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Ha’aretz, 15 février 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Quelqu’un qui, semble-t-il, a un sens du sarcasme particulièrement développé, a décidé de nommer officiellement la route de la Vallée du Jourdain (Route 90) « route Gandhi ». La référence n’est pas à Mahatma Gandhi, mais à Rehavam Ze’evi [surnommé « Gandhi », ndt), qui défendait le « transfert », soit l’expulsion des Palestiniens de leur terre. Ce fonctionnaire avait sans doute compris que c’était un nom qui convenait bien pour cette route de l’Est. Car, non seulement sur cette route, mais sur toute l’étendue, immense et magnifique, de la Vallée du Jourdain et de ses pentes orientales, règne un sentiment d’absence, de perte et de vide.

Les Palestiniens ont disparu de la vallée, à part quelques milliers qui y vivent encore, plus une poignée à qui Israël accorde un permis d’entrée journalier, pour diverses raisons. Parmi ceux qui restent, on ne peut même pas inclure les quelque 35.000 habitants de Jéricho, car l’armée israélienne leur interdit de se déplacer au Nord de la zone A, où ils habitent. ??Plusieurs dizaines de milliers d’habitants des villes et des villages voisins, au Nord de la Cisjordanie, situés parfois à quelques kilomètres seulement de là, sont absents de la vallée, bien qu’y ayant de la famille, des amis, des terres, des maisons, des liens commerciaux et des emplois. Manquent aussi les voitures palestiniennes qui, dans un passé pas si lointain, avaient coutume de transporter les absents. Manquent encore les milliers de voyageurs potentiels vers la Jordanie, les familles et vacances et les étudiants. Nulle trace de ces clients potentiels dans les kiosques colorés situés aux carrefours. ??Des soldats contrôlent cette absence par le moyen de quatre check points principaux, qui coupent la vallée du reste de la Cisjordanie. Ils obéissent aux ordres : interdiction faite à tout Palestinien (en d’autres termes, à 2 millions de personnes, les 1,4 million de Gazaouis étant de toute façon interdits d’entrée en Cisjordanie) de pénétrer dans la vallée, sauf pour ceux dont l’adresse officielle qui figure sur leur carte d’identité est la vallée du Jourdain. ?
Certains diront que ce sont des mesures de sécurité, qu’elles soient légitimes ou excessives, on pourrait en discuter, et citeront les attaques subies par les colons de la région depuis cinq ans. Mais en réalité, il s’agit de la continuation d’une politique d’Israël à long terme qui s’est intensifiée pendant la période Oslo. Cette politique a fait de la vallée du Jourdain palestinienne, qui représente environ un tiers de la Cisjordanie, une histoire d’occasions perdues du point de vue du potentiel qu’elle représente pour les Palestiniens : potentiel de développement agricole et touristique, d’amélioration et d’extension de communautés ou de construction de nouveaux villages, pour une grande variété de styles de vie : urbain, rural, semi-nomade, moderne ou ancien et quasi biblique.

Les concepteurs d’Oslo du côté israélien ont pris soin de s’assurer que l’Autorité palestinienne ne puisse pas développer cette région pendant cette période critique, quand beaucoup pensaient que la réhabilitation de l’économie constituerait une bonne base, à la fois pour une solution pacifique et pour qu’augmente le soutien populaire à cette solution.

Ils ont donc conçu la plus grande partie de la Cisjordanie orientale comme une zone C (sous contrôle israélien total), c’est-à-dire interdite de développement pour les Palestiniens. Seules les colonies ont été autorisées à se développer, grâce en grande partie au vol et à l’exploitation des ressources palestiniennes en eau. Une zone de manoeuvres militaires, où l’armée manoeuvre depuis la conquête de la Cisjordanie, occupe 475 km carrés de la vallée et empiète sur le style de vie traditionnel de milliers de bergers semi-nomades. Ces bergers y sont souvent chassés de leurs tentes, ou on leur interdit pâturages et cultures vivrières. ??Il fut un temps où l’on expliquait qu’il s’agissait d’une zone de tir ; puis ce fut un problème de construction illégale. Pas plus tard que jeudi dernier, des fonctionnaires de l’administration civile démolissaient les tentes, les cabanes et les bergeries d’une vingtaine de familles d’agriculteurs, en cinq endroits différents de la vallée. Ce que craignent les planificateurs israéliens est clair : vers les années 50, une partie importante des villages palestiniens de la vallée sont passés du statut d’habitat saisonnier pour ceux du Nord de la Cisjordanie à celui de résidences permanentes. On encourage les Juifs à s’installer dans la vallée, mais on utilise toute méthode possible et imaginable pour en dissuader les Palestiniens. ??En empêchant le développement, en stoppant un processus naturel et ancien de construction et d’expansion démographique, on vide la vallée. Mais, ces derniers mois, cette politique est devenue plus active : de temps en temps, des soldats viennent la nuit et déplacent de l’autre côté du check point ceux qui vivent ou travaillent dans la vallée mais dont l’adresse officielle est ailleurs. Le matin, les gens reviennent à travers les collines, en échappant aux soldats, mais en prenant le risque de marcher sur un obus.
?En octobre, les gens ont eu une autre raison encore d’en avoir assez de leur vie dans la vallée : les agriculteurs palestiniens ont été empêchés de vendre leurs produits aux agriculteurs israéliens au point de frontière le plus proche entre la vallée et Israël. Au lieu de faire cinq kilomètres, ils ont été forcés d’en faire 50, vers un lointain terminal de frêt (Jalameh), et d’attendre indéfiniment aux check points intermédiaires en sachant qu’une partie de leurs fruits et légumes était abîmée par le soleil et les chocs. En sachant qu’il n’y aurait pas de salaire à leur travail. ??L’armée jure que ces interdictions n’ont rien à voir avec les déclarations au niveau politique selon lesquelles la vallée restera pour toujours aux mains d’Israël. Mais, en pratique, elle contribue à la vider de ses habitants palestiniens, et à préparer son annexion officielle à Israël.