Le Chapô de La Paix Maintenant

La langue du Premier ministre est peut-être bien fourchue, mais quand il appelle publiquement à des négociations sans conditions préalables, il revient aux Palestiniens d’y répondre favorablement, écrit ici en substance A. B. Yehoshoua – qui fait pour le camp de la Paix et les représentants politiques des citoyens arabes d’Israël un impératif moral d’enjoindre cette réponse positive aux responsables palestiniens.

Que l’on estime une telle réaction souhaitable pour le bien commun des deux peuples et qu’on le dise à ces alliés naturels que sont la gauche israélienne et les Palestiniens, voire qu’on les y exhorte, rien de plus légitime. Mais «poser une exigence» aux dirigeants élus des Palestiniens paraît d’autant plus dommageable qu’il s’agit là de l’unique et fragile émanation de la souveraineté palestinienne.

À elle de juger, in fine, de la meilleure stratégie à adopter pour son peuple et de déterminer, dans cette partie complexe, où est la proie et où l’ombre…

L’article de À. B. Yehoshoua

Le devoir moral et politique du camp de la Paix israélien dans toutes ses composantes est de poser à l’Autorité palestinienne et à qui se trouve à sa tête [1] l’exigence d’accepter la proposition du Premier ministre d’Israël et d’entamer des négociations sans conditions préalables. C’est également le devoir moral des représentants à la Knesset de la Liste arabe unie de se joindre à cette exigence du camp de la Paix israélien. Ces derniers mois, le chef du gouvernement israélien a déclaré publiquement et à plusieurs reprises, y compris en présence des Premiers ministres de Grande-Bretagne et de France, être prêt à ouvrir des négociations directes avec les dirigeants de l’Autorité palestinienne sans conditions préalables, et à discuter de tous les points sujets à controverse – dont celui des frontières et celui des réfugiés. À un moment, Benyamin Nétanyahou s’est même dit disposé à se rendre à Ramallah pour cela.

Comme beaucoup, je suis conscient du maniement par le Premier ministre d’une langue qu’il a fourchue; de ses proclamations creuses et de ses manœuvres machiavéliques; conscient aussi de toutes les preuves que sa bouche et son cœur ne vont pas de pair. Malgré tout, si le représentant officiel de l’État d’Israël propose l’ouverture sans conditions préalables de négociations claires et nettes, il revient aux Palestiniens d’y répondre positivement et d’entamer les pourparlers, quelle qu’en soit l’issue. Quand bien même de tels pourparlers n’aboutiraient qu’à un progrès minime dans les relations entre les deux peuples, il serait souhaitable de les tenir. Même si l’on ne parvenait pas à partager Jérusalem, mais que l’on arrive au moins à démanteler les avant-postes illégaux et à transférer à l’Autorité palestinienne encore quelques arpents, si modestes soient-ils, de la zone C [2], ces négociations auront apporté des résultats importants; même si rien de significatif ne se décidait au cours de ces négociations, mais que l’on obtienne un partage des eaux plus équitable envers les agglomérations palestiniennes en Cisjordanie, ou un allègement du sort des prisonniers [en Israël], les Palestiniens ont intérêt à entreprendre, face à face avec les dirigeants israéliens, un dialogue ouvert et sans fard afin de rechercher tous les moyens d’améliorer leur situation.

Les Palestiniens pourront continuer à appeler les institutions internationales à leur aide et demander leur appui pendant les négociations directes. Il n’y a pas de contradiction entre l’action diplomatique internationale à grande échelle et la tenue de négociations [bilatérales]. Après tout, Israël aussi poursuivra ses opérations de communication et son travail politique en vue de renforcer sa position pendant les négociations directes. Ce ne sont ni les institutions internationales ni les pressions européennes ou américaines qui généreront la “solution à 2 États”; seules des négociations directes le pourront. L’évidence absolue, aujourd’hui, est également que le monde arabe, en proie au chaos et à la confusion, pris dans la violence de guerres civiles complexes, ne résoudra pas le problème des Palestiniens et ne leur conférera pas l’indépendance politique à laquelle ils aspirent. En effet, même durant les années où le monde arabe était puissant, stable et uni, après la guerre des Six-Jours comme celle de Kippour, il n’a pas réussi à empêcher qu’une seule implantation fût érigée.

Si, dans le secret de leurs cœurs, les Palestiniens repoussent en réalité la solution à deux États et souhaitent un seul État, grand bien leur fasse – mais alors qu’ils révèlent leurs intentions et expliquent publiquement lors des négociations quels sont selon eux les moyens d’y parvenir et ses modes d’existence. Dans l’intervalle, l’occupation qui se perpétue avec tous ses maux, non contente de décomposer l’ADN de la société israélienne, aggrave la déliquescence de la société palestinienne. Il a fallu vingt ans aux Palestiniens après la guerre des Six-Jours pour comprendre le désespoir de leur situation et reconnaître l’existence souveraine d’Israël dans les frontières de 1967. Et cette reconnaissance n’est elle-même venue qu’une fois la paix signée avec l’Égypte et la Jordanie, et du fait de l’arrivée massive en Israël de nouveaux immigrants en provenance de l’ex-Union soviétique.

Yasser Arafat refusa de se joindre au pacifique coup de théâtre d’Anouar el-Sadate atterrissant en Israël en 1977. Et le processus de paix israélo-palestinien perdit de nouveau de précieuses années, durant lesquelles s’érigèrent de plus en plus d’implantations, qui grignotèrent sur le terrain le futur territoire de l’État palestinien. L’arrêt des discussions de Camp David et la seconde intifada [3], avec toutes ses horreurs pour les deux peuples, ont encore éloigné la solution espérée. Et quand enfin l’ex-Premier ministre d’Israël Ehoud Olmert donna à Abou Mazen une carte opérationnelle dessinant les frontières définitives proposées – qui recouvraient celles de 67 à quelques 2% ou 3% du territoire près [4] – Abou Mazen, au lieu de marchander sur la base de cette proposition majeure, garda tout simplement le silence, l’éludant du fait qu’il supposait [à juste titre], qu’Olmert ne serait bientôt plus aux affaires. Mais pourquoi Abou Mazen devrait-il se soucier des lacets entravant le gouvernement israélien? Il est le chef d’un peuple colonisé qui a faim de liberté et il lui faut œuvrer jour et nuit à un traité définitif avec l’occupant afin de mettre fin à l’occupation. S’il reçoit une proposition aussi claire de la part du gouvernement d’Israël, cela vaut la peine de la transformer en un puissant moteur pour la suite des négociations.

Même si le camp de la Paix ne se fie pas aux propositions de Nétanyahou, il doit le prendre au mot et requérir, à titre moral et politique, de l’Autorité palestinienne qu’elle ouvre immédiatement des négociations. Je m’illusionne peut-être, mais il me semble que même Nétanyahou et son entourage comprennent aujourd’hui qu’un État binational formera à long terme une bien sinistre image et un lourd fardeau pour l’identité israélienne. C’est pourquoi des négociations continues, obstinées, et aussi publiques que faire se peut, si douloureuses et décevantes qu’elles puissent être pour l’une et l’autre des parties, revêtent de par leur existence même une grande importance. Il ne se peut pas que le camp de la Paix se contente de flatter l’Autorité palestinienne en exprimant sa solidarité et sa compassion. Ce sont justement les membres du camp de la Paix qui doivent exiger sans ambiguïté des responsables de l’Autorité palestinienne qu’ils invitent à Ramallah les officiels israéliens au plus haut niveau, ainsi que l’a proposé Nétanyahou, pour débattre de tous les problèmes sous les feux de la rampe, devant les caméras et sans conditions préalables. Toute solution et tout accord, même les plus minimes, seront les bienvenus.

Notes

[1] Ma’hmoud Abbas, bien entendu, généralement nommé en Israël par son nom de guerre, Abou Mazen.

[2] Les Territoires occupés sont divisée en trois zones administratives et militaires [les données statistiques qui suivent sont de décembre 2012]:

• La zone A (20% du territoire et 55% de la population palestinienne), comprenant les grandes villes sauf Hébron, où l’Autorité palestinienne exerce une juridiction civile incluant les pouvoirs de police;

• La zone B (28% du territoire et 41% de la population), essentiellement rurale, où la sécurité intérieure est exercée conjointement avec Israël;

• La zone C (60% du territoire et 16,5% de la population), englobant les implantations israéliennes, les zones tampon ou stratégiques, l’intégralité de Jérusalem-Est et de la vallée du Jourdain… Cette zone détient la plus grande part des terres fertiles et de ressources de Cisjordanie, et est la seule à posséder une continuité territoriale en Cisjordanie, encerclant et divisant les zones A et B

[3] Qui éclata après l’échec des négociations entre Ehoud Barak et Yasser Arafat sous l’égide de Bill Clinton à Camp David en 2000 (parfois dites Camp David II).

[4] L’auteur fait ici allusion à l’édification d’un État palestinien souverain sur les territoires inclus dans les frontières antérieures au 6 juin 1967 (ou Ligne verte, fixée sur les lignes d’armistice de 1949), lesquels seraient évacués par Israël à cette fin – à l’exclusion des grands blocs d’implantations frontaliers (essentiellement à Jérusalem-Est), censés faire l’objet d’échanges de superficie équivalente: les 2 à 3% en jeu à l’été 2008, juste avant de nouvelles législatives en Israël. Depuis, l’expansion constante de la colonisation a sans cesse modifié la donne, comme on peut le voir sur les cartes et dans les données chaque fois réactualisées de l’Observatoire des colonies de Shalom Akhshav [l’organisation mère de LPM] – consultables en hébreu ou en anglais sur le site du mouvement: [–>http://peacenow.org.il]