Ha’aretz, 20 avril 2007

[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/850661.html]

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Quelque chose est en train de bouger sur le front diplomatique. Les faits :
1/ Des proches du président Mahmoud Abbas ont affirmé à des amis du côté de la gauche israélienne que, cette fois, ils étaient ressortis satisfaits de leur rencontre de dimanche dernier avec le premier ministre Ehoud Olmert.
2/ Le lendemain, un accord entre Palestiniens a été trouvé sur la suspension des tirs de roquettes Qassam sur Israël depuis la bande de Gaza. Depuis, seuls quatre tirs de mortiers ont été constatés.
3/ Pour la première fois, Olmert a accepté de parler « d’horizon diplomatique » avec Abbas et de commencer à discuter des règles économiques et sécuritaires qui prévaudraient entre Israël et le futur Etat palestinien.
4/ Pour la première fois de son histoire, la Ligue arabe a nommé une délégation chargée de faire avancer son initiative auprès d’Israël.
5/ Le point de passage frontalier de Karni, principale artère pour l’économie de Gaza, s’est rouvert cette semaine, très agrandi.
6/ Le général américain Keith Dayton a reçu un budget pour l’entraînement et l’équipement de la garde présidentielle d’Abbas et pour le cabinet de son conseiller aux affaires de sécurité, Mohammed Dahlan.

Comment interpréter ces signes? Cela dépend à qui on s’adresse. Du côté du cabinet d’Olmert, on s’exprime avec précaution. Il y a encore beaucoup de travail, dit-on, et on verra où tout cela mène. Olmert espérait une rencontre avec les Saoudiens, avec une grosse couverture médiatique, en guise de conférence de paix régionale, et il a essuyé un refus. En fait, la délégation de la Ligue arabe sera composée de l’Egypte et de la Jordanie, qui parlent à Israël tout au long de l’année. Aucune image enthousiasmante à exploiter. Les Arabes ne se hâtent pas d’aider Olmert, sachant les critiques publiques qu’il subit et la publication à venir des conclusions de la commission Winograd [[La commission Winograd, du nom de son président,est chargée de tirer les conclusions des dysfonctionnements qui ont eu lieu lors de la guerre au Liban, l’été dernier. ]]. Peut-être attendent-ils, comme tous les Israéliens, de voir comment Olmert survivra au rapport de cette commission pour, après, réfléchir aux actions à mener

Ce nouveau souhait d’Olmert de parler avec d’Abbas « d’horizon diplomatique » peut s’interpréter de deux manières.

Soit il s’agit d’un renoncement au principe de fer de Sharon, qui consistait à ne pas évoquer de principes diplomatiques avant que les Palestiniens n’extirpent le terrorisme et ne « deviennent des Finlandais », selon les termes de l’ancien conseiller de Sharon, Dov Weissglas. Sharon soupçonnait un piège, où Israël serait forcé à accepter un accord définitif sur les bases de Clinton ou de Barak, ou risquerait d’être accusé de refuser la paix. Il s’est donc toujours abstenu, à tout prix, de toute négociation, chaque fois avec un nouveau prétexte. Une fois, « 7 jours de calme », puis le remplacement des dirigeants palestiniens, et quand cela non plus n’a plus suffi, il a évacué les colonies de Gaza. Ainsi, il s’est acheté un certain répit.

Bien qu’Olmert, toujours selon cette version, continue à parler de la « Feuille de route » et de refuser de parler de Jérusalem, des frontières finales ou des réfugiés palestiniens, à partir du moment où il a accepté de parler avec Abbas de « l’horizon diplomatique », ne serait-ce que pendant 40 minutes comme dimanche dernier, la route est de nouveau tracée vers des propositions mises en attendant au placard, de Camp David à Taba. Le monde accepte la demande d’Abbas de parler d’accord définitif, et exerce une pression considérable sur Olmert, en lui demandant d’agir vite. Cette pression affaiblirait lentement la capacité d’Olmert à dire non, ainsi que ses positions dans les négociations.

Absurde, dit une autre version. Olmert, compte tenu de sa position très fragile dans les sondages, ne dispose pas du soutien nécessaire pour un acte diplomatique aussi spectaculaire, et si jamais il essayait, il risquerait de perdre ses alliés dans sa coalition : le parti d’Avigdor Lieberman et Shas. Abbas peut continuer à parler, mais il n’est pas en position de parvenir à un accord, et en tout cas, certainement pas de le faire appliquer. Dans ces circonstances, Olmert ne fait qu’essayer de calmer Condoleezza Rice au meilleur prix possible. Il a donc accepté les rencontres bi-mensuelles avec Abbas, et d’employer de jolies expressions comme « l’horizon diplomatique ». Quoi qu’il en soit, avant toute chose, Olmert doit libérer Gilad Shalit, puis essuyer les critiques inévitables qui accompagneront la libération de meurtriers terroristes [palestiniens, dans le cadre d’un échange de prisonnier, ndt]. Alors seulement, et s’il sort indemne du rapport Winograd, il pourra réfléchir sérieusement à un horizon diplomatique.

Alabama : un 3/5ème d’homme

Et que veut Condoleezza Rice? Le mois prochain, elle sera par deux fois dans la région, au sommet des voisins de l’Irak, à Sharm el-Sheikh, et à la conférence du Forum économique en Jordanie, d’où elle fera des sauts à Jérusalem et à Ramallah. Avant sa visite, les Américains présenteront à Olmert une liste de « tests d’application », dont ils évalueront les résultats : la guerre au terrorisme par les Palestiniens, et les mesures prises par Israël pour soulager la vie des Palestiniens dans les territoires. Les proches de Rice ont été très fâchés des informations négatives dans la presse israélienne qui ont suivi sa dernière visite à Jérusalem. Ils pensaient qu’elle méritait davantage pour ses efforts et ses réussites, et des « sources au sein de l’administration américaine » (soit, en langage journalistico-diplomatique, Rice elle-même, ndt) ont laissé filtrer aux agences de presse que, dès cet été, des progrès importants seraient réalisés dans les pourparlers entre Israël et les Palestiniens. Rice, soulignent ceux qui travaillent avec elle sur le dossier israélo-palestinien, a le soutien plein et entier du président Bush. Les allusions à un soi-disant fossé entre leurs positions, disent ces officiels, indiquent que, soit la presse a tout faux, soit que ses sources (probablement des fonctionnaires ou des élus du gouvernement israélien) ont tout faux. Il vaudrait mieux, dit l’un des fonctionnaire de l’administration américaine, accepter les choses comme elles sont, et non espérer des fissures qui permettraient à Israël de manoeuvrer entre Rice et son patron. Quant à l’engagement de Rice elle-même, personne ne le conteste, en particulier cette semaine.

Car cette semaine, Rice a eu une longue conversation avec un groupe de correspondants étrangers, au cours de laquelle , entre autres choses, on lui a demandé comment elle concevait la contradiction entre l’argent dépensé par les Etats-Unis pour améliorer son image dans le monde arabe et « la tension croissante en Palestine, au Liban, en Irak et en Somalie. » Elle a répondu longuement,mais la partie la plus intéressante de sa réponse a été quand elle a évoqué son expérience personnelle : « Mes ancêtres, dans la première Constitution américaine, étaient des 3/5èmes d’hommes, mais depuis, nous avons fait des progrès. Et je ne suis même pas le premier secrétaire d’Etat noir (Colin Powell l’a été avant elle). » La solution au Moyen-Orient, comme aux Etats-Unis, a-t-elle dit, passe par « des sociétés plus ouvertes ». Et « personne n’est plus résolu que moi à tenter de les résoudre. »

Déclaration générale suivie d’un exemple, celui du conflit israélo-palestinien : « Ce gouvernement est absolument – et ce président est absolument engagé à y arriver, à la création d’un Etat palestinien. »

Pour les analystes américains, Rice vise à parvenir à un accord de principe sur la création d’un Etat palestinien « héritage de Bush » dont il reviendra à l’homme ou à la femme qui lui succèdera de le mettre en oeuvre.

Satisfaction palestinienne à Washington

Le ministre palestinien des finances, Salam Fayyad, n’a fait aucun effort pour cacher son sourire de satisfaction. Sa rencontre avec Condoleezza Rice, qui n’avait pas été annoncée à l’avance, n’a été qu’un des éléments de sa conquête de l’Amérique [Voir l’article de Salam Fayyad : « Les Palestiniens ne veulent pas être une nation de mendiants » : [ ]], comme s’il n’y avait jamais eu d’accord de La Mecque. Les Américains travaillent maintenant, encouragés par Fayyad, mais aussi de leur plein gré, à des formules qui permettraient de faire parvenir des fonds aux Palestiniens de manière plus efficace. A cet effet, Fayyad a rencontré également des fonctionnaires du Trésor américain. L’intention est de transférer des fonds sur des comptes appartenant au Fatah et dont Fayyad a le contrôle, et non au gouvernement auquel participe le Hamas. L’administration américaine ne s’est pas excusée pour cette rencontre de haut niveau, au contraire. « C’est notre manière de faire la distinction entre les extrémistes et les modérés », a dit un officiel haut placé.

Israël, pour le moment, garde le silence. Ce n’est pas le moment de se quereller avec les Américains. Par des canaux discrets, des questions ont été transmises concernant les futures mesures financières, pour tenter d’assurer que la fin du boycott économique international [imposé à l’Autorité palestinienne, ndt] ferait du boycott israélien une plaisanterie. Encore une fois, Israël en sortirait comme le seul qui refuse, qui n’ouvre pas son porte-feuille et qui garde pour lui le produit des taxes palestiniennes.

Cette semaine, Israël s’est retrouvé dans la position du refus, à l’occasion d’une rencontre de dialogue financée par l’homme d’affaires S. Daniel Abraham, un proche d’Olmert. L’Israël officiel a boycotté l’événement, selon les instructions d’Olmert, et le vice-ministre de la défense Ephraïm Sneh, qui était censé y participer,est resté chez lui. L’ancien ambassadeur américain en Israël, Martin Indyk, qui dirige le centre qui accueillait la conférence, n’a pas caché sa position : « Il est difficile de croire que Fayyad constitue une menace pour Israël. » Il a également prédit qu’à l’avenir, Israël n’aurait pas d’autre choix que de se retrouver, d’une façon ou d’une autre, dans la même salle que Fayyad, par exemple lors d’une réunion internationale de ministres des finances.