Bitterlemons, 19 août 2008

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Un État binational n’est absolument pas une option
Yossi Alpher

Des deux côtés de la ligne Verte et, de fait, partout où des gens réfléchissent aux solutions à apporter au conflit israélo-palestinien, de nombreuses réflexions anciennes/nouvelles se font entendre. Anciennes, parce qu’il n’y a vraiment rien de nouveau sous le soleil concernant ces solutions. Mais nouvelles, parce qu’après 15 années d’efforts à la fois intenses et largement inutiles consacrés à résoudre ce conflit par une solution négociée à deux États, on assiste de plus en plus à des discussions sur les alternatives possibles.

En bref, l’état actuel et les perspectives du processus de paix israélo-palestinien sur la base de deux États, sombres les uns comme les autres, encouragent la discussion chez certains Palestiniens qui souhaitent en revenir à la solution binationale, défendue par l’OLP pendant ses premières années [[Jusqu’à la déclaration d’Alger de novembre 1988 (ndt).]] et par le Hamas. De leur côté, chez certains Israéliens découragés par le processus de paix, la scission entre la Cisjordanie et la bande de Gaza suscite des réflexions autour de solutions fondées sur l’existence de deux entités palestiniennes séparées par Israël (donc, trois Etats de fait), ou de variations sur ce thème où Israël et la Jordanie se partageraient la Cisjordanie et où Israël et l’Égypte s’occuperaient conjointement de la bande de Gaza.

De toute évidence, la plupart de ces idées sont irréalistes. Leur évocation est davantage une manifestation de désespoir que de réflexion stratégique pragmatique.

Commençons par l’idée de trois États. Il est difficile d’évaluer la profondeur et la durée de la scission entre la Cisjordanie et Gaza et entre le Fatah et le Hamas. Pratiquement tous les Palestiniens insistent pour que cette scission prenne fin et qu’au bout du compte, ces deux territoires ne forment qu’une seule entité, que ce soit dans le cadre de deux États ou d’un État binational. Mais un examen historique de la dispersion palestinienne depuis 1948, y compris la période 1948-1967, au cours de laquelle Gaza était sous le contrôle de l’Égypte et la Cisjordanie sous souveraineté jordanienne, pourrait indiquer que nous assistons encore une fois à une phase de division et de fragmentation. Ici, tout dépend du Hamas et de l’islam radical en général, et de l’évolution de leurs positions vis-à-vis de l’existence d’Israël. Avec son idéologie extrémiste actuelle à l’égard d’Israël, le Hamas peut peut-être être toléré à Gaza, mais certainement pas en Cisjordanie. Cela pourrait indiquer la possibilité que Gaza émerge en tant qu’entité palestinienne séparée dans un cadre quelconque à trois États.

Les variations israéliennes sur le thème d’une solution à trois États, défendue en premier lieu par les idéologues de la droite colonisatrice, sont manifestement irréalistes, car elles appellent l’Égypte et la Jordanie à soulager Israël du « fardeau » palestinien en annexant, administrant ou élargissant (dans le Sinaï) les territoires palestiniens. Or, ni Le Caire ni Amman n’en ont manifesté le moindre souhait. Washington ne paraît pas non plus désireux d’aider certains Israéliens de droite à prendre leurs désirs pour des réalités.

Mais ce rêve de la droite israélienne n’est rien en comparaison de celui des Palestiniens qui semblent croire que, s’ils défendaient l’idée d’un Etat binational, celui-ci pourrait devenir réalité. C’est très simple : l’immense majorité des Israéliens juifs n’accepteraient pas de vivre dans un État binational. Par pure hypothèse, si pour une quelconque raison apocalyptique, ils ne pouvaient pas vivre dans un État juif et démocratique, ils préféreraient une nouvelle diaspora à un État judéo-arabe (essentiellement judéo-musulman) qui, par définition, ne serait plus sioniste et qui, presque certainement, relèguerait les juifs au statut de minorité persécutée. Et les Israéliens n’ont d’ailleurs aucune intention de laisser arriver cette « raison apocalyptique ».

Parce que, précisément, les Palestiniens qui parlent de la solution d’un État binational n’ont aucun partenaire juif avec qui négocier, la menace d’en revenir à cette position (la plus récente est celle d’Ahmed Qoreï, négociateur palestinien en chef) à moins qu’Israël ne se montre plus souple dans les négociations est totalement contre-productive. Non seulement elle n’assouplit en aucune manière les positions israéliennes, mais elle suscite, soit de l’indifférence, soit de l’hostilité. Dans les termes traditionnels de la carotte et du bâton, les Palestiniens qui agitent cette menace se frappent avec leur propre bâton.

A l’intention d’Israël et de ses partisans : l’échec d’une solution à deux États ne signifie pas que l’alternative soit un État binational. C’est précisément parce que cette alternative n’existe pas que d’autres solutions sont évoquées, qui vont d’une simple gestion temporaire du conflit à trois États ou entités. Et l’échec d’aujourd’hui ne signifie pas non plus que demain, nous ne puissions tenter de parvenir à deux États, solution qui demeure la meilleure de toutes.

Il est vrai qu’il y a un petit nombre d’Israéliens à la marge de la société qui, soit défendent, soit s’accommoderaient d’un État binational, parmi eux des anti-sionistes de gauche ou ultra-orthodoxes, ainsi que des colons qui pensent pouvoir survivre dans un État juif non-démocratique dans lequel les Arabes seraient de perpétuels citoyens de seconde zone. Je ne conseille pas aux Palestiniens de compter sur eux en tant que partenaires potentiels.


La seule alternative aux deux États est le conflit
Hassan Khatib

Les Palestiniens affrontant de plus en plus de difficultés dans leur lutte pour parvenir à un Etat indépendant à l’intérieur des territoires occupés par Israël en 1967, un sérieux débat a été lancé sur la faisabilité d’une solution à deux Etats.

Les modifications continuelles apportées par Israël dans ces territoires (que ce soit par l’expansion de colonies juives illégales et d’infrastructures qui leur sont liées, dont le Mur, ou par la parcellisation des mêmes territoires par un système de check points et d’autres formes de barrières), ainsi que la stagnation du processus politique, ont fait vaciller encore un peu plus la croyance des Palestiniens dans la solution à deux Etats en tant que solution à la fois la plus souhaitable et la plus viable.

De même, la séparation entre la bande de Gaza et la Cisjordanie imposée par Israël, qui s’est approfondie après le retrait d’Israël de Gaza et encore exacerbée par les affrontements qui ont suivi entre le Fatah et le Hamas qui ont laissé Gaza sous le contrôle du Hamas et la Cisjordanie sous celui du Fatah, ont suscité des interrogations supplémentaires sur la possibilité d’une solution à deux Etats.

En outre, les Palestiniens sont décontenancés par les contradictions de la communauté internationale. D‘un côté, il semble y avoir un consensus sur la stratégie de deux Etats, mais de l’autre, on laisse se développer les modifications sur le terrain. Cela inclut à la fois la séparation et la division entre la Cisjordanie et Gaza et les changements qu’effectue Israël en Cisjordanie.

A en juger par le comportement d’Israël, la meilleure manière de comprendre quels sont ses objectifs, il est facile de conclure qu’Israël souhaite et agit pour une future bande de Gaza séparée de la Cisjordanie. Au bout du compte, Israël semble satisfait de se retrouver face à deux directions différentes, à Gaza et en Cisjordanie.

La direction et l’opinion palestiniennes, qui sont passées de l’exigence d’un Etat laïque et démocratique pour les Palestiniens et les juifs dans toute la Palestine historique à celle de deux Etats l’ont fait à cause de deux facteurs. En premier lieu, la situation créée par Israël ont fait de l’idée binationale une utopie. Deuxièmement, les efforts consentis par des éléments constructifs et amicaux au sein de la communauté internationale ont convaincu les Palestiniens d’adopter une stratégie compatible avec le droit international, qui reconnaît Israël mais considère son contrôle sur la Cisjordanie (y compris Jérusalem Est) et sur Gaza comme un fait de guerre et une occupation militaire illégale.

En d’autres termes, ce sont à la fois les amis et les ennemis des Palestiniens, dans la région et au-delà, qui ont convaincu les Palestiniens qu’une solution à deux Etats était une possibilité qui aurait le soutien de la communauté internationale. Or, c’est cette même mentalité pragmatique, qui a mené à ce changement de direction historique de la cause palestinienne, qui remet aujourd’hui en question la faisabilité d’une solution à deux Etats.

Néanmoins, malgré opinions et analyses éloquentes et intelligentes émises par un certain nombre d’intellectuels palestiniens, l’immense majorité de l’opinion, si l’on en croit les sondages, et la majorité des élites, considèrent l’idée binationale comme une stratégie dangereuse. A cela, il y a plusieurs raisons :

 Une stratégie pour un Etat binational ferait baisser la pression sur Israël de mettre fin à son occupation illégale et de résoudre ainsi son problème principal, politique, juridique et éthique : celui d’être un pays occupant, oppresseur et colonial.

 L’approche binationale signerait la fin de nombreuses réussites des Palestiniens en termes de construction de leur Etat et de ses institutions, et pourrait les ramener à une situation où les militaires israéliens ne contrôleraient pas seulement leur circulation, comme c’est le cas actuellement, mais encore leurs programmes scolaires, la nomination et le renvoi d’enseignants, et d’autres aspects fondamentaux de souveraineté dont disposent les Palestiniens depuis quelque dix ans.

 Appeler à un Etat binational, solution moins probable et moins faisable que celle de deux Etats, sèmera la confusion dans la communauté internationale et ses instances juridiques, engagées, même si ce ne sont que par des mots, à mettre fin à l’occupation.

 Il y a plusieurs dangers liés à l’appel à un Etat binational. L’un est qu’Israël mette en œuvre des solutions pratiques à cette solution binationale, mais seulement en Cisjordanie, qui comprend déjà des Palestiniens et des colons juifs. Un autre est qu’Israël ne prenne cet appel au pied de la lettre dans la seule Jérusalem, contribuant à l’israélisation de la ville et réalisant ainsi son annexion illégale.

Il faut encore noter que les nombreuses voix qui appellent à un Etat binational paraissent le faire essentiellement pour avertir des conséquences d’un échec de l’approche à deux Etats. Cela n’est pas très habile dans la mesure où l’impression est que cette approche n’est qu’un exercice tactique et de communication, et non une stratégie.

En réalité, la seule alternative à la solution à deux Etats est la perpétuation des affrontements entre Israéliens et Palestiniens, avec toutes les conséquences négatives que nous connaissons sur le plan régional. Les Israéliens et les Palestiniens n’ont que deux options : le conflit ou la fin de l’occupation conformément au droit international, en permettant aux Palestiniens de créer un Etat indépendant sur tous les territoires occupés depuis 1967, y compris Jérusalem Est.