IPCRI, 14 octobre 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Il y a quelques mois, je m’inquiétais de l’anarchie et du chaos qui régnaient en Palestine dans un article intitulé « C’est maintenant ou jamais ». Je disais que si l’Autorité palestinienne ne mettait pas immédiatement en œuvre une action sérieuse, la situation se détériorerait au point d’atteindre un chaos absolu. Aujourd’hui, l’anarchie qui règne dans les territoires palestiniens est proche de ce qu’on pourrait qualifier de « modèle somalien ». Les milices privées et les factions politiques agissent comme bon leur semble : les villes sont divisées entre seigneurs de la guerre féodaux et vandales en l’absence de loi et d’ordre ; les forces de sécurité palestiniennes ne contrôlent pas grand-chose, et dans un certain nombre de cas, elles sont elles-mêmes impliquées dans des incidents d’usage illégal de la force, ce qui ne fait qu’ajouter au sentiment de chaos ambiant.

Le pire, dans cette situation, c’est lorsque les forces palestiniennes de sécurité commettent des actes qui violent la loi et qui sont en contradiction avec leur responsabilité et leur mission. Un sommet a été atteint quand des membres des forces de sécurité se sont introduits en pleine session du parlement palestinien à Gaza, pour protester contre l’absence de sécurité et contre le chaos ! Ils se sont alors conduits comme des gangsters. Il n’existe aucune raison logique à ce genre de comportement de la part des forces de sécurité. Elles sont censées empêcher les actes de révolte armée et protéger le Parlement. Ajoutant l’insulte à l’outrage, la plupart de ces « manifestants » n’étaient même pas en uniforme, indiquant par là que, en service, il se peut qu’ils apportent de la sécurité, mais que, hors service, ils s’occupent à violer la loi qu’ils sont censés protéger. De plus, il y a quelques jours, des membres de l’un des services de sécurité se sont introduits chez des civils, tirant et blessant plusieurs civils, menaçant femmes et enfants, tout cela à cause d’une dispute dérisoire autour d’une place de parking !

L’anarchie en Palestine a atteint aujourd’hui un point culminant. A Gaza, les groupes armés adoptent aujourd’hui le modèle irakien, celui du désordre absolu et du kidnapping. Ils ne font pas la différence entre les cibles ; même les étrangers qui travaillent dans l’assistance à la communauté palestinienne en sont victimes. Le but du jeu est d’exercer un chantage sur l’Autorité palestinienne, pour que celle-ci accède à leurs exigences. Les auteurs de ces crimes ne sont jamais arrêtés, et n’ont jamais payé pour leurs crimes. Ils circulent et agissent en toute liberté, confiants en ce qu’ils peuvent obtenir ce qu’ils veulent par leurs actes criminels. On ne peut en aucun cas se réclamer de la « résistance armée » quand ces armes sont utilisées contre son propre peuple.

Aujourd’hui, les territoires sont contrôlés par une myriade de milices armées, qui prolifèrent et croissent chaque jour. Elles défient l’Autorité palestinienne et mettent en danger, non seulement l’unité palestinienne, mais le peuple palestinien lui-même. L’anarchie et les actes de violence s’étendent à toutes les villes palestiniennes. Ces seigneurs de la guerre ne peuvent en aucun cas se prétendre groupes de résistance, ni justifier leur violence contre l’Autorité. Intimider le public ne peut être justifié. Ces gens-là ne résistent pas à l’occupation. Leurs actes sont dommageables et dangereux. Ils constituent une menace directe contre les intérêts nationaux palestiniens et la sécurité nationale.

Le Fatah est la première des sources pour la prolifération de ces seigneurs de la guerre. Ces bandes, qui utilisent le nom du Fatah, se sont transformées en bandits de grand chemin et en seigneurs de la guerre. Ils ont fait des villes palestiniennes des champs de bataille entre gangs. L’Autorité palestinienne doit démanteler et désarmer ces groupes armés soi-disant affiliés au Fatah. L’Autorité palestinienne doit faire respecter la loi en bannissant tous ceux qui commettent des crimes contre le peuple palestinien, et tous ceux qui défient quotidiennement l’AP. Ces seigneurs de la guerre pensent qu’ils sont eux-mêmes l’AP, ou qu’ils agissent au nom de l’AP. Mais la vérité, c’est qu’ils causent du tort à la cause palestinienne légitime par leurs exactions. Ils ne défendent pas le peuple palestinien en tuant, ou en saccageant sur le dos des Palestiniens : intimidations, enlèvements, racket, extorsions de fonds. Ils agissent illégalement et s’instituent juges et bourreaux.

Il est clair que les heurts incessants entre le Hamas et les forces de l’AP déstabilisent l’AP et concourent à la création d’une entité au-dessus de l’Autorité palestinienne. Le plan secret des seigneurs de la guerre est de créer une entité parallèle, dans l’ombre de l’AP, et ils agissent comme s’ils étaient la seule autorité à Gaza. Ils adoptent la posture de conquérants face à l’occupation israélienne à Gaza. Ils font avaler à l’opinion l’idée que leur résistance a forcé Israël à se retirer de Gaza. Ils n’ont aucun regret quand des missiles qu’ils ont tirés sur Israël causent des morts de civils innocents au sein de la population même qu’ils prétendent défendre.

Il n’y a aucune situation de réciprocité entre l’Autorité palestinienne et le Hamas. Il ne s’agit pas d’un affrontement entre deux mouvements armés, mais d’un affrontement entre l’Autorité et des individus opposants qui agissent en-dehors du cadre de la loi. De plus, comme nous le savons aujourd’hui sans l’ombre d’un doute, les accusations du Hamas qui blâmait l’AP et le ministre de l’Intérieur pour les explosions pendant leur parade militaire à Jabalya étaient fausses : le responsable était le Hamas lui-même. Il ne suffit pas de dénoncer les luttes internes. Il doit être mis fin au phénomène des milices et des civils armés, en particulier à Gaza. Il n’y a plus aucune raison pour que les milices portent des armes, car les forces d’occupation ont quitté Gaza. Quel besoin de milices armées et de parades militaires ?

La perte d’espoir et le sentiment d’insécurité de l’opinion sont pires qu’au temps de l’occupation. Les civils palestiniens ne se sentent plus en sécurité, ils ont perdu confiance en l’AP et ses forces de sécurité, dont ils perçoivent les officiers comme les leaders de la corruption. Pour l’opinion, ces soi-disant officiers ne sont intéressés que par leurs propres intérêts étroits.

Un nouveau gouvernement est-il la solution ? Un « gouvernement provisoire » ? Qui pourrait diriger un pareil gouvernement, et à quoi servirait-il si les élections sont dans trois mois ? Existe-il un quelconque ministre de l’Intérieur capable d’apporter un changement à trois mois des élections ?

Il semble que le président palestinien « danse avec les loups » en tentant de négocier et de jouer les médiateurs entre eux. En finir avec l’anarchie alors que, la nuit, les loups s’en prennent au troupeau ? Le président Abbas doit reconsidérer cette tactique. Si les loups menacent et attaquent son troupeau, il doit trouver un moyen de le protéger des loups désobéissants, et non d’apaiser lesdits loups. Au bout du compte, il doit combattre deux qui s’opposent à un état de droit. Il doit agir pour mettre fin immédiatement à l’anarchie. Le respect de la loi n’est pas négociable. Sinon, la désintégration et le chaos feront de cette période au gouvernement une autre expérience où les Palestiniens auront échoué à gouverner. Et de cela, le peuple palestinien continuera à souffrir.