Daily Star (Beyrouth), 30 juin 2006

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Trad. Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La crise actuelle en Cisjordanie et à Gaza ne reflète pas seulement les divisions entre Israël et les Palestiniens, ou entre les nationalistes laïques emmenés par Mahmoud Abbas et les islamistes du Hamas, mais aussi les profondes divisions au sein du Hamas lui-même.

Ces divisions ont été spectaculairement mis à jour par la capture d’un soldat israélien, Gilad Shalit, lors d’un raid contre une base militaire israélienne proche de Gaza effectué par des éléments qui se réclament du Hamas, et par le meurtre d’un colon israélien. Avec l’assaut militaire brutal d’Israël contre Gaza, le peuple palestinien subit de nouveau des souffrances indicibles.

Le raid palestinien avait pour objectif de faire échouer les négociations que menaient le premier ministre (Hamas) Ismail Haniyeh avec le président Abbas autour de la stratégie à adopter à l’égard d’Israël. Maintenant que Shalit est détenu, probablement à Gaza, Haniyeh se trouve dans une position encore plus difficile qu’avant. Il menait les pourparlers avec un sentiment d’urgence, et était parvenu à un accord avec Abbas sur la formation d’un gouvernement d’union nationale. Il se peut que les menaces d’assassinats ciblés, alors qu’Israël frappait déjà Gaza, aient convaincu de nombreux dirigeants du Hamas de la sagesse qu’il y aurait à conclure un accord avec les laïques du Fatah.

La plupart des informations rapportées par les médias, tant israéliens que palestiniens, suggèrent que le raid contre la base israélienne n’a pas été commandité par la direction du Hamas sur le terrain à Gaza, mais par des leaders du Hamas plus radicaux installés en dehors de la Palestine, en particulier par Khaled Mesh’al, à Damas, sans consulter les dirigeants du Hamas à Gaza. Certains de ces derniers ont réclamé la libération de Shalit, en vain.

Ce qui se dégage de ce dernier enchaînement des événements, c’est une cassure fondamentale au sein même du Hamas, avec deux priorités qui se font concurrence : la cause du nationalisme palestinien d’un côté, et une sorte d’islamisme politique voué à instituer un nouvel ordre régional de l’autre.

Depuis sa création en 1987, l’idée centrale du programme du Hamas est que ces deux conceptions sont complémentaires, et que le chemin vers la libération nationale de la Palestine passe par la mise en œuvre dans la société palestinienne du programme social et politique ultra conservateur des Frères musulmans. En réalité, il y a toujours eu une forte contradiction potentielle entre ces deux programmes, le nationalisme et l’islam politique, et l’un doit au bout du compte prendre le pas sur l’autre.

Tant qu’il était un parti d’opposition qui ne représentait pas plus de 20% des Palestiniens, le Hamas a pu jongler avec ces deux programmes. Après la victoire de janvier dernier, les exigences afférentes à la direction de la nation ont rendu cette contradiction de plus en plus intenable.

Il est clair que la direction du Hamas est en train de se diviser entre ceux qui, surtout dans les Territoires palestiniens, sont essentiellement des nationalistes qui désirent se joindre aux laïques pour commencer à bâtir sérieusement un Etat indépendant à côté d’Israël, et ceux qui, surtout à l’étranger, sont davantage concernés par une idéologie religieuse en contradiction de fond avec l’objectif d’un Etat palestinien.

De fait, certains dirigeants du Hamas agissent comme s’ils préféraient éviter de résoudre le conflit israélo-palestinien, le mouvement pan islamiste et les Etats qui soutiennent son action tirant davantage bénéfice d’une cause toujours vivante et d’un conflit qui dure plutôt que d’une fin de ce conflit.

Complication supplémentaire : les leaders du Hamas à l’étranger, plus radicaux, contrôlent les fonds apportés par l’Iran et par d’autres. Cela leur assure, sinon une prééminence, du moins la capacité d’agir indépendamment du leadership du Hamas à Gaza, comme l’a démontré la crise autour du soldat israélien capturé.

Ce qui se passe, c’est une tentative de subordonner la cause palestinienne et son mouvement national à un programme plus large, islamiste à une échelle régionale, et les Etats exploitent cela. Le président Yasser Arafat avait beaucoup de défauts, mais il a réussi à garder la cause palestinienne en dehors des intérêts particuliers de chaque Etat arabe et du nationalisme arabe en général, et a toujours insisté sur qu’en dernier ressort, c’était aux Palestiniens de décider.

Les Palestiniens doivent reconnaître que si, s’étant libérés de l’emprise des intérêts particuliers des Etats arabes, ils se laissent aller à servir de pions dans une stratégie islamiste au niveau régional, cela pourrait bien signer l’arrêt de mort du mouvement national palestinien.

Israël et les Etats-Unis font une grave erreur en refusant de faire la différence entre les différentes factions du Hamas et en rendant responsables tous les Palestiniens, Abbas inclus, des actions des groupes extrémistes. Mais les Palestiniens font eux aussi une erreur en recherchant un front soi-disant uni qui n’a pour résultat que de promouvoir des dirigeants qui ne sont pas motivés par le seul objectif de l’indépendance nationale de la Palestine.

Les Palestiniens ne peuvent pas se permettre de devenir des mandataires ou des jetons dans le jeu de quelqu’un d’autre. Ils doivent parler et agir en leur propre nom et leur politique doit représenter la grande majorité des Palestiniens qui souhaitent en finir avec ce conflit en créant un Etat indépendant en Cisjordanie et à Gaza, à côté d’Israël.