Au printemps 2011, Ze’ev Sternhell, historien et membre-fondateur de Shalom Akhsvav, s’élevait déjà dans une tribune publiée par le Ha’Aretz (dont on peut lire la traduction sur notre site, “L’anachronisme d’Israël” : [->http://www.lapaixmaintenant.org/L-anachronisme-d-Israel]) contre une autre vague de lois antidémocratiques visant en bonne part les Arabes israéliens.

Le dispositif ne fait qu’aller s’aggravant sous quelques nouveaux et hypocrites prétextes. Comme nous le dit ici Oudeh Basharat, « au lieu de parler du “caractère juif” de l’État comme d’un moyen d’estampiller la discrimination, nous devrions appeler un chat un chat et parler de “caractère raciste” ou “anti-arabe”. »


Qu’est-ce qui manque aux Juifs comme nation [1] pour que leurs représentants de droite aient besoin de s’atteler si fort au renforcement de leur emprise sur le pays, tout en poussant l’autre nation dehors ? Après tout les représentants de la nation juive ont confisqué la majeure partie des terres de la nation arabe, pris tous les symboles de l’État et même les Juifs orientaux (originaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord) en ont réchappé de justesse. La nation juive est privilégiée en tout et nous sommes, cerise sur le gâteau, contraints d’entendre jour après jour un chœur raciste demander que les membres de l’autre nation soient expulsés des villes juives, voire de leur mère-patrie. Jusqu’où peut-on presser en Israël le citron arabe ?

Ainsi peut-on dire que la “loi sur la citoyenneté” [2] dont on s’occupe tant en ce moment, se veut assurément “loi à l’encontre de la nation arabe” plus qu’approfondissement de l’identité juive. Le pays est, après tout, plein à ras-bord de ce “caractère juif” que les représentants de droite s’attachent jour et nuit à faire avaler au public. Israël souffre aujourd’hui d’un surplus de poids, sinon d’une dangereuse obésité, en matière de caractère nationaliste ; ce qu’il lui faut, c’est un régime sévère, afin que nous soyons enfin capables de distinguer ses sculpturales formes démocratiques.

Par souci de rectitude, précisons ici que le monde entier, pays arabes inclus, a reconnu Israël au titre d’une résolution des Nations unies parlant de deux États – l’un juif et l’autre arabe – afin de permettre l’expression de l’autodétermination de deux peuples. Le monde n’a pas reconnu Israël en tant qu’État dont les lois affichent leur préférence pour une nation au mépris d’une autre. Et bien que les ultra-nationalistes juifs, en passe d’annihiler la nature démocratique de l’État, tentent de peindre aux couleurs juives la discrimination anti-arabe, notons qu’on peut trouver dans le judaïsme des éléments humains et égalitaires formulés en cette règle d’or : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » C’est pourquoi, pour être honnête, au lieu de parler du “caractère juif” de l’État comme d’un moyen d’estampiller la discrimination, nous devrions appeler un chat un chat et parler de “caractère raciste” ou “anti-arabe”.

La loi sur la citoyenneté n’est pas un cas isolé ; ses sœurs ne sont pas moins néfastes. Les attributs fondamentaux de la démocratie eux-mêmes, tels l’élection et la représentation, sont en effet en danger aujourd’hui. Selon la loi de gouvernance, qui mériterait plutôt le nom de “loi en vue d’expulser les Arabes de la Knesset”, le seuil électoral sera de 4%. Cela signifie de facto qu’une liste reposant sur l’électorat arabe devra obtenir plus de 30% des votes du secteur ; ce qui équivaut à demander à une liste représentant les seuls Juifs de remporter 35 sièges au moins.

Étant donné le grand nombre de lois discriminatoires, ce qu’il nous faut maintenant c’est une loi protégeant la population arabe de la tyrannie de la majorité ; car la démocratie, au plein sens du terme, signifie la protection des droits de la minorité face aux racistes de tout acabit. Il appartient aux Arabes d’Israël de refuser d’être l’otage des députés Yariv Lévin (Likoud), Ayeleth Shaked (La Maison Juive), Avi Dichter (Kadimah), Avigdor Lieberman (Israël est notre Maison) et de leurs nombreux amis. Le moment est venu de décréter que toute décision concernant les Arabes devra obtenir le consentement de leurs représentants, lesquels auront droit de veto sur les décisions directement prises à leur encontre. C’est cela, la démocratie.

On nous a récemment annoncé que la professeur Ruth Gavison [3] était appelée à manier l’encensoir. Mabrouk, à la bonne heure ! L’élite universitaire se retrousse les manches au nom d’une haute mission nationale. Mais cet effort me rappelle un proverbe arabe disant, en traduction libre : « À quoi bon maquiller un visage ingrat ? » Qu’est-ce qu’un peu de fard changera aux nombreuses lois anti-arabes – celle qui se rapporte aux fermes isolées du Néguev [4] celle qui autorise les petites agglomérations à se doter de commissions d’admission [5] ou l’amendement à la loi sur la citoyenneté ? Qu’est-ce que l’Université a de commun avec la cosmétique ? Son pain quotidien, après tout, est fait esprit critique et d’analyse de la situation présente. Et laissez-moi vous dire que la large somme de travail investie afin d’équilibrer “démocratie” et “racisme” va, à la grande honte des universitaires, susciter des perles comparables à celles des lettrés médiévaux débattant du nombre d’anges dansant sur une tête d’épingle.


NOTES

[1] Nous prenons ici “nation” au sens, proche de “peuple”, qu’on lui connaissait avant l’éclosion des nationalismes “modernes” : un groupe d’hommes d’origine commune. C’est ainsi qu’on pouvait, avant que les idées d’État et de Nation ne se mêlent dans la France révolutionnaire et le quarante-huitard printemps des peuples, y parler d’une “nation” juive, comme aujourd’hui au Proche-Orient d’une nation kurde.

2] Pour en savoir plus sur cet amendement aux lois fondamentales d’Israël récemment adopté en première lecture par la Knesseth (les 2ème et 3ème lectures sont à venir en octobre prochain), voir notre traduction de l’éditorial de la rédaction du Ha’aretz en date du 23/8/2013, “Mettre au rebut la loi sur la citoyenneté” : [

[3] La professeur de droit public Ruth Gavison, l’une des étoiles de l’Université israélienne et militante de longue date des droits des minorités [voir sur notre site une biographie plus précise en note de l’article ci-dessus cité].

4] Il s’agit des fermes juives “isolées” dans le Néguev (dit “terre morte” mais désormais peuplé, entre autres, d’autoroutes) servant de prétexte à déloger de leur habitat “non autorisé” et de leurs ancestrales pâtures bi-annuelles les Bédouins semi-nomades de 43 localités du sud, pour les sédentariser au sein de trois cités. Voir un autre article d’Oudeh Basharat traduit sur notre site, “Les Arabes du Néguev ne sont pas des ennemis d’Israël” (Ha’Aretz du 12/11/2011) : [

5] Référence est ici faite à une loi du printemps 2011, qui vient confirmer (après les prises de position racistes du rabbinat de Safed concernant l’hébergement des étudiants arabes) le droit des agglomérations de moins de 400 foyers, en Galilée et dans le Néguev, à admettre ou non des habitants en fonction de critères de leur choix – « afin d’éviter toute incompatibilité d’humeur » (sic!). Voir sur notre site les extraits traduits pour LPM de l’article de Jack Khoury et Jonathan Lys, “Deux lois jugées discriminatoires votées par la Knesseth“ (Ha’Aretz du 24/3/2011) : [