«Rejetant toute allégation selon laquelle les colonies jouent un rôle dans les violences actuelles, Nétanyahou a manipulé les données en voulant prouver qu’il a construit moins de colonies que ses prédécesseurs. Mais il faut se méfier de ces statistiques», nous mettent ici en garde ´Hagit Ofran pour l’Observatoire des colonies de Shalom Akhshav, et Lara Friedman pour les
Americans for Peace Now (LPM États-Unis).


Les critiques nationales et la communauté internationale ont depuis des années cloué le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou au pilori pour son soutien aux colonies israéliennes – ces colonies qui perpétuent une occupation israélienne de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est largement considérée par tous ou presque, à l’exception de la droite israélienne, comme la cause de la violence croissante qui sévit aujourd’hui contre les Israéliens.

Nétanyahou, bien sûr, a une explication très différente des racines de la violence. Il considère qu’elle est uniquement due à l’antisémitisme et au désir de provoquer – et à rien d’autre, surtout pas l’occupation ni les colonies.

Pour aggraver son cas, lui qui s’est des décennies durant positionné publiquement comme le champion des colons, se vantant très récemment devant un parterre de partisans du Likoud de leur augmentation (120 000 depuis sa prise de fonctions en 2009), a retourné les charges contre ceux qui le critiquent. C’est ainsi qu’il a affirmé, la semaine dernière, que les colonies ne sauraient être la cause de la violence, car leur croissance a ralenti au cours de son mandat par rapport à ses prédécesseurs. Il a probablement basé cette affirmation sur une statistique citée dans un rapport du Ha’Aretz, posant que le nombre moyen de nouveaux logements construits par an dans les colonies en Cisjordanie depuis 2009 a été plus faible que lors des vingt années précédentes.

Mais attention: une seule statistique prise isolément déforme toujours beaucoup plus la réalité qu’elle ne l’éclaircit.

La croissance des colonies a-t-elle vraiment ralenti sous Nétanyahou? Pour commencer, la statistique sur les nouvelles constructions ignore Jérusalem-Est, zone où ces six dernières années la construction de colonies a connu son plus haut niveau depuis 2000. Une grande partie de ces constructions modifie formellement les futures frontières potentielles entre Israël et la Palestine; une nouvelle colonie, appelée Givat Hamatos [1], approuvée par Nétanyahou mais pas encore érigée, pourrait mettre un brutal coup de frein aux négociations de paix.

De même Nétanyahou a-t-il surpassé ses prédécesseurs récents en ce qui concerne les activités d’implantation au cœur de quartiers palestiniens à Jérusalem-Est. Pratiquement depuis le moment de son entrée en fonctions, avec l’approbation en 2009 d’une nouvelle colonie à Sheikh Jarrah et à travers la prise de pouvoir des colons la semaine dernière à Silwan [2], leurs entreprises dans ces zones sensibles ont explosé sous Nétanyahou.

L’autre problème est d’ordre méthodologique. Nétanyahou est resté Premier ministre plus longtemps que quiconque depuis le légendaire David Ben-Gourion.

Il est trompeur de ne comparer [comme il le fait] que les données de deux sur trois de ses mandats complets. Si nous nous reportons à l’ensemble de sa période à la tête du gouvernement, y compris dans les années 1990 – ou à son seul dernier mandat par rapport aux précédents – Nétanyahou a construit plus de colonies que n’importe quel autre Premier ministre (hormis Ehud Barak en 2000).

L’exception fut – sans surprise – son deuxième mandat (2009-2012), axé sur les efforts de paix impulsés par l’administration Obama en 2009, et le “moratoire” subséquent de 10 mois en 2010, durant lequel Nétanyahou a accepté de suspendre la planification et l’homologation de nouvelles implantations.

En revanche, au cours de la période 2013-2015, le nombre de nouvelles constructions dans les colonies de Cisjordanie a grimpé, atteignant un niveau plus élevé que sous tout autre gouvernement depuis 2000. Cette hausse a été alimentée par la fin du “moratoire” de 2010, tandis que les efforts de paix amorcés par Kerry en 2013 se sont vus accompagnés à chaque étape par de nouvelles annonces de constructions de colonies. Selon les données pour le premier semestre 2015, et à moins d’un fort ralentissement au dernier trimestre, cette tendance devrait se poursuivre cette année. Les statistiques de Nétanyahou omettent également des données-clé sur les nouvelles constructions de colonies. Selon une recherche de La Paix Maintenant, entre 2009 et 2014 les colons ont bâti illégalement plus de 1 000 nouvelles unités – des “unités fantômes” non-comptabilisées par le Bureau central des Statistiques israélien, dont certaines ont ensuite été légalisées par Nétanyahou. Et, sous Nétanyahou, de nouvelles constructions ont démarré dans les colonies situées à l’est de la route longeant le mur de séparation, que personne ne croit pouvoir devenir partie intégrante d’Israël. Ces colonies ont augmenté d’environ 20% à 35% au total, selon les données de La Paix Maintenant.

Enfin, les statistiques de Nétanyahou ne disent rien au sujet du soutien aux colonies dont la construction n’a pas commencé, par exemple l’investissement dans le processus avant le début de la construction. Nétanyahou a avancé la planification de plus de 18 000 nouveaux logements dans les colonies de Cisjordanie (près de la moitié vont être construites à l’est du mur), et de plus de 12 000 unités à Jérusalem-Est, selon des données de La Paix Maintenant. [Précisons que] le temps nécessaire à l’approbation d’un plan et au démarrage des travaux de construction dépend beaucoup de l’empressement du gouvernement: cela peut varier de quelques mois à quelques années.

Nétanyahou a approuvé une nouvelle construction à Hébron, dans une grande structure prise aux Palestiniens par les colons. Il a aussi confisqué de larges pans de la Cisjordanie, y compris 490 hectares pour faciliter la légalisation des avant-postes [“sauvages”]; et 990 hectares au profit du bloc de colonies d’Etzion. Ceci constitue une confiscation sans précédent depuis les années 1980.

Nétanyahou a également bâti de grandes infrastructures desservant les colonies, y compris une autoroute donnant aux colons installés au sud de Jérusalem un accès direct au centre-ville; celle-ci coupe en son milieu un quartier palestinien de Jérusalem. Il a aussi mis en place un échangeur au sud-est de Ramallah, afin de faciliter les parcours des colons vivant au cœur de la Cisjordanie. Et le Premier ministre s’active à bouter les Palestiniens hors de la zone C – la zone sous contrôle israélien complet qui abrite la plupart des colonies de Cisjordanie – via les démolitions de maisons, effectives ou annoncées à titre de menace, et les déplacements forcés de populations qui visent notamment le village de Sussia, ainsi que des Bédouins vivant dans la vallée du Jourdain et dans la zone E-1 du programme d’implantations [3].

Les statistiques de Nétanyahou peuvent aider à suivre des aspects spécifiques de la politique de colonisation d’Israël mais, comme toutes les statistiques triées sur le volet, elles masquent plus qu’elles ne révèlent. Dans le cas présent, une seule statistique est exploitée, occultant les antécédents de Nétanyahou à promouvoir sans relâche les colonies. L’intégralité des faits raconte la véritable histoire – celle d’un soutien actif et enraciné à l’expansion des colonies, examinée sous forme intermittente et temporaire pour des raisons de pure tactique politique.

NOTES

[1] Pour en savoir plus sur Givat HaMatos et les conséquences d’une première annonce de constructions dans cette zone, on pourra lire sur ce site la traduction d’un article publié en Israël par Shalom Akhshav fin 2014, “Qu’est-ce qui rend Guivat HaMatos si importante?” >

[>http://www.lapaixmaintenant.org/Qu-est-ce-qui-rend-Guivat- [NdlR]

[2] Concernant le quartier hiérosolymite de Silwan, face aux murailles de la Vieille Ville, où les incidents se multiplient de longue date, on pourra lire sur ce site la traduction de l’éditorial du Ha’Aretz en date du 21 octobre 2014, “De l’art de torpiller toute chance de paix” >

[>http://www.lapaixmaintenant.org/De-l-art-de-torpiller-toute-chance] [NdlR]

[3] Pour en savoir plus sur cette zone ultra-sensible de Jérusalem est, dont la confiscation modifierait le rapport entre les deux parties de la cité “une et indivisible” en coupant des quartiers palestiniens les uns des autres, voir >

[->https://en.m.wikipedia.org/wiki/E1_(Jerusalem)] [NdlR]