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Ha’aretz, 26 août 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La colère de l’opinion contre la gestion de la guerre et ses résultats monte dans le pays. Pour le moment, elle ne se situe pas sur le plan politique, et repose sur des exigences, évidentes quoique pas nécessairement utiles, de démissions, d’enquêtes, etc. Toutefois, il existe clairement une possibilité que, même sir les porte-parole des réservistes protestataires, des familles endeuillées, des habitants du Nord et d’autres n’ont pas forcément cette intention, que cette colère donne naissance à une dynamique destructrice qui pourrait aller dans le sens d’une droite semi-fasciste. Les protestations contre les hésitations, l’argument avancé selon lequel on n’a pas laissé Tsahal gagner la guerre et rapporter une « photo de la victoire », sont tous des signes de ce danger.

Le fossé béant entre d’une part les attentes exagérées affichées si prétentieusement par les dirigeants politiques et militaires et les résultats de la guerre d’autre part, les échecs terribles qui ont été révélés, la catastrophe sociale au nord et les soupçons de corruption personnelle et de comportement erratique qui pèsent sur le président de l’Etat : tous ces éléments créent le décor d’une situation effrayante, à la fois par ses implications et par les associations historiques qu’ils évoquent.

Dans une large mesure, la situation est même pire que lors du choc collectif essuyé par Israël après la guerre de Kippour, parce qu’alors, les protestataires pensaient que les dirigeants devaient être remplacés par Itzhak Rabin et sa génération. Aujourd’hui, à notre grand regret, nous ne disposons pas de solution de rechange aussi évidente.

A gauche, certains n’ont pas peur de nouvelles élections, même si cela signifie une victoire de la droite radicale, adoptant en cela l’adage trotskiste selon lequel plus les choses tournent au pire et mieux cela vaut. Mais nous n’avons pas le temps. La menace nucléaire iranienne avance, et si nous ne sommes pas suffisamment sages pour la neutraliser par des accords avec tous ceux nous entourent (Syrie, Liban, Palestine), nous pouvons nous attendre à des jours très difficiles.

Le danger existentiel qui nous guette ne consiste pas nécessairement en une destruction physique, mais en un sentiment d’impuissance qui obligera un grand nombre de gens à se poser la question de savoir s’ils souhaitent vraiment élever leurs enfants dans un environnement aussi dangereux. Ce sentiment est renforcé par l’incurie de l’Etat et par le manque de confiance envers les institutions censées être responsables du sort des citoyens.

Aujourd’hui, au milieu du débat public orageux, et sous l’influence douloureuse des tragédies personnelles et collectives, il revient au camp de la gauche, au-delà des partis de gauche, d’élever clairement la voix. Il doit fournir sa contribution à un programme alternatif et clair, sur les plans politique, social et moral.

Le pont de départ ne doit pas être le mot d’ordre habituel (bien que correct) de négociations sur des accords de paix avec tous nos voisins, avec de notre part la volonté de payer le prix nécessaire, mais plutôt la démonstration d’un désir populaire de parvenir à une véritable réconciliation, fondé sur un autre discours qui ne repose plus sur la force mais sur le respect mutuel. Ainsi, eux et nous pourrons œuvrer à réhabiliter le tissu social, réhabilitation qui constitue la seule chance et la première défense contre toutes les forces destructrices des fondamentalistes.

Il est temps aujourd’hui de prendre l’initiative d’une large manifestation citoyenne qui réunisse autant de mouvements sociaux que possible, dont le dénominateur commun serait la conscience du lien qui existe entre la réconciliation avec nos voisins et la réhabilitation sur le plan intérieur. Ce n’est qu’en combinant les deux qu’il y a une chance de mobiliser les énergies politiques nécessaires.

Il faut beaucoup de culot pour le dire, mais je pense que le porte-parole le plus approprié, et peut-être le seul, pour une telle manifestation est David Grossman. Ses positions sont connues, ses déclarations pendant la guerre, son prestige d’intellectuel et d’écrivain, la noblesse d’esprit de sa famille et de lui-même, et le prix déchirant, le plus terrible de tous, qu’il a payé avec la mort de son fils Uri, font de lui, s’il peut se relever de son deuil terrible, un aimant pour les masses. Des milliers de gens viendront l’écouter. Son oraison funèbre à son fils est déjà devenue un texte culte [Voir [ ]]. La modération de ses mots, la douceur de son style, la nuance avec laquelle il exprime ses idées, sa capacité à voir « l’autre » et l’ « israélianité » qu’il a au cœur, sont l’expression la plus claire de l’autre discours que la gauche citoyenne doit adopter en Israël.