Rappelant que la paix avec l’Égypte, fût-elle froide, semble promise après déjà quelques décennies à perdurer quels que soient ses dirigeants, et que la Syrie a scrupuleusement observé chacun des accords signés, Yoël Marcus note que la paix importe plus que le partenaire et sa vertu supposée : jamais le massacre de ‘Hama, par exemple, n’a été invoqué pour refuser de négocier avec le pouvoir syrien.

Ainsi la réconciliation entre le ‘Hamas et le Fata’h ne marque-t-elle « pas nécessairement une évolution négative si les Palestiniens inclinent à un accord », concluait Marcus en fin de semaine. Et d’ajouter : « Cela ouvre la porte à une initiative d’Obama visant à mettre ici de l’ordre, tout en neutralisant le terrorisme. »


Lors de la Deuxième Guerre mondiale, la direction du Yishouv – la communauté juive de Palestine – prit pour slogan : « Nous combattrons Hitler comme si le Livre blanc n’existait pas, et le Livre blanc comme si Hitler n’existait pas. » Mais pour forger un concept comme celui-là, il fallait être David Ben-Gourion. Seul un leader de sa trempe pouvait appeler à la formation d’une Brigade juive qui se battrait au sein de l’armée britannique, au moment même où l’on stockait des armes dans des caches de la Haganah [1] et où des plans d’opération étaient dressés contre les maîtres britanniques du pays.

Benjamin Netanayahu n’a pas forcément la carrure d’un Ben-Gourion. Premier ministre ayant déjà connu un très embarrassant échec [2], il ne s’est jusqu’ici pas montré à la hauteur des événements tandis que tout autour de lui va se désagrégeant. Au contraire, il en est parmi la bande d’extrémistes qui l’entourent pour dire : « Quelle chance que nous ne soyons pas en situation de paix avec la Syrie et sans le plateau du Golan – étanchant les flots de sang maintenant déversés là-bas, perdant tout à la fois le Golan et la paix. » Fieffées balivernes. Alors même que Moubarak, fidèle garant de la paix des décennies durant, a été déposé et pourrait se voir condamné à mort, la paix entre les deux pays reste inaltérée. Nombreux sont ceux qui pensent qu’elle va tenir bon.

Même le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, qui n’est pas précisément épris de nous, a redit que les accords de paix entre les deux pays importent à l’Égypte, quels que soient ses dirigeants.

Selon l’un des ministres clef du cabinet israélien, dès qu’il s’agit de règlement avec les Palestiniens le gouvernement s’immobilise. De temps à autre il joue à se faire peur, disant qu’après la Syrie viendra la troisième intifada palestinienne, bien qu’Abu Mahzen [3] envoie des messages détournés disant qu’une intifada ne serait pas positive pour les Palestiniens. L’opinion d’Ephraïm Halévy [4] est qu’il ne faut pas laisser s‘instaurer une situation de “non solution“. C’est vrai, dans l’état actuel des choses, il n’y a aucune chance de solution permanente ; mais il est de l’intérêt des deux parties de s’atteler à la conclusion d’accords partiels ou intérimaires. Ceux qui ne veulent pas d’accord de paix ni de compromis, des deux côtés, se retrouveront tôt ou tard en guerre.

Ceux qui ont goûté à la paix l’ont savourée puissamment. Le fait est que les Égyptiens n’aiment pas les Israéliens, ne souhaitent ni entretenir de relations culturelles ni frayer avec nous ; mais ils nous ont perçus comme de bons touristes dans le Sinaï (nous voir en masse au cœur de l’Égypte leur plaisait moins). Le royaume de Jordanie est un autre de nos vieux romans d’amour, en dépît des guerres. Aujourd’hui, alors qu’ils ne désirent plus d’embrassades par trop chaleureuses, ils nous font encore confiance pour ne pas installer de Palestiniens à leur frontière dans le Grand Rift [5].

Malgré ce qui se passe dans la région, il nous revient de nous montrer tout à la fois incitatifs et généreux. D’un autre côté, nous devons nous assurer que les retraits que nous serons amenés à faire seront proportionnels et graduels. Et, plus important encore, qu’ils seront assortis de solides garanties internationales, en particulier d’origine américaine. En aucun cas nous ne devrions aboutir à une situation où nous serions vus comme les premiers à blâmer pour avoir bloqué tout progrès sur la voie d’un accord.

L’allocution de Bibi devant les deux chambres du Congrès [6] doit se faire sous le signe du slogan qu’Israël est prêt (“pour de vrai“, comme disent les enfants) à prendre des risques pour parvenir à la paix. Cela, compte tenu du postulat que les Palestiniens, eux aussi, doivent faire un effort et se montrer des partenaires dans la prise de risques. L’hypothèse étant qu’un dialogue a ou aura lieu entre Obama et Netanyahu d’ici septembre [7]. Récemment, des dirigeants juifs américains ont conseillé à une délégation de la Knesseth en visite d’avertir Bibi qu’il lui faudra faire preuve de bonne volonté dans son discours et ses arguments.

Et il en va de même pour son assistante rédactrice de discours, Sara [8].

Il ne nous appartient pas de décider du mode de gouvernement qu’aura la Syrie, et si une démocratie y sera instaurée ou non. À l’époque où nous menions des pourparlers avec le président Hafez el-Assad, nous savions bien que ses mains avaient trempé dans le sang de 20 000 habitants de ‘Hama [9].

Nous n’en avons pas moins publiquement proclamé, à plusieurs reprises, que nous examinions la possibilité d’aboutir à des accords de paix avec lui. Le fait est que la Syrie a scrupuleusement observé chacun des accords que nous avions signé avec elle – comme des “yekkés orientaux“ [10], en quelque sorte. C’est la même chose en ce qui concerne l’Égypte : la paix avec ce pays a été préservée depuis des décennies, démontrant combien les accords de paix sont de loin préférables à la guerre et combien le soutien des grandes puissances est essentiel dans notre région.

La réconciliation entre ‘Hamas et Fata’h ne marque pas nécessairement une évolution négative, si les Palestiniens inclinent à un accord. Cela ouvre la porte à une initiative d’Obama visant à mettre ici de l’ordre, tout en neutralisant le terrorisme.

Ce qui n’est pas clair, c’est pourquoi Bibi s’est précipité dans un vent de panique pour lancer un ultimatum : « Le ‘Hamas ou Israël. » Comme [le chansonnier] Uri Zohar avait coutume de le dire [11] : « Qu’est-ce qu’il a à sauter comme ça ? »


NOTES

[1] Née dans les années vingt du siècle dernier de l’union de groupes de défense des communautés juives en Palestine, la Haganah (“Défense”) se structure dans la clandestinité dans les années trente, devenant la branche armée de l’exécutif sioniste avant de former en 1948, lors de l’accession de l’État à l’Indépendance la principale composante de Tsahal. (Tsva Haganah Le-Israel – “Armée de Défense d’Israël“).

[2] Aux élections de 1999, alors Premier ministre en poste depuis trois ans, il perd largement devant Ehud Barak.

[3] Mahmoud Abbas, longtemps mieux connu en tant qu’Abu Mahzen, son pseudonyme au sein du Fata’h.

[4] Ephraïm Halévy, juriste, dirigea le Mossad de 1998 à 2002 ; il fut également le chef du Conseil national de sécurité israélien, et tint une grande part dans la signature des accords de paix entre la Jordanie et Israël.

[5] La fracture géologique dite du Grand Rift, ou Rift Valley, dans la littérature géographique du XIXe siècle, y est décrite comme s’étendant du Zambèze à la mer Rouge. Elle inclut la vallée du Jourdain, à laquelle Marcus fait ici référence.

[6] Netanyahu, qui participera à la conférence anuelle de l’Aipac à Washington du 22 au 24 mai prochain, a été invité à cette occasion à prendre la parole devant les deux chambres réunies.

[7] Septembre 2011, où la Palestine devrait voir son indépendance reconnue par les Nations Unies.

[8] L’épouse de Bibi Netanyahu s’est illustrée le 31 mars dernier en prenant la parole à sa place pour un plaidoyer pro domo concernant l’usage, selon elle légitime, des deniers de donateurs pour financer certains voyages du couple.

[9] La répression par Hafez el-Hassad de l’insurrection de la ville de ‘Hama, en février 1982, fit selon les bilans de 10 000 à 45 000 morts, l’armée bombardant indistinctement la ville (27 jours durant) et les colonnes de réfugiés qui la fuyaient.

[10] “Yekké“, terme dérivé de la “jacquette“ que les Allemands émigrés dans les années trente portaient volontiers, est le surnom qui leur colla aussitôt à la peau – persiflant leur rigueur et leurs manies, toutes si peu “orientales“. Cela dit, pour un “yekké“, un mot est un mot et non son frère, même synonyme… Marcus, me semble-t-il, en retient ici à juste titre l’aspect positif.

[11] Dans un célèbre sketch mettant en scène un Soudanais qui bondit à chaque coup de gong annonciateur d’une question encore à venir.