Haaretz

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Les voeux automatiques que s’echangent les Israeliens pour la nouvelle annee
(juive ndt) n’ont rien de creux, mais refletent au contraire un certain
psychisme national. La plupart des Israeliens tentent de faire en sorte que
leurs souhaits se realisent, du moins si l’on en croit certains sondages
optimistes montrant combien leur vie est bonne.

Au fond, ils ne mentent pas. Pas mal de faits sont venus renforcer cette
idee que les choses peuvent aller mieux. Des qu’il y a eu un petit moment de
calme, les Israeliens se sont precipites pour remettre l’idee a jour, et ce
de facon assez impressionnante.

Depuis dix ans que la situation se deteriore dans a peu pres tous les
domaines, ils s’appuient encore sur la creativite qu’ils ont demontree, par
exemple, pendant les annees florissantes de la fin de la decennie
precedente. Mais il y a un hic : le gouvernement, qu’ils ont elu par deux
fois, se trouve en travers de leur route dans leur recherche d’une vie
meilleure.

Le leadership israelien a reussi a persuader une majorite de ses citoyens
qu’il n’y a aucune raison valable de faire un quelconque effort diplomatique
pour sortir le pays de la crise. Au fil des ans, cette majorite, qui pense
que le leadership palestinien est seul responsable de notre crise, n’a fait
que grandir. Elle a permis a l’argument « a quoi bon? » de devenir
l’instrument principal du rejet de toute critique a l’egard de notre
direction politique. Quand les 27 pilotes ont rendu public leur refus
d’obeir aux ordres, le coeur de la contre-attaque (qui est allee du dedain
jusqu’aux accusations de trahison) a evidemment ete que leur acte ne prenait
pas du tout en compte le fait qu’il fallait donner une lecon aux Arabes, et
sans ciller. De nouveau, les 800 morts (israeliens, ndt) et plus ont ete
enroles au service de la defense d’un gouvernement incompetent, qui dit que
sans les actions qu’il a entreprises, et qui ont tant revolte les pilotes,
il y aurait eu encore davantage de morts.

En agissant de la sorte, Israel est en train de rejouer l’un des chapitres
les plus sombres de son histoire, et de ressusciter, comme dans un acte de
necrophilie, les milliers de morts de la guerre de Kippour, modele maudit
d’un point de vue national qui s’est revele un echec tout en ayant ete
largement partage.

Dans le cas des pilotes, la « conception » actuelle, comme celle d’alors, nie
toute consideration d’individus ou de groupes opposes au dysfonctionnement
de la voie qu’a choisie Israel vers la paix et la securite. Les idees qui
derivent de cette voie sont sanctifiees. En premier lieu, le fameux « nous
avons tout essaye… nous leur avons tout offert, mais cela n’a pas marche ».
Sharon n’est pas le seul a tromper ses electeurs. L’homme qu’il a vaincu,
Ehoud Barak, n’a pas peu contribue a populariser la theorie selon laquelle
« nous n’avons pas le choix, il n’y a personne a qui parler ».

Cet embrouillamini, associe naguere a l’ignominie et au caractere
destructeur de Golda Meir (premier ministre pendant la guerre de Kippour,
ndt), fait renaitre depuis des annees un nouveau Golda-isme. Aujourd’hui, 30
ans apres avoir fait l’experience des degats qu’elles ont causes, il serait
difficile de trouver ne serait-ce qu’une personne pour defendre les
considerations politico-militaires de l’epoque. Et pourtant,
a cause de l’angoisse et de la desinformation, cette conception
nouvelle-ancienne reussit a persuader la plupart des Israeliens que les
choses iront mieux – bingo! – quand l’autre cote, et l’autre cote seulement,
renoncera aux moyens meprisables qu’il emploie.

Tout ce prechi-precha est cher, et destructeur. Il intervient aux depens du
developpement de projets nationaux essentiels a des lendemains meilleurs, en
infrastructures, dans l’education, la sante, l’ecologie et aussi la
securite. Tout comme l’administration Golda refusait d’envisager la
reouverture du Canal de Suez, ou (sur les conseils de Moshe Dayan et
d’autres) de retirer l’armee sur une ligne de defense plus sure, Sharon n’a
pas leve le petit doigt pour remplir un quelconque engagement israelien
vis-a-vis de la feuille de route. Il n’a ni demantele les avant-postes
illegaux, ni reduit les colonies a l’echelle qui etait la leur il y a deux
ans. Il n’a meme jamais eu l’idee d’evacuer volontairement quelques
colonies, pour impulser un changement de climat dans ses relations avec
l’Autorite palestinienne.

Apparemment, si les elections avaient lieu aujourd’hui, Sharon serait reelu,
tout comme Golda, par un de ces actes classiques d’aveuglement de la societe
israelienne, a ete reelue deux mois apres le desastre de 1973. Des
observateurs, lasses par l’histoire israelienne, diront qu’il faut davantage
de temps, qu’il y a du retard a l’allumage pour retrouver un elan vital.
Peut-etre, si nous n’avions pas connu cela auparavant, et si nous n’avions
pas constate les degats que provoquent la recherche du temps perdu, et si
ces degats n’etaient pas notre bombe a retardement a nous.