Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


On s’accorde généralement à reconnaître qu’au point où nous sommes, les objectifs premiers revendiqués par le mouvement juif d’implantation dans les Territoires sont d’ores et déjà atteints. Comme Hanoch Marmari l’écrivait dans un émouvant plaidoyer publié dans ces colonnes [cf [ ]], le colon par idéologie est celui qui détient les clefs de notre avenir. De fait, si l’on ne met pas une fois pour toutes un point final aux implantations par une decision politique sans ambiguité et dans le cadre d’un règlement de paix global, le processus de colonisation juive se poursuivra dans les Territoires jusqu’à la « rédemption » du dernier dounam de terre [[la plus petite mesure agraire au Moyen-Orient.]] ou l’expulsion du dernier des Arabes à refuser d’admettre la domination juive. La guerre qui nous est imposée est dès lors éternelle. Et quand le dirigeant du mouvement des colonies Ze’ev Hever (dit Zambish) et ses compagnons se font de nouveaux alliés, tels le président Bush et les terroristes islamistes, qui posent chacun pour ses raisons propres des conditions déraisonnables ou délirantes à l’arrêt de la guerre, seul le ciel, en Cisjordanie, est la limite.

Quoi qu’il en soit, le danger le plus grave nourri par l’idéologie de la colonisation est ailleurs. Au lieu de renforcer et de célébrer le sionisme, la colonisation érodera sa base morale, la réduisant en dernier ressort à néant. S’il prend racine, l’argumentaire de la colonisation, non content de justifier la vieille accusation des pires ennemis du sionisme, finira par saper la sécurité des Israéliens eux-mêmes jusque dans le cadre du mouvement national juif.

Les gens qui provoqueront cela sont ceux qui prétendent que toute présence juive dans les limites de la terre historique d’Israël tient son droit d’un seul et même principe. S’il s’avère qu’il n’y a aucune différence entre les territoires conquis à l’issue de la guerre d’Indépendance et ceux tombés dans notre escarcelle durant la guerre des Six Jours, il se peut que le sionisme n’ait jamais été, comme le
prétendent ses ennemis, un mouvement de libération nationale ou destiné à sauver les Juifs de la disparition physique ou culturelle, mais bien un mouvement impérialiste visant à une expansion perpétuelle.

La vérité est cependant tout autre, heureusement pour nous. Le sionisme tire sa légitimité de la réponse par lui offerte au danger existentiel qui a menacé le peuple juif durant la première moitié du XXe siècle. Ce n’est pas un droit historique, mais la nécessité de sauver des vies qui a forgé les fondements moraux du combat pour un territoire. De ce fait, le droit de tout peuple à assurer son existence en contrôlant son propre destin par la construction d’un cadre politique indépendant est ce qui a justifié la prise de contrôle du territoire à l’origine de l’Etat d’Israël. Le pays n’etait pas vide de gens : le slogan « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » n’était qu’un truc à usage interne,
pour mieux se convaincre soi-même, faire taire sa conscience et faciliter les relations publiques. L’opposition résolue des Arabes, des années durant, ne laisse aucun doute quant à leur conscience du danger qui les menaçait.

En fin de compte, après que la Shoah eut prouvé que le sionisme était justifié, et avec la fin de la guerre d’Indépendance, tous les objectifs que le sionisme s’était assignés se sont trouvés remplis. Il y a ainsi une différence fondamentale entre nos droits sur Petah Tikvah et Ofakim [[à l’interieur de la lLgne verte.]] et le rapt des collines de Cisjordanie volées à leurs propriétaires légitimes. Quiconque nie ces
différences essentielles finira par faire apparaître le mouvement de libération juive tout entier, et pas seulement les implantations de dernière génération, comme colonialiste. Kfar Giladi, Hanita et Merhavya [[kibboutzim des premiers pionniers.]] ont joué un rôle vital dans notre renaissance nationale, tandis que Beit El, Tappouah et Netzarim [[colonies de Cisjordanie et de la bande de Gaza]] remettent en question, non seulement l’image morale de l’Etat d’Israël, mais encore notre avenir lui-même.

En vérité, ce nationalisme fanatique, qui ne se montre pas brutal par nécessité mais par choix delibéré et décision raisonnée, commence déjà à semer des graines empoisonnées qui suscitent le degoût. Je fais allusion à la mentalité des colons telle qu’elle apparaît à travers les lettres envoyées aux soldats de l’Operation Rempart par des élèves des Territoires. Ces enfants ne leur demandaient pas d’éradiquer le terrorisme et de frapper les terroristes, mais de « tuer autant d’Arabes que possible ». L’un d’entre eux demandait : « Tuez-en au moins dix pour mon compte » ; un autre avait une suggestion plus simple encore :
« Oubliez la loi, et faites-en des confettis ».

L’intéressant n’est pas tant l’attitude de ces enfants, et apparemment de leurs professeurs, envers la vie humaine, que le plaidoyer exposé en leur défense. Ecrivant dans le quotidien Yediot Ah’aronot du 5 mai dernier, Emounah Elon, l’une des porte-parole des colons, ne présente aucune excuse ; elle ne voit pas ces lettres comme un « échec éducatif ». Nul ne lui fera reconnaître qu’elle ait pu s’égarer : elle glorifie ces manifestations de « haine salubre » (pas moins !) et voit dans la suggestion d’ignorer la loi une approche saine, pratique et mûre. Nous
avons connu des temps, en Europe, où des gens aussi inspirés qu’Emounah
Elon pensaient qu’observer les lois de la guerre, c’est à dire préserver une certaine humanité, etait dangereux, superflu, voire le signe d’une faiblesse de caractère. Nous en sommes venus là – nous, le peuple qui fut lui-même victime des valeurs aujourd’hui prêchées dans les institutions scolaires des colonies, du fait d’un mépris abyssal pour les droits de l’homme et d’une foi aveugle en notre droit absolu de régner sur la totalité de cette terre et de ses habitants. La barbarie
de la terreur palestinienne ne suffit pas à justifier pareille bestialité.