Le chapô de La Paix Maintenant

Les services de sécurité israéliens ont résolu d’autres affaires d’incendies criminels déclenchés par des extrémistes juifs, mais ceux qui ont mis le feu à une maison et tué un bébé et ses parents dans le bourg de Duma, non loin de Ramallah, sont apparemment toujours en liberté.

Rappelons que l’enquête est totalement aux mains d’Israël, quelle que soit la zone concernée et son degré théorique d’autonomie. L’intrication légale ici mise en lumière rappelle étrangement celle de la Pologne-Lithuanie-Galicie, où l’autonomie juridique conférée des siècles durant aux Juifs ne concernait que les affaires internes à la communauté.

À ceci près qu’en Europe de l’Est, les Juifs résidaient au sein d’autres nations… tandis que les Palestiniens ne vivent pas au sein d’Israël, comme d’aucuns voudraient nous le faire croire, mais en territoire occupé. [T.A.]

L’article d’Amos Harel

La mort de Re’ham Dawabsheh, un peu plus d’un mois après l’attentat terroriste qui avait tué son bébé, Ali, et son mari, Saad, n’a pas soulevé la même onde de choc dans la population israélienne que la nouvelle initiale de l’incendie criminel contre le domicile de la famille dans le village de Duma, en Cisjordanie, fin juillet.

Il est vrai que les autorités israéliennes ont rendu publique une nouvelle série de condamnations de ce qui semble, selon tous les indices, être un attentat meurtrier commis par des terroristes juifs. Mais pour le moment, et alors que le seul survivant de la famille est A’hmed, quatre ans, il n’a été fait mention d’aucun progrès dans l’enquête elle-même – menée avec l’aide de la police israélienne par l’unité du renseignement intérieur, le Shin Beth, en charge des suspects juifs. Pour autant que nous sachions, les meurtriers sont toujours en liberté.

Coïncidence ou non, une ordonnance de non-publication concernant la récente arrestation de deux militants d’extrême-droite pour un acte similaire d’ignition dans une localité bédouine à proximité du lieu des meurtres, au nord-est de Ramallah, a été levée lundi. Il s’agit d’Avraham Gafni, dix-huit ans, et d’un mineur de seize ans dont le nom n’a pas été divulgué, qui ont été mis en examen ; tous deux sont des résidents de Guivat HaBaladim [1], un avant-poste situé dans la région de Binyamin, en Cisjordanie.

Le Shin Beth avait déjà répertorié cet avant-poste comme l’un des endroits clef où les extrémistes juifs s’organisent – et comme le lieu de résidence de ceux que l’on dit impliqués dans l’assassinat de la famille Dawabsheh.

À en croire les chefs d’inculpation, Gafni et l’inculpé mineur ont mis le feu à une tente où une grande quantité de fournitures était emmagasinée, mais où nul ne dormait la nuit de l’incendie. La famille bédouine dont les biens ont brûlé a déclaré que des gens y dormaient la semaine précédente. Les deux mis en examen ont été inculpés d’incendie criminel, de menaces et d’entrave à la justice, mais non de meurtre.

En l’absence de percée de l’enquête sur le meurtre de la famille Dawabsheh, on ne sait toujours pas clairement si ceux qui ont perpétré l’attentat de Duma étaient au courant qu’une famille dormait dans la maison qu’ils incendiaient. Mais, d’après le Shin Beth, ce maître-groupe au sein des avant-postes de la vallée de Shiloh se montre pratiquement indifférent aux conséquences de ses actes.
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Ayant commencé à s’organiser fin 2014, ce groupe affiche un seuil de violence supérieur à celui de la plupart des terroristes juifs jusqu’à présent. Blesser des Palestiniens est y perçu comme le résultat logique, voire souhaitable, de ses actions.

Le dénominateur commun idéologique

Il y a un dénominateur commun entre l’incident de Duma et le second, non seulement quant au mode opératoire, mais aussi du fait que les actions rappellent de très près des déclarations consignées dans Le Royaume du Mal, un document rédigé par l’un des principaux suspects dudit groupe, Mosheh Auerbach. Soupçonné d’implication dans l’incendie criminel de l’église de la Multiplication des Pains et des Poissons, au bord du lac de Tibériade, Auerbach lui-même a été assigné à résidence jusqu’à la fin de l’instruction. Depuis les meurtres de Duma, Méir Ettinger – petit-fils de l’extrémiste de droite assassiné [aux États-Unis], le rabbin Méir Kahane – est en détention administrative [2], ainsi que deux autres personnes. On le décrit comme une figure clef, sinon le chef de file du groupe. Des ordonnances de confinement ou des mesures de couvre-feu ont été promulguées à l’encontre de quinze autres suspects résidant pour la plupart en Cisjordanie du nord.

Quoiqu’il en soit, l’État n’a probablement pas réussi à empêcher ces gens de nuire. Selon le Shin Beth et le ministère public, Gafni et le mineur inculpé ont mis feu à la tente le 13 août, quelque deux semaines après l’incendie et les meurtres de Duma. Le second attentat visait probablement à dissuader les responsables des agences de sécurité et l’accusation d’émettre d’autres ordonnances de détention administrative. La relative rapidité avec laquelle les suspects ont été pris semble montrer que les autorités ont resserré leur surveillance sur le groupe à la suite des meurtres.

Une ordonnance de non-publication [3] est toujours en vigueur concernant de nombreux détails de l’enquête, malgré le déblocage des informations sur la seconde affaire et les inculpations. Ce qui est clair, c’est que des moyens relativement sophistiqués ont été utilisés pour capturer les responsables des attentats.

Des efforts majeurs ont été requis pour résoudre l’affaire de l’incendie criminel dans l’église du lac de Tibériade, survenue à l’époque des meurtres de Duma. Il est certain que des méthodes similaires sont maintenant employées pour trouver les assassins qui ont commis cet attentat. Mais dans l’affaire de Duma, le mal est déjà fait, et il est permis de supposer que les suspects adoptent de plus grandes précautions encore pour éviter d’être pris.

NOTES

[1] En Cisjordanie du nord (la Samarie dans la terminologie de l’occupation), mais à une vingtaine de kilomètres seulement de Ramallah en Cisjordanie du sud (la Judée pour les Israéliens), dans la boucle formée au confluent du Jourdain et du Shiloh – où de nombreuses colonies “sauvages” se sont montées au fil des ans. [NdlT]

[2] Cette procédure héritée du mandat britannique permet d’incarcérer pour une période de six mois renouvelable ad-infinitum, sans inculpation ni procès, tambours ni trompettes, toute personne suspecte – ou dérangeante pour les autorités. L’absence des garde-fous habituellement en place dans un État démocratique, au prétexte du secret militaire qui interdit à la défense l’accès aux charges retenues, érige ce système en camouflet à la face de la «seule démocratie du Moyen-Orient». Mais il va sans dire qu’occupation et libertés démocratiques riment difficilement. Réservé aux territoires occupés, et jusque-là aux seuls Palestiniens en leur sein, le système a fait des milliers de détentions dans les années 70, où il s’est vu combattu à l’intérieur de la Ligne verte par des manifestations judéo-arabes. Récemment mis en difficulté par des grèves prolongées de la faim, il semble avoir retrouvé une seconde jeunesse par son extension (au 1 centième) à des extrémistes juifs. Il n’est pas sûr qu’il en soit pour autant, et indépendamment des proportions, plus légitime ni équitable. [NdlT]

[3] La liberté de la presse, entre autres libertés fondamentales, est de règle pour les organes ayant leur siège social en Israël, voire à Jérusalem-Est, annexée comme on sait. Mais, sans même évoquer le sort des médias palestiniens des Territoires, cette liberté est sujette à auto-censure ! Outre les cas de censure militaire avérée, comme ici, toute information potentiellement sensible doit être soumise aux services du porte-parolat de l’armée pour autorisation ou non de divulgation. Une méthode assez simple pour contrer la censure consiste à passer discrètement des éléments à de grands médias étrangers, puis à citer leurs articles… [NdlT]