« La nation revendique l’équité sociale, un juste partage des charges ; et pourtant la nation préfère, entre tous, celui qui aggrave les inégalités et trahit ceux qui portent le faix sur leur épaules », s’étonnait Yossi Sarid dans cette tribune. Mais il n’y a pas que le mécontentement social dans une société ultra-libérale à la Guizot, lequel invitait au siècle passé les riches à s’enrichir.

Il y a, bien sûr, la crise iranienne. Tandis que l’establishment politique et militaire évalue négativement les chances israéliennes d’une victoire significative [1], Netanyahu persiste et signe, faisant adopter par ses ministres une nouvelle réglementation qui lui permet de contourner leur opposition et celle de la Knesseth.

Et donc d’attaquer l’Iran si bon lui semble. Le pays retient son souffle, l’une de mes petites-cousines me demande mi-figue mi-raisin si elle pourra se réfugier chez moi entre Seine et Loire avec mari et enfants… Mais, en dépit ou du fait de l’angoisse, et alors que les élections se profilent à l’horizon, les sondages persistent à donner l’actuel Premier ministre gagnant, faute de choix…


Une vieille question toujours d’actualité : achèteriez-vous une voiture d’occasion à Benyamin Netanyahu ? Il paraît peu probable qu’un être sensé fasse confiance à qui l’a si souvent déçu. Même si la voiture est présentée comme celle d’un médecin, elle dissimule un passé douteux et sa propension à lâcher les freins dans les descentes.

Netanyahu vous apprend aujourd’hui que « nul ne rase gratis », bien qu’il ait lui-même oublié la dernière fois où il a payé [le barbier] de sa poche. Tout en promettant encore de baisser les impôts et les prix, il vous met déjà la main au portefeuille – coupant les subsides d’un hôpital à Ashqelon pour les attribuer à un collège à Ariel [2]. Difficile de trouver un seul de ses engagements qu’il n’ait rogné jusqu’au trognon. À tout hasard, essayez de vous souvenir, faites le test.

Mais quelle est l’alternative, me demandera-t-on, qui pourrait prendre sa place ? Toute personne honnête et sensée le pourrait, n’importe qui. À l’instant même où quelqu’un est élu, il est accepté comme allant de soi ; comment se fait-il que nous n’ayons pas pensé plus tôt à lui pour Premier ministre ?

Avons-nous oublié Golda Meïr et Yitzhak Shamir, Ehud Barak et Ehud Olmert, Ariel Sharon et Netanyahu lui-même [3], pour la plupart élus en des circonstances fortuites, et pas nécessairement parce qu’ils convenaient à la fonction ? Nous nous sommes facilement faits à eux, comme s’ils étaient des candidats naturels à ce poste. Certains sont restés dans nos mémoires comme des accidents de l’histoire, et certains nous manquent.

En France aussi, un nouveau président, “normal”, vient d’être élu, sans trop de charisme ni d’expérience, et qui pour le moment s’en sort bien ; si seulement nous avions cette sorte de dirigeants banals. Trois mois ne se sont pas écoulés que nul ne se souvient de son prédécesseur. Où sont Nicolas et Carla aujourd’hui, où sera Sarah demain ? La France n’est pas orpheline, et Israël non plus.

Mais la majeure partie de l’opinion israélienne se comporte de façon irrationnelle. Elle réélit quelqu’un qui s’est révélé être un meka’h taouth, un choix erroné, et rachète la marchandise défectueuse à deux, voire trois reprises. La nation revendique l’équité sociale, un juste partage des charges ; et pourtant la nation préfère, entre tous, celui qui aggrave les inégalités et trahit ceux qui portent le faix sur leur épaules.

On nous prédit que lors des prochaines élections la voiture-candidate, exposée dans le carré des ferrailleurs, s’arrachera encore comme une affaire. J’ai une requête à l’adresse de Dan Ariely, un expert en économie comportementale actuellement en visite en Israël : « Professeur, peut-être pourriez-vous envisager de changer le titre de votre ouvrage, L’irrationalité et ses aspects positifs, en L’irrationalité et ses aspects négatifs ? Non seulement nous prenons un risque en acquérant une politique tavelée, mais encore achetons-nous ses promoteurs au prix d’une intervention militaire en Iran.

Eureka, j’ai résolu l’énigme : pourquoi les nouveaux venus ont-ils tant de mal à s’intégrer à la vie politique israélienne, laquelle s’accroche à l’ancien et nous décourage d’aller vers tout ce qui est neuf et prometteur ? La réponse est sous nos yeux, et nous ne la voyions pas : grâce à la ronde permanente de nos dirigeants, nul besoin de régénérer le système, de purger le corps de ses déchets, puisque l’ancien matériel humain est aussi le nouveau, les mêmes sous un autre costume qui s’arrangent pour vous convaincre que vous ne sauriez vous débrouiller sans eux. Un nouveau Netanyahu, un nouveau Barak, un nouvel Aryeh Deri [4], un nouveau et meilleur Tzachi Hanegbi [5] ; jusqu’au dernier chacun est nouveau.

Le phénomène des “re-nouveau nés” à un âge avancé n’est pas spécifique à Israël, l’Amérique évangéliste et mormone le connaît elle aussi. Le président George W. Bush se dit à nouveau né, tout comme Mitt Romney. Les anciens du Massachusetts se demandent s’il s’agit du même libéral qui fut à leur tête dans sa précédente incarnation.

Les uns et les autres – leurs nouveaux-nés et les nôtres – appartiennent au même réseau international de contrebandiers en produits nationaux de contrefaçon : les preuves encore fumantes au premier acte s’évanouissent au troisième. Qu’attend Interpol pour combler la brèche pratiquée par les trafiquants d’idées ?

La re-naissance se présente par le siège, cul et non tête en avant – un cul qu’Obama et le monde entier sont invités à s’empresser de baiser.


NOTES

[1] Faisant clairement référence à la perspective d’une attaque contre l’Iran déclenchée par Netanyahu, la tête de file du parti de centre-droit Kadimah et ex-chef d’état-major Shaul Mofaz déclarait il y a peu : « Kadimah ne se lancera pas dans une opération aventureuse menaçant l’avenir de nos filles et fils. […] Nous ne nous associerons pas à la mise en danger des citoyens de l’État d’Israël. »

[2] Bien que l’une soit remarquablement située pour réceptionner les roquettes tirées depuis Gaza, et l’autre dans les Territoires, cela va de soi.

[3] « Il sait de quelle façon il pourrait perdre. Il le sait parce qu’en 1996, lui-même était un jeune candidat inexpérimenté affrontant un imbattable Premier ministre en fonctions, Shimon Pérès », écrivait Bradley Burston la semaine précédente dans les mêmes colonnes. Il y analysait les facteurs d’une possible défaite de Netanyahu aux prochaines élections par la simple défection de ses partisans naturels, likoudniks de toujours, ceux qui jamais ne voteraient travailliste mais pourraient s’abstenir à force de déceptions. (Netanyahu is praying that Israelis won’t say “Yes We Can”, Ha’aretz, le 26 juillet 2012.)

[4] Aryeh Deri, leader du parti religieux-oriental Shas et ministre de l’Intérieur lors de son inculpation pour corruption (quelque 155 000 shekels / 31 000 € en pots-de-vin) Aryeh Deri fut condamné en 2000 à trois ans de prison avant d’être libéré à mi-parcours pour bonne conduite.

[5] Fils de la passionaria du Likoud Gueula Cohen, issue du Le’hi comme son époux, Tzachi Hanegbi fut condamné, bon sang ne saurait mentir, à six mois de prison avec sursis pour ses responsabilités dans des violences anti-arabes à l’Université ; ce qui lui valut ses premiers démêlés avec la justice, sans l’empêcher d’en devenir ensuite le ministre dans une carrière riche en fonctions diverses. Une carrière interrompue par des poursuites judiciaires au chef de favoritisme ayant entraîné en première instance son acquittement pour vice de procédure, assorti d’une condamnation pour parjure qui l’amena à renoncer en novembre 2011 à son mandat de député et président de la commission de la Sécurité et de la Défense de la Knesseth. Après que Shaul Mofaz fut passé à l’opposition, ce même et tout frais Tzachi Hanegbi a été nommé conseiller à la Défense auprès du Premier ministre.