[La donne pourrait très bien changer dans les mois à venir, prophétisait Yossi Alpher ; et la donne en effet vient de changer avec le rapprochement inattendu de l’Autorité palestinienne et du ‘Hamas sous les auspices de l’Égypte. Nous aurons amplement l’occasion d’y revenir. Notons simplement que le cabinet Netanyahu pourrait trouver là prétexte facile à ses tergiversations quant à la reprise du processus de paix… tergiversations qu’Alpher exposait déjà en février dernier dans cet article.

Outre l’immobilisme de l’administration Obama, il y décrivait la situation de l’Autorité palestinienne, dont la meilleure carte en l’absence probable d’un accord avec Israël semblait être d’obtenir en septembre la reconnaissance par les Nations Unies d’un État palestinien indépendant.

À ceci près que la division entre la bande de Gaza et la Cisjordanie invalidait aussi bien le scénario d’un accord israélo-palestinien que celui d’une déclaration unilatérale d’indépendance. Voici donc cette hypothèque levée, et les deux options de nouveau ouvertes. Netanyahu aura-t-il la force de choisir celle de la négociation, et de reconnaître un État palestinien désormais viable plutôt que se le voir imposer par la réalité en marche ?]


Pourquoi la paix ne marque-t-elle aucun progrès ? Cette question nous donne une bonne occasion de passer en revue les obstacles surgis au cours de ces deux dernières années et demie. Durant cette période, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le président américain Barack Obama sont entrés en fonctions, et les pourparlers Olmert-Abbas [1] se sont soldés par un échec.

Il n’y a pas de processus de paix car ni les Israéliens ni la direction palestinienne ne le veulent ; de même qu’il n’y a pas de processus de paix car le gouvernement Obama n’est pas disposé à user de pressions véritables pour le faire advenir. Chacun des acteurs en présence est conduit par sa propre logique à éviter tout processus sérieux.

À Jérusalem, le cabinet Netanyahu n’est pas prêt aux concessions territoriales nécessaires au succès. Il a également des exigences de sécurité, telle la permanence à long terme d’une présence israélienne armée dans la vallée du Jourdain, qui sont incompatibles avec la paix. Que ces demandes soient sincères ou simplement prétexte à éviter des concessions territoriales, il existe des alternatives claires et convaincantes à un déploiement prolongé de Tsahal dans la vallée du Jourdain, alternatives que le Premier ministre Netanyahu se refuse à envisager. En outre, il est des membres de son cabinet pour formuler des objections à la création d’un Etat palestinien, sur des bases idéologico-religieuses et/ou de crainte que cet État, faute d’être viable, ne tombe aux mains d’extrémistes. Ils représentent une minorité au sein de l’opinion publique israélienne, mais une majorité de la coalition qui soutient Netanyahu.

Ces dernières années, les Israéliens ont élu des dirigeants de tendance faucon, non parce qu’ils rejettent la paix mais en réaction à des actes de violence extrême et sans raison apparente de la part de nos voisins : attentats-suicide ; attaques de roquettes depuis un territoire unilatéralement évacué [2]. Cela étant, le gouvernement Netanyahu qui nous est échu en mars 2009 se montre clairement incompatible avec une authentique solution à deux États.

Netanyahu a cependant très bien réussi à disjoindre les choses : il a adopté une solution à deux États, non sans ambiguïtés ; et il a invité l’OLP à négocier sans conditions préalables, à l’instar de ses prédécesseurs. Mais l’a-t-il vraiment fait ? En septembre dernier, il a semble-t-il informé Abbas que le point de départ des négociations devrait être sa demande que l’IDF reste pour les quarante années à venir dans la vallée du Jourdain. Et ses négociateurs, a-t-on rapporté, ont refusé d’accepter un document énonçant les positions palestiniennes. Dans l’intervalle, Netanyahu construit et étend des colonies, et échafaude un geste unilatéral ou deux, voués dans tous les cas à apparaître « trop petits, trop tardifs ».

Le président de l’OLP Mahmoud Abbas et nombre de ceux qui l’entourent ont effectivement refusé de négocier ces deux dernières années. Ayant l’occasion de prendre ostensiblement Netanyahu au mot, Abbas a refusé d’entrer en négociation à partir de conditions et positions qui représentent un recul considérable par rapport à leur point d’arrêt avec Olmert [3]. C’est bien lui, pourtant, qui a toujours insisté sur le fait que « rien n’est d’accord avant qu’il n’y ait accord sur tout », donnant ainsi latitude à Netanyahu de reprendre les pourparlers depuis le point de son choix.

Qui plus est, la logique à l’œuvre derrière la campagne des Palestiniens pour voir leur indépendance reconnue sur la scène internationale, galvanisée par de solides avancées sur le terrain en matière d’édification d’un État en Cisjordanie, paraît découler pour l’essentiel de la conscience que les négociations sont désormais sans objet. Tout a été discuté et rediscuté, sans grand accord. Avec Olmert, Abbas avait atteint le point où le différend ne portait plus “que“ sur 4% du territoire et 100 000 colons, sans compter le sort des lieux saints et le droit au retour. Un fossé encore large, et dont Abbas sait qu’il n’a pas la moindre chance de le combler avec Netanyahu.

Non plus qu’il ne saurait négocier ni signer d’accords au nom de la bande de Gaza, ni y tenir des élections pour renforcer son mandat de négociateur. Il n’a que peu de chances de restaurer le contrôle de l’OLP sur Gaza dans un futur proche. Aussi Abbas exploite-t-il la moindre occasion de ne pas se laisser entraîner dans un nouveau round de vaines négociations, surtout si cela devait nuire à ses chances d’isoler un peu plus Israël par une déclaration d’indépendance devant les Nations Unies en septembre, initiative qui sonnerait creux, elle aussi, faute de contrôle de l’OLP sur Gaza.

En fin de compte, depuis son accession au pouvoir le président américain Barack Obama n’a fait que se tromper dans le contexte israélo-arabe. Une politique “engagée“ et une persuasion de bon aloi ne marchent pas à Damas, Jérusalem ou Ramallah. La légendaire patience de l’émissaire de paix, George Mitchell, n’est pas la bonne tactique. On ne délivre pas de discours présidentiel “visionnaire“ au Caire et à Ankara sans en donner un à Jérusalem. Demander un gel des implantations n’a de chances de réussir que si cela s’accompagne de pressions sérieuses, voire brutales, sur Israël – du genre de celles exercées à l’époque par le secrétaire d’État Henry Kissinger (reassessment ou « révision » [4]) et même par Ronald Reagan (gelant la fourniture d’armes vitales [5]). À l’heure actuelle, avec la perspective des élections américaines d’ici un et demi à peine et tant d’autres crises plus urgentes à régler au Moyen-Orient, Obama semble avoir relégué le conflit israélo-palestinien au second plan.

Ainsi les Nations Unies deviennent-elles l’unique arène digne d’attention concernant Israéliens et Palestiniens l’année prochaine. Si Israël et les États-Unis étaient libres de toute contrainte politique et doués d’imagination, ils pourraient retourner cette initiative palestinienne en une situation gagnant-gagnant. Mais tel n’est pas le cas. Et, de toute manière, étant donné le rythme subit et cataclysmique des événements dans la région, quelque chose peut très bien se produire dans les six mois à venir et changer à nouveau les données de la paix israélo-palestinienne.


NOTES

[1] Suite au sommet d’Annapolis et sous la pression des États-Unis, Ehud Olmert alors Premier ministre, et Mahmoud Abbas, Président d’une Autorité palestinienne depuis peu évincée de Gaza, reprennent le 27 décembre 2007 des pourparlers gelés depuis sept ans. Près de deux années et trente-six rencontres plus tard, alors que de multiples points d’accords ont été trouvés, c’est un Ehud Olmert démissionnaire pour raisons intérieures qui propose à Mahmoud Abbas un plan de paix – auquel aucune réponse ne sera faite dans l’attente de savoir qui, de Tzippi Livni ou Benyamin Netanyahu, constituera le prochain gouvernement à Jérusalem.

[2] En l’occurrence la bande de Gaza.

[3] Pour plus de précisions, nos lecteurs peuvent se rapporter à la récente tribune de Bernard Avishaï dans le New York Times. Il y plaidait pour une reprise de ce plan, qu’il estimait en février dernier toujours actuel, et toujours positif :
[->http://www.nytimes.com/2011/02/13/magazine/13Israel-t.html?_r=1.=]

[4] Lassé de jouer les Monsieur-Bons-Offices entre Anouar el-Sadate et un triumvirat Rabin-Pérès-Alon peu enclin aux concessions, Kissinger met fin en mars 1975 aux négociations dont la restitution du Sinaï à l’Égypte était l’enjeu, et pousse le président Ford à annoncer une révision de la politique américaine au Moyen-Orient.

[5] Mesure de rétorsion après l’attaque aérienne contre le réacteur nucléaire irakien Osirak (7 juin 1981), qu’il critique durement, Reagan suspend l’envoi d‘avions de combat à Israël ; la guerre du Liban – et surtout le siège de Beyrouth que le gouvernement, sous l’impulsion de son ministre de la Défense, Ariel Sharon, se refuse à lever – sera l’occasion d’une seconde suspension de matériel militaire, des munitions cette fois : « Les armes fournies par les États-Unis sont à usage purement défensif » rappelle alors l’administration Reagan, d’autant plus amère que son plan de paix israélo-palestinien (1er sept. 1982) se voit rejeté par le cabinet Begin.