Haaretz

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Maintenant que la fureur déclenchée par la declaration des pilotes s’est un
peu calmée, il est peut-être temps de les écouter attentivement et de se
pencher sur l’essence de ce qu’ils ont voulu dire à travers leur protestation. Même si, en fin de compte, « la voix des masses » leur impose silence, et meme si certains d’entre eux se rétractent, ce qu’ils ont dit conserve toute sa validité et toute son importance. Il faut faire preuve d’un minimum d’honnêteé et reconnaître qu’un gouvernement et un peuple qui envoient en leur nom leurs fils accomplir un travail difficile et souvent sale dans cette guerre tres particulière, doivent écouter, pour une fois, et de facon sincère, ce que ceux qui font ces choses en leur nom ont à leur dire.

Le fond du message des pilotes est que les Palestiniens sont en ce moment
capables de porter des attaques qui font mal contre Israël et les citoyens
israéliens, que la guerre qui fait rage est toujours, au bout du compte, une
guerre entre une puissance militaire et une population civile. Dans ce genre
de guerre, Israël doit s’imposer des limites, de natures pratiques et morales.

Les pilotes rappellent aux Israéliens que même si le but d’une action militaire est de frapper un assassin qui doit mourir, quand un Etat donne l’ordre de larguer une bombe d’une tonne sur un quartier résidentiel situé dans l’endroit où la densité de population est la plus forte du monde, et en sachant parfaitement que des centaines de civils innocents peuvent être atteints, cette action, dans une mesure significative, emploie les méthodes d’une organisation terroriste. Et quand un Etat donne l’ordre à ses pilotes de lancer des missiles contre une voiture qui roule au milieu de passants, même si l’ordre n’est pas destiné à frapper ceux-ci intentionnellement, la nature de l’action, comme ses conséquences, s’apparentent à celles d’une organisation terroriste.

Un Etat n’a pas le droit d’agir de la même manière qu’une organisation terroriste. Il faut s’en souvenir aujourd’hui aussi, alors que notre sang bout après l’attentat brutal de Haïfa. L’une des raisons en est l’influence destructrice de ces modes d’action sur la société elle-même. Une autre raison est qu’un Etat n’a pas le droit de perpétrer des assassinats, des meurtres et des exécutions sans jugement, parce qu’alors, il perd toute la légitimité dont il se réclame face aux organisations terroristes.

Et quand le commandant en chef de l’armée de l’Air d’israël dit que « quiconque commet un meurtre contre des enfants en Israël doit tenir compte du fait qu’autour de lui, il y a aussi des enfants qui peuvent se faire tuer », il doit comprendre qu’un tel argument est à double tranchant, meme si Israël ne frappe pas des enfants intentionnellement.

Un gouvernement entêté, qui depuis longtemps maintenant torpille toute chance de négociation et qui n’use que de la force, encore de la force et toujours de la force vis-à-vis des Palestiniens, condamne ses soldats à souffrir des affres de dilemmes moraux insupportables. A-t-il le droit de leur tourner le dos, de se sentir insulté et choqué, quand ces hommes, après tant d’années, commencent à se rendre compte de la manière dont ils sont utilisés? N’est-ce pas le moment de se confronter au contenu de ce qu’ils ont à dire, et de regarder droit dans le miroir qu’ils tendent (courageusement, et en toute conscience du prix qu’ils auront à payer) à la société israélienne tout entière?

Tsahal a toujours proclamé fièrement que, pour ses forces aériennes, ce qui
comptait n’était pas l’avion mais le pilote, l’homme dans la machine. Tout soldat israélien a été élevé dans le principe/oxymoron de la pureté des armes, et dans la croyance que Tsahal est l’armée la plus humaine et la plus morale du monde. Comment l’état-major peut-il nier aujourd’hui qu’il y a des gens, dans les avions et dans les hélicoptères? Quelle est la raison de l’insensibilté hermétique de la majorité du public, qui n’envisage même pas une seconde d’écouter la détresse de gens dont il est exigé, non seulement de mener une guerre contre l’ennemi, mais aussi de prendre sur leur conscience, pour la vie, le fait de tuer sans nécessité des hommes, des femmes et des enfants innocents?

Il y a quelque chose, dans la réaction violente et presque hysterique du public, qui donne l’impression que le phénomène de la « foule lyncheuse » qui s’en est prise aux pilotes ne provient pas seulement de leur refus d’accomplir leurs missions : il semble que ce qu’ont fait les pilotes de plus difficile, jusqu’à en être insoutenable, c’est d’avoir fait voler en éclats la couche protectrice dont les Israéliens s’étaient enveloppés pendant des années, pour ne pas savoir ni comprendre ce qui se faisait vraiment en leur nom.

C’est, peut-être, ce qu’il y a derrière l’absurde accusation de trahison dont on les accable : s’ils ont trahi, ils n’ont trahi qu’un gigantesque déni consensuel, un aveuglement collectif. Pendant un court instant, les pilotes ont réussi à faire ce lien effrayant entre ce que fait Israël dans les territoires depuis 36 ans et les attentats terroristes, et cela, apparemment, ne leur sera pas pardonné facilement. On peut choisir de ne pas lire les reportages d’Amira Hass et de Gideon Levy, mais quand des pilotes hébreux, la chair de la chair du consensus israélien, le joyau de la couronne israélienne, nous force à regarder, ne serait-ce qu’un fugace
instant, au coeur des ténèbres, le premier instinct nous dicte de sortir de là, de raccommoder très vite le gilet de sauvetage déchiré qui nous protège du savoir et de l’entendement, et de passer immédiatement, comme Tsahal nous l’a appris, à la contre-attaque, cette fois contre les pilotes.