article en anglais sur le site d’Haaretz

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La semaine dernière, Tsahal réhabilitait le barrage routier à l’entrée nord de Ramallah, celui qu’empruntent les diplomates et les VIP palestiniens. La route, pleine de nids de poule, a été asphaltée, et les blocs de béton qui en marquent l’entrée et la sortie ont été alignés. Il y a quelques mois, des graffitis et des slogans avaient été peints sur ces blocs, en jaune et rose fluorescents : « Stop » (en anglais) et « Za’am » (« Colère ») en hébreu, nom d’une des unités militaires en service au barrage. Certains de ces blocs ont été enlevés la semaine dernière. Sur l’un d’eux, qui pendant des mois ont accueilli les visiteurs a Ramallah, les soldats avaient écrit « Achtung » a l’attention des diplomates et membres des ONG germanophones.

Sur fond de barbelés, de miradors et de soldats armés qui quelquefois pointent leur arme en direction de mouvements suspects, cet « achtung » résonne terriblement aux oreilles de quelqu’un qui a été élevé dans les souvenirs de ses parents et les albums de photos qui racontent comment ce mot était utilisé par les auteurs de la « solution finale ». Mais tout ce qu’on peut apprendre de cette inscription sur un bloc de béton à un barrage de Tsahal, c’est que ce mot ne signifie rien pour de jeunes conscrits israéliens de 18-20 ans, ni pour leurs officiers, à peine plus âgés.

Les descriptions du contrôle israélien sur les Palestiniens évoquent de façon naturelle certaines associations chez certains Juifs. Un enfant qui lève les bras devant un soldat qui pointe sur lui un fusil ; un centre de détention (Ofer) entouré de barbelés à quelques dizaines de mètres d’une autoroute ; un immense centre de détention enterré quelque part dans le désert du Neguev (Ketziot) avec, encore, barbelés, miradors et projecteurs.

Ces associations font mal, et créent un sentiment d’impuissance à l’idée qu’elles ne sont pas partagées par de nombreux Israéliens, et qu’elles n’ont pas inspiré chez les gens le besoin d’éliminer leur source : le contrôle que nous exerçons sur les Palestiniens et la dépossession de leurs terres. Parfois, la douleur, la colère et l’impuissance conduisent à faire de ces associations des comparaisons stupides.

Il y a un mois, une députée juive du parlement britannique, Oona King, arrivait en visite. Il se trouva qu’elle était sur place au moment où des hélicopteres tentèrent d’assassiner Abdel Aziz Rantisi du Hamas. Elle s’informa sur la pauvreté endémique a Gaza, le confort dans lequel vivent les colons juifs, et la dépendance de l’économie palestinienne vis-à-vis d’Israël.

Dans un article dans le Guardian, écrit après cette visite, elle dénonça le
terrorisme palestinien, mais rappela également le terrorisme juif à l’époque du Mandat britannique. Elle fit part de sa décision de boycotter les produits israéliens en réaction aux « atrocités » commises par Israël et aux punitions collectives. Mais elle ecrivit aussi : « Les pères fondateurs de l’Etat d’Israël n’auraient sans doute pas imaginé l’ironie que vit Israël aujourd’hui. En échappant aux cendres de la Shoah, ils ont emprisonné un autre peuple dans un enfer semblable dans sa nature – quoique non dans son degré- au ghetto de Varsovie ».

Oona King n’est pas allée aussi loin que l’écrivain Jose Saramago, qui, il y a un an, visita Ramallah assiégée et la compara à Auschwitz. Mais le ghetto de Varsovie et Auschwitz n’étaient pas seulement des endroits entourés de barbelés, de miradors et de soldats violents. C’etaient des stations sur un chemin délibéré, planifié et industrialisé, menant au génocide du peuple juif. Et ce, dans un contexte où l’humanité etait divisée en races supérieurs et inférieures, où celles-ci étaient condamnées à l’extermination. Le ghetto de Varsovie est différent du « ghetto de Gaza », non seulement en degré, mais en nature.

On peut trouver des explications psycho-historiques sans fin à la question de savoir pourquoi des gens éprouvent le besoin de comparer le traitement des Palestiniens par l’Etat d’Israël à l’industrie meutrière allemande. Il y a des non Juifs qui ont intérêt à faire cette comparaison afin de se libérer du poids que représente le fait de s’être accommodé, moralement et philosophiquement, d’Auschwitz, « invention » blanche et européenne.

Nul doute que les motivations d’Oona King sont différentes. Et pourtant, la
comparaison qu’elle a faite atteint l’objectif opposé à celui qu’elle poursuit. Après tout, les comparaisons sont faites pour prévenir ou pour enrayer une détérioration. Mais on ne peut rien changer à la réalité si on la meconnaît. King a conclu de son voyage à Gaza que les destructions massives, les civils tués, les sièges et les bouclages ne servaient pas à assurer la securité à Israël et aux Israéliens.

Si elle ne s’était pas fourvoyée dans une comparaison stupide, elle aurait
peut-être consacré plus de temps, et plus de mots, à la guerre d’usure qu’Israël mène contre les Palestiniens, avec pour objectif d’obtenir leur accord pour une solution politique très éloignée à la fois des décisions internationales et de leurs revendications minimales, un Etat dans les frontières d’avant 1967.

Pendant les années Oslo, cette guerre a été menée économiquement (bouclages) et politiquement (négociations qui traînaient en longueur). Ces trois dernières années, elle a consisté en des mesures militaires léthales, et en mesures économiques cruelles (emprisonnement des Palestiniens dans des enclaves).

Les Palestiniens ont répondu à cette guerre d’usure, bien ou mal, avec leurs propres méthodes, pris dans un combat avec Israël qui a pour enjeu la taille de leur pays et leur capacité à développer leur communauté sans diktats venus de l’extérieur. Il n’est pas nécessaire que le pire arrive pour que l’opposition à ce qui se passe soit justifiée.