L’expérience acquise au cours du XXe siècle nous enseigne que l’alliance de la droite radicale et de la droite modérée se noue sur la base de leur haine qu’elles éprouvent toutes deux à l’égard des valeurs fondamentales de la gauche. Même sans amour, l’ennemi commun rapproche et permet de vivre ensemble, tout au moins jusqu’à une certain point. Nous avons beau n’en être qu’au commencement, Yaïr Lapid et ses partisans ont déjà confirmé cette hypothèse en déclarant ne pas vouloir s’associer à un bloc qui barrerait la voie au Likoud.

Ici comme ailleurs, lorsqu’il faut choisir entre le mal (la droite radicale) et le pire (la gauche), la droite libérale se range aux côtés des nationalistes. Certes, elle a engagé cette alliance en étant persuadée qu’elle parviendrait à éduquer l’autre partenaire et à en profiter selon ses besoins. Mais c’est généralement l’inverse qui se produit et les extrémistes, plus violents et moins tatillons quant aux moyens, parviennent à épuiser les modérés et à les éliminer politiquement. Dans le contexte israélien, il n’y aucun doute quant à savoir qui a le plus de chances d’ingérer l’autre. Tel est le danger qui guette Yaïr Lapid.

Pour empêcher son asservissement au Likoud et même sa dissolution progressive dans son ombre, Lapid et ses partisans doivent renoncer à la démagogie du “partage du fardeau” et se concentrer sur l’essentiel : mettre fin à l’occupation et au contrôle violent exercé sur les Palestiniens, refuser l’injustice et l’exploitation. Leur seconde grande revendication – prendre en compte les intérêts des classes moyennes – telle qu’elle a été formulée lors des élections, relève de la malhonnêteté intellectuelle. Sans changer globalement de conception économique et sociale, il n’est pas possible de s’occuper vraiment de ceux qui travaillent. Les partisans de Lapid doivent démontrer qu’ils se soucient également des autres problèmes sociaux, non moins brûlants : ceux des couches défavorisées et ceux que cause le délitement du système de protection sociale. Cela aussi, c’est s’intéresser aux classes moyennes !

À ce stade, la question principale est la suivante : y a-t-il véritablement une différence entre Lapid et ses partisans d’une part, et la direction du Likoud d’autre part ?  Si le néo-libéralisme est au fondement de cette collaboration, les électeurs sauront qu’ils ont donné leur voix à Benjamin Netanyahu. Si la droite radicale parvient à acheter Lapid à bon prix sur des questions secondaires, sur des points qui relèvent d’une cosmétique simpliste – la conscription des élèves des écoles talmudiques dont nul n’a besoin à l’armée, la diminution du nombre de ministres – et à avoir en contrepartie les mains libres sur des sujets fondamentaux, alors cette campagne électorale entrera dans l’histoire comme une escroquerie sans précédent.

Concernant les relations avec le monde arabe, les libéraux de Yaïr Lapid doivent démontrer qu’ils ne veulent pas seulement du processus de paix, feuille de vigne servant à désamorcer la critique internationale, mais sa substance, la paix elle-même ! Pour cela, ils doivent s’opposer au démembrement de la rive occidentale en vulgaires cantons et démontrer, à l’inverse de la droite radicale, qu’ils ne sont pas indifférents aux problèmes moraux. Au final, ils ont l’obligation de démontrer l’erreur de ceux qui les soupçonnent de n’être pas vraiment concernés par tout cela et d’admettre que les Palestiniens continuent à vivre sans droits, écrasés qu’ils sont par un système oppressif à double visage, colonisateur et militaire.

Ainsi, pour ne pas devenir le leader d’un Likoud de “deuxième division”, Yaïr Lapid doit immédiatement déclarer comprendre qu’Abu Mazen ne puisse se présenter au public palestinien s’il s’assoit à la même table que Netanyahu alors que la Jérusalem arabe est soumise à un processus accéléré de judaïsation, que la vallée du Jourdain se vide de ses habitants, que les implantations s’étendent et que la zone E1 devient partie intégrante du consensus national israélien.

Si les partisans de Yaïr Lapid parviennent à faire se mouvoir le processus d’un changement réel, ils entreront dans les livres de l’Histoire par la grande porte – et si tel n’est pas le cas, il n’en restera même pas une “note de bas de page”.