Alors que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu est en visite en France ce mercredi, L’Express a interrogé David Chemla, responsable de JCall et du mouvement La Paix Maintenant en France.


• Que vous inspire la visite du Premier ministre israélien ?

Comme l’indique le communiqué de JCall publié à cette occasion, nous profitons de la visite du Premier ministre israélien pour demander à M. Netanyahu de préparer une relance résolue du processus de paix avec le peuple palestinien, selon le principe « deux peuples, deux États ». C’est la seule façon, selon nous, d’assurer l’avenir d’Israël et des autres peuples dans la région. Nous espérons que la France l’encouragera à aller dans ce sens.

• Que pensez-vous du récent accord de coalition entre le Likoud de Benyamin Netanyahu, et le parti Israël Beïteinou du ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman ?

Cela va permettre de clarifier les choses. Lieberman est connu pour ses positions extrêmes. Lors des précédentes élections, il avait été jusqu’à remettre en cause la citoyenneté des Arabes israéliens et émis l’idée de les destituer en échangeant les territoires où ils vivent en Israël contre des territoires en Cisjordanie où vivent des Israéliens.

Le système électoral israélien – la proportionnelle intégrale – crée une grande instabilité, provoquant un émiettement politique qui oblige les partis à de laborieux marchandages après chaque élection (en 2009, Tzipi Livni, du parti centriste Kadima, arrivé en tête en 2009, n’avait pas réussi à former une coalition). Cette fois, le marchandage a eu lieu avant l’élection. Netanyahu a dirigé une coalition stable depuis les précédentes élections, en février 2009, en s’alliant avec l’extrême-droite. C’est fort de cette stabilité qu’il a décidé d’avancer les élections, en janvier prochain, en laissant moins de temps à l’opposition pour s’organiser.

L’autre conséquence de cet accord est la disparition d’une liste ethnique russe regroupant les électeurs issus de l’ex-Union soviétique (1 million de personnes en Israël), comme l’est le parti dirigé par Lieberman. Cela permettra peut-être à certains d’entre eux de prendre leurs distances avec ce parti de droite dure en votant pour des listes plus centristes…

• Cette alliance de droite peut-elle redonner ses chances aux partis du centre ?

Oui. Certains électeurs du Likoud, mal à l’aise avec ce virage à droite, pourraient être tentés de rejoindre les candidats du centre. Plusieurs figures vont chercher à capter l’électorat centriste : Shaul Mofaz, qui a succédé à l’ancienne vice-Premier ministre Tzipi Livni à la tête de Kadima. Mais les sondages ne lui sont pas favorables. Tzipi Livni elle-même, si elle se décidait à revenir en politique. Il y a aussi un nouveau venu, le journaliste Yaïr Lapid qui réussit à attirer une grande part des électeurs centristes. Contrairement à son père Tommy Lapid qui avait fondé un parti sur une base laïque, il a donné une deuxième place au sein de sa formation Yesh Atid ( » Il y a un futur « ) à un rabbin modéré, ce qui pourrait lui permettre de drainer aussi une partie de l’électorat religieux modéré. Enfin l’ancien Premier ministre Ehud Olmert pourrait aussi décider de revenir en politique. Inculpé pour diverses affaires de corruption, il a été blanchi depuis sur la plupart des dossiers. Malgré les deux guerres conduites sous son mandat (2006 au Liban et 2009 à Gaza), il reste le dirigeant du centre le plus crédible, et une coalition qu’il dirigerait est donnée à égalité selon certains sondages avec la formation de droite menée par le tandem Netanyahu-Lieberman.

• Où en est la gauche ?

Les Travaillistes ont été laminés en 2009. Ils n’avaient plus que 13 députés. Ils se sont en outre divisés, un petit groupe, autour d’Ehud Barak, choisissant de rester dans le gouvernement de Netanyahu. Un groupe décidant de le quitter. Ce dernier, conduit par l’ancienne journaliste Shelly Yah’movitch, fait une campagne axée sur les questions sociales. Il espère ainsi récupérer une partie de la contestation de l’été 2011. La gestion ultralibérale de l’économie conduite par le cabinet Netanyahu a en effet creusé les écarts sociaux en Israël, et le Parti travailliste pourrait engranger des voix chez les déçus de cette politique. Les sondages soulignent la remontée du Parti travailliste (jusqu’à 23 députés), qui évite soigneusement d’évoquer la question sécuritaire (une éventuelle attaque de l’Iran) ou palestinienne.

La question palestinienne, justement, semble tombée aux oubliettes.
Elle est bloquée en effet. Il n’y a toutefois pas de création de nouvelle colonie, seulement des agrandissements. La mobilisation des partisans de la paix, dont « La Paix maintenant », a même permis une victoire symbolique cet été, en réussissant à faire appliquer une décision de la Cour Suprême : le démantèlement, sans violence ni trouble majeur, de la colonie de Migron construite sur des terres privées palestiniennes (50 familles, environ 250 personnes). Bien sûr, ces colons ont été relogés dans d’autres colonies de Cisjordanie et non pas en Israël. Pourtant, cela a montré que quand la volonté politique est là, il est possible de faire bouger les lignes sur la question de la colonisation.

Mais il faut admettre que la question palestinienne est actuellement bloquée. Le contexte régional instable depuis le début du Printemps arabe – la guerre en Syrie, l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Égypte,
qui seront moins complaisants à l’égard d’Israël, tout en ne remettant pas en cause l’accord de paix – conforte le gouvernement israélien dans sa volonté de ne prendre aucune initiative vis-à-vis des Palestiniens… Les dirigeants israéliens ont toujours préféré avoir comme voisins des dictatures qui étaient stables et qui, de plus, étaient les premières à s’opposer aux mouvements islamistes. La conséquence de cette nouvelle situation régionale, associée à la conviction partagée par la majorité de la population de l’inexistence d’un partenaire fiable palestinien explique les difficultés du camp de la paix à mobiliser une opposition forte face au lobby des colons…

Je suis convaincu que les Palestiniens n’accepteront pas longtemps encore le maintien de cette situation d’occupation alors que, tout autour d’eux dans le monde arabe, les populations ont réussi à faire tomber des régimes qui étaient au pouvoir depuis une quarantaine d’années.

Nous avons créé JCall parce que nous estimons indispensable pour l’avenir d’Israël de résoudre la question palestinienne. Mais sans une pression extérieure, américaine et européenne sur les deux côtés, il y a peu de chances d’y parvenir. Pour nous, l’espoir pourrait venir d’une réélection d’Obama qui, dans le cadre d’un second mandat, ne pouvant pas se représenter, pourrait être plus libre vis-à-vis des groupes de pression et se montrer plus offensif sur cette question.