélienne d’entraînement pour unités de combat. Là, elle monte dans un bus pour « Chicago », un faux village arabe où les soldats s’entraînent avant d’aller dans les territoires occupés. Cette fois-là, ils s’entraînent en vue du retrait de la bande de Gaza.

Quelques semaines plus tard, alors que la bande de Gaza est zone fermée, une équipe de télévision arabe pose sa caméra près de la frontière de la bande et obtient une interview exclusive avec Dan Haloutz, chef d’état-major. Les autres journalistes et équipes de télévision réunis là restent à distance, jaloux.

La plupart des chaînes arabes n’auraient pas osé interviewer des Israéliens, et encore moins des officiers, mais les temps changent. Ce changement a commencé il y a neuf ans, quand Al-Jazira a commencé à émettre, à engager des vétérans du service arabe de la BBC et à vouloir présenter tous les aspects d’un reportage, même ceux qui dérangent ses téléspectateurs (et c’est bien sûr le cas d’Israël).

Walid al-Omari, responsable du desk Israël-Autorité palestinienne d’Al-Jazira, se rappelle avoir interviewé des Israéliens depuis le premier jour : « nous avons tout le temps eu des interviews avec des Israéliens. Il n’y avait aucune limite ».

D’autres chaînes, comme Al Arabiya, la chaîne d’Abou Dhabi ou MBC, chaîne appartenant à l’Arabie saoudite, ont suivi. Progressivement, les officiels israéliens se sont ouverts à elles, le ministère des Affaires étrangères et le bureau du porte-parole de l’armée y envoient des arabophones.

Jusqu’en 2000, les contacts ont été sporadiques. Mais depuis le déclenchement de l’intifada, ils sont beaucoup plus nombreux, note Amira Oron, une Arabe israélienne porte-parole adjointe du ministère des Affaires étrangères. Al-Jazira et Al Arabiya la contactent plusieurs fois par semaine, dit-elle.

Le major Eitan Arusy, son homologue à l’armée (parti depuis à New York) se rappelle avoir emmené une équipe de télévision arabe dans une base aérienne et fait asseoir le journaliste dans le cockpit d’un F-16. Cela aurait été inimaginable auparavant.  » Personne n’aurait pensé cela possible, surtout à cause des réticences des Juifs », dit Arusy. « Les gens me disaient ‘tu es fou ?’, et je répondais qu’il y a des journalistes juifs bien pires (que les Arabes) ».

Les Israéliens sont très preneurs d’apparitions sur les chaînes arabes, remarque Amira Oron. Par Al-Jazira, par exemple, ils peuvent toucher bien plus de Palestiniens de Cisjordanie ou de la bande de Gaza que par toutes les autres chaînes réunies. Walid al-Omari confirme : « nous n’avons aucun problème à avoir des Israéliens. A part quelques extrémistes qui refusent de donner des interviews à Al-Jazira, la plupart des représentants israéliens acceptent ».

Les téléspectateurs arabes étaient violemment contre le fait que des porte-parole, représentants ou journalistes israéliens apparaissent à l’écran, se rappelle Mohamed Dourrachad, sous-directeur de la télévision d’Abou Dhabi.

Al-Jazira a été accusée de « diffuser le poison sioniste » et d’être « au service du Mossad », raconte S. Abdallah Schleifer, du Centre Adham au Caire. Les téléspectateurs arabes appelaient Al-Jazira pour se plaindre que des représentants israéliens parlent de combattants pour la résistance comme de « terroristes » et qu’ils justifient la politique israélienne, se rappelle Sana Abdallah, correspondante d’UPI à Amman.

La plupart des gens n’aiment pas voir des représentants de l’armée israélienne s’exprimer sur les chaînes arabes, en particulier quand ils défendent les bombardements israéliens sur les territoires palestiniens, rapporte Dalal Saoud, correspondant d’UPI à Beyrouth.

Les Palestiniens, davantage que les autres Arabes, ont davantage l’habitude du dialogue avec les Israéliens, même si certains n’apprécient pas ces programmes, dont ils ont le sentiment qu’ils mettent les positions israéliennes sur un pied d’égalité avec la leur, affirme Aref Hirawi, directeur de l’institut d’étude des médias à l’université de Bir Zeit, en Cisjordanie : « en général, les Palestiniens attendent du monde arabe sympathie et soutien, et ils n’aiment pas savoir que des Arabes ne font que regarder les deux côtés en pensant qu’ils sont à égalité ».

Cependant, progressivement, les gens acceptent ces apparitions comme « faisant partie de la règle du jeu pour une chaîne professionnelle qui veut être crédible », dit Sana Abdallah.

Il arrive fréquemment que les présentateurs posent des questions difficiles et mettent les porte-parole en difficulté. « Si les Palestiniens pensent que leur cause est juste, ils ne doivent pas avoir peur que leurs opposants exposent la leur », dit Aref Hirawi.

Pour Amira Oron, ces programmes aident Israël à faire passer son message à des millions d’Arabes, bien mieux que n’importe quel autre média, ou que n’importe quel représentant : « ils (les Arabes) voient que nous n’avons pas de cornes sur la tête ».
Parfois, le message est indirect. Quand une chaîne montre le député arabe israélien Mohammad Barakeh qui interpelle Ariel Sharon et que le président de la Knesset n’arrive pas à le faire taire, le message qui passe est celui d’une « démocratie dans ce qu’elle a de meilleur », dit-elle.

Pour Eitan Arusy, un reportage en direct où l’on voit l’armée israélienne à Gaza descendre le drapeau après 38 années d’occupation a démenti les affirmations du Hamas selon lesquelles Israël a été forcé à partir.

Cependant, Yotam Feldner, directeur du département télévision du MEMRI (Middle East Media Research Institute) dit qu’à son avis, les Israéliens qui s’expriment n’influencent pas les téléspectateurs arabes. « Mais c’est mieux que rien », ajoute-t-il.

L’une des difficultés majeures que rencontrent les officiels israéliens est de trouver des arabophones qualifiés pour les représenter. La génération venue des pays arabes, qui y a fait ses études et parle couramment l’arabe, a aujourd’hui dans les 70 ans. Les enfants israéliens ne veulent pas étudier l’arabe et les professeurs ne sont pas très bons, remarque un officier des services de renseignement de très haut rang, qui a souhaité conserver l’anonymat.

Même les ministres israéliens nés dans des pays arabes, comme le ministre des Affaires étrangères, Silvan Shalom, né en Tunisie, ne parlent pas l’arabe. D’autres, qui prétendent le parler, le parlent si mal qu’il aurait mieux valu qu’ils se taisent. « Ils font des fautes risibles », dit la source citée plus haut. ‘ »Ce n’est pas seulement une question de manque de vocabulaire, mais leur accent est mauvais, et les téléspectateurs arabes ne sont pas très tolérants à l’égard des accents étrangers », dit-il.

Toujours selon la même source, il y a des Israéliens qui parlent très bien l’arabe, mais ceux-là ne sont pas assez informés. Il se plaint qu’Al-Jazira présente Israël d’une manière défavorable et déformée. Les interviewés sont parfois coupés et « si quelqu’un dit une ânerie », Al-Jazira diffusera l’extrait le plus drôle.

Les journalistes sont souvent hostiles, en particulier quand ils ont affaire à des représentants israéliens, dit Yotam Feldner. Mais il y a des exceptions.

Quand le Hamas a apporté des roquettes lors d’une célébration de masse à Jabaliya, et que l’explosion a tué des Palestiniens, le Hamas a tenté d’en faire porter la responsabilité à Israël. Un porte-parole du Hamas a dit à Al-Jazira qu’il avait vu quatre roquettes dans le ciel. Eitan Arusy est alors apparu à l’image. « Je l’ai traité de menteur », se rappelle Arusy. Le représentant du Hamas a refusé de figurer à côté d’un Israélien, le présentateur d’Al-Jazira l’a alors coupé en lui disant : « c’est votre problème, pas le nôtre ». A la place, il s’est tourné vers un ministre de l’Autorité palestinienne pour lui demander son commentaire.

NB : Voici comment Reuters rapporte le même épisode :
 » je ne m’exprimerai pas tant que ce criminel sera sur votre écran » dit calmement un porte-parole du Hamas à la chaîne Al-Jazira. Il venait de se rendre compte qu’il partageait une retransmission en direct avec un porte-parole de l’armée israélienne.
Dans un excellent arabe, le major Eitan Arusy continua comme si de rien n’était, réfutant les accusations du Hamas selon lesquelles les Israéliens avaient provoqué une explosion mortelle dans la bande de Gaza. «  Ils disent toujours toutes sortes de mensonges « , dit-il.
Cet échange en direct sur Al-Jazira entre un représentant de Tsahal et un représentant du Hamas a constitué une première, et cela même si les deux hommes ne se sont pas parlé directement.