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Ha’aretz, 23 mai 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Alors qu’approche la date du retrait israélien de Gaza, on entend de plus en plus de Palestiniens demander qu’Israël démolisse les maisons dans les colonies [évacuées]. Même Mahmoud Abbas est pour. Pourquoi? Pourquoi cela dérangerait-il les Palestiniens de recevoir les maisons des colons en l’état, et de les utiliser à leur guise?

De nombreux Israéliens, à commencer par les colons, sont pour la démolition. Ils craignent d’assister à des scènes de célébration de la victoire palestinienne dans leurs maisons dans le Goush Katif. « Les terroristes danseront sur les toits de nos maisons », écrit l’un des journaux des colons. Ariel Sharon a prédit qu’au moment où l’armée et les colons quitteraient les colonies, des milliers de Palestiniens venus de toute la bande de Gaza s’introduiraient dans les maisons pour les mettre à sac. Ses déclarations ont provoqué de la colère au sein de l’Autorité palestinienne, qui a demandé à ses services de sécurité de se préparer à cette éventualité, et de déclarer les colonies zone interdite de façon à empêcher les scènes de pillage.

A en juger par des conversations avec des habitants de Gaza, il s’avère que nombreux sont ceux qui croient qu’effectivement, les masses déferleraient sur les maisons des colons une fois le retrait d’Israël terminé, avec pillage des tuyaux, des tuiles, des fils électriques à la clé. Mais là n’est pas l’essentiel. En réalité, à Gaza, des dizaines de milliers de personnes pourraient se ruer sur les colonies pour les détruire : non pas pour les piller, mais par vengeance.

Le cas de la colonie de Netzarim, au sud de la ville de Gaza, peut servir d’exemple. Elle est située au cœur d’une population arabe extrêmement dense. A côté se trouve le camp de réfugiés de Nuseirat, et plus loin les camps d’Al Bureij et de Marazi, ainsi ques faubourgs de Gaza, Sheikh Ajlin et Zeitoun. Dans un rayon de quelques kilomètres autour de Netzarim vit une population d’environ 200.000 Palestiniens, la plupart réfugiés, pour qui Netzarim est devenue le symbole de 37 années d’occupation israélienne. Autour de Netzarim, et le long de la route qui y conduit, les Palestiniens ont compté près de 300 morts depuis le début de la première intifada, parmi lesquels le petit Mohammed al-Dura, tué dans les bras de son père en octobre 2000, dans les premiers jours d’un conflit qui deviendra sanglant.

A Gaza, on prédit que, dès que cela sera possible, des dizaines de milliers de personnes marcheront sur Netzarim, enfants, femmes et vieillards compris. Ils s’abattront sur les maisons et les réduiront en poussière. « Les bandes de colons », comme on les appelle souvent dans les médias palestiniens, incarnent aux yeux des Palestiniens la cruauté et la malignité de l’occupant israélien. Toutes les frustrations et les amertumes accumulées vont être dirigées contre les maisons et contre tout ce qui restera debout dans les colonies.

L’Autorité palestinienne en est consciente, et ses membres craignent qu’il soit impossible d’empêcher ces attaques. Le monde entier serait alors témoin des images de destruction, et parlerait des Palestiniens comme de vandales et de sauvages. Voilà pourquoi elle préférerait voir Israël procéder à une destruction totale.

Voilà aussi pourquoi, toujours du point de vue de l’image, il pourrait être bénéfique pour Israël de laisser les maisons intactes, d’autant qu’une destruction coûterait beaucoup d’argent. Mais il s’agit de bien davantage que d’image. Le fait que les Palestiniens – et de nombreux Israéliens – s’attendent à une explosion de haine qui se manifestera par des raids contre les colonies suscite de bien sombres réflexions sur le désengagement en général. Est-ce à cela que ressemble un désengagement qui est censé déboucher sur un traité de paix?

Les préparatifs autour du retrait de Gaza s’accompagnent d’une atmosphère d’hostilité et de haine, de soupçons mutuels et de violence. La racine du mal réside dans l’unilatéralisme de la décision. Le retrait israélien de Gaza, dont les suites politiques ne sont claires pour personne, pourrait se révéler un message de réconciliation et d’accalmie. Ou, au contraire, un message d’hostilité et de haine, dont le sort des maisons des colons serait un exemple.