Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La seule et unique signification de la création d’une « continuité
territoriale » entre Kiryat Arba et le caveau des Patriarches, c’est
l’expulsion. L’expulsion d’encore plusieurs milliers d’habitants de Hebron,
des gens qui ont la malchance d’avoir leur maison, leur magasin ou leur
jardin dans la zone dévolue à la « continuité ». Tsahal va protéger cette
construction juive, et des dizaines, voire des centaines, d’Israéliens,
entrepreneurs, ingénieurs, architectes, charpentiers, vont se joindre aux
travaux, et la police les protégera. Des milliers d’Israéliens vont ainsi
particper activement à cette expulsion. Ils reviendront chez eux, chaque
soir, retrouver leur famille inquiète, à Jérusalem ou à Kfar Saba. Si l’un
d’eux est tué dans une embuscade palestinienne, la réaction sera encore
davantage de « continuité territoriale ».

Il n’y aura nul besoin de faire monter les gens dans des camions. Tous
simplement, ils ne pourront plus rester chez eux, laisser leurs enfants
courir le risque d’emprunter chaque jour le chemin ou leurs « voisins » juifs
construisent, en arpentant les rues le fusil en bandoulière, comme des
maîtres de la terre, sinon du monde, des rues fermées à la circulation des
Palestiniens, pour raisons de sécurité. Ils perdront encore des jours de
travail, quittant leur maison ou s’y rendant, et confrontés alors aux rires
bruyants de bandes de Juifs des deux sexes qui leur jettent des pierres,
leur donnent des coups de pied, leur crachent dessus, alors qu’un policier
ou quelques soldats assistent passivement a la scène. La vie des
Palestiniens qui habitent la « continuité territoriale » va devenir semblable
à celle des Palestiniens de la vieille ville de Hebron, mais à un rythme
accéleré.

Que, ces dernières années, des dizaines d’habitants de la vieille ville
aient quitté leur maison, est un secret de polichinelle. Ils ne pouvaient
plus supporter leur vie, soumise au harcèlement continuel d’une poignée de
citoyens juifs israéliens, qui ont pu se comporter de cette façon à cause du
laxisme ou de la sympathie de soldats et d’officiers, du laxisme ou de la
sympathie de policiers, et de l’indifférence du public en Israël. Des
dizaines de commerçants de la vielle ville ont cessé d’ouvrir leur magasin,
que ce soit à cause des jours et des nuits de couvre-feu imposé sans cesse à
Hebron, ou à cause de la peur des « voisins », ou parce que les rues où se
trouvent ces magasins sont fermées, pour protéger la sécurité des voisins
juifs.

Quand le couvre-feu est levé et le marché rouvert, il y a une illusion de
vie. Mais samedi dernier, au lendemain de la bataille entre des Palestiniens
armés et des soldats, des policiers et des gardes armés de Kiryat Arba, sous
le couvre-feu total imposé à la ville palestinienne de Hebron, on pouvait
s’apercevoir combien la ville s’est vidée. Une vielle femme et son fils
jettent un coup d’oeil effrayé à travers une fenêtre barricadée. Derrière
une porte de métal bien fermée, on entend le murmure des habitants à
l’intérieur. Mais depuis les toits de la vielle ville, on peut constater
l’abandon : des volets de bois grand ouverts qui battent sous le vent et
derrière eux, un trou noir – une pièce vide. Des plantes qui ont séché, des
cordes à linge sans linge, ce sont les signes d’un endroit vidé de ses
habitants.

A Wadi Nasara, là ou a eu lieu la bataille, face à la limite sud de Kiryat
Arba, quelques maisons sont déjà vides. Le « chemin des fidèles » est devenu,
pour les Palestiniens, le chemin des lanceurs de pierres et des tireurs en
l’air, et du manque de réaction des autorités, depuis des années. Les
vendredis et les samedis, ainsi que les autres jours de fêtes juives, quand
les fidèles arpentent le chemin, sont des jours maudits pour les habitants
de Wadi Nasara et de la vieille ville. Alors, ils s’enferment chez eux,
barrent leurs fenêtres et se bouchent les oreilles quand la fenêtre vole en
éclats, ou quand leurs pots de fleurs sont renversés, et qu’ils savent qu’il
ne sert à rien d’appeler la police.

Les colonies ont été construites avant et après le terrorisme. Elles ont été
construites, que les Palestiniens expriment leur opposition, ou pas. Un long
couvre-feu a été imposé sur la ville palestinienne après que Baroukh Goldstein eut assassiné des fidèles musulmans à la mosquée Ibrahimi / caveau des Patriarches; un couvre-feu leur a été imposé après qu’un Palestinien eut
asassiné un bébé juif, et après que des Palestiniens armés eurent combattu des Israéliens armés. Des fanatiques juifs, à Hebron et à travers toute la Cisjordanie, harcèlent les Palestiniens, avant les attentats et après les attentats. Aujourd’hui, ils ne cachent plus que leur « entreprise de colonisation » fait partie d’un plan de transfert, ce que tout le monde, ailleurs à l’ouest, appelle un « nettoyage ethnique ».

Ces fanatiques juifs et leurs lobbyistes sont-ils réellement les héritiers
de la diaspora juive? Depuis Hebron, il semble plutôt qu’ils appartiennent à
un héritage différent, celui des descendants de mouvements nationalistes et
antisémites qui lorgnaient sur les maisons des juifs et envoyaient leurs
bandes commettre les pogroms et répandre la peur, pour mettre
progressivement en oeuvre leur plan : « nettoyer la patrie de ses youpins ».
Hebron, ce shabbat, faisait comme un écho aux anciens contes de Sochba, une
ville au nord-est de la Roumanie, où tous les dimanches, les juifs
s’enfermaient à double tour dans leurs maisons.