Haaretz

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


« Rien ne sert de courir, il faut partir a point », dit la tortue au lièvre dans la célèbre fable d’Esope [[Ron Skolnik cite Esope. Nous francophones avons la chance d’avoir eu La Fontaine. La citation reprend donc l’adaptation de Jean de La Fontaine.]] sur les vertus de l’opiniatrete face au leurre de la vitesse. (…)

Deux projets de paix cherchent actuellement à gagner les peuples israélien
et palestinien aux compromis douloureux qu’ils devront faire si un accord définitif entre les deux parties doit jamais voir le jour. Bien qu’ils se dirigent tous deux vers la même ligne d’arrivée (plus ou moins), leur stratégie pour y arriver sont aussi différentes que celles des personnages d’Esope.

Le « lièvre » israelo-palestinien est incarné par les anciens ministres Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, qui doivent le 4 novembre prochain révéler en grande pompe leur « pacte de Genève ». Le projet a démarré comme un sprint. Heureux de cette aubaine, les médias israéliens lui ont consacré toute leur attention. Les journaux israéliens sont submergés d’informations sur ses différentes clauses, les éditorialistes et les analystes louent ses vertus ou déplorent ses déficiences, tandis que Beilin et ses amis israéliens travaillent au corps la télévision et la radio, accordent des interviews, fournissent des explications et ripostent aux critiques émanant des cercles gouvernementaux.

Pendant ce temps, un autre projet marche tranquillement, une « tortue »
israélo-palestnienne, en quelque sorte. Connu sous le nom de « Voix des
Peuples », il est dirigé par Ami Ayalon, ancien commandant en chef du Shin Bet, et par Sari Nusseibeh, président de l’université palestinienne Al-Qods. Il a moins de glamour, a généré moins de publicité, et encore moins de pompe, mais l’approche lente et tranquille semble pour les chercheurs de paix israéliens et palestiniens la seule manière de pouvoir gagner un jour.

L’approche Ayalon-Nusseibeh se fonde sur le constat que si l’on veut bâtir un immeuble stable, il faut commencer par établir une fondation solide. Les deux hommes pensent que si les Israéliens et les Palestiniens peuvent être convaincus d’accepter le raisonnement qui est derrière les compromis qui font mal, ils trouveront beaucoup plus facile de tolérer lesdits compromis. Et donc, au lieu de concocter tous les details entre soi, et de présenter aux deux peuples qui n’en peuvent mais un accord clés en mains, Ayalon et Nusseibeh ont choisi de partir du terrain. Ils ont formulé une « Déclaration de Principes » générale pour un accord définitif, et se sont mis à affronter les opinions israélienne et palestinienne en une difficile entreprise de discussion, de dialogue et de persuasion.

En juin dernier, Ayalon et Nusseibeh ont demandé aux Israéliens et aux
Palestiniens de signer une pétition acceptant leur « Déclaration de Principes ». A l’heure actuelle, plus de 80.000 Israéliens et plus de 65.000 Palestiniens l’ont fait. Le processus est long et laborieux. Du cote israélien, le message est diffusé dans des stands de signature sur les trottoirs, dans des soirees privées où des petits groupes se réunissent, et dans des conferences régionales. Les Palestiniens font du porte-à-porte. Les recrues se font une par une. Les organisateurs savent que cela peut prendre plusieurs années, mais ils sont prêts pour un long voyage.

Bien sûr, les grands titres consacrés au pacte de Genève ont leur valeur. Ils aiguisent encore plus la prise de conscience que trop de temps et d’efforts ont été gâchés dans des initiatives de paix fondées sur des mesures par étapes sans objectif final, qui s’embourbent dans des discussions sans fin sur « qui fait quoi le premier ».

Mais dans un Israël qui tangue de crise en crise, les grands titres d’aujourd’hui seront vite oubliés, et remplacés par le dernier attentat, le dernier assassinat ou la dernière crise gouvernementale. Les médias peuvent donner à une initiative de paix le coup de pouce final vers la ligne d’arrivée, mais ils ne peuvent pas l’y amener. Si le progrès vers une réconciliation entre Palestiniens et Israéliens est une course, c’est une course de fond et non un sprint, et les qualites requises pour vaincre ressortent davantage de l’endurance que de la légerèté de pied. Si le pacte de Genève doit être davantage qu’un feu de paille, ses auteurs doivent avoir à l’esprit la morale de la fable.