Ha’aretz, 29 novembre 2007

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Dans la nuit du samedi 29 novembre 1947, de nombreux Juifs qui se trouvaient alors sur la terre d’Israël sortirent dans la rue pour danser de joie. Ils célébraient la décision des Nations unies de créer un Etat juif sur une partie de cette terre. Les Arabes, eux aussi, étaient censés avoir un Etat, mais ils entrèrent en guerre.

Dans son nouveau livre, Yoav Gelber, professeur à l’université de Haïfa, s’interroge sur ce qui se serait passé si les Arabes avaient accepté le plan de partage adopté par les Nations unies, il y a 60 ans. « Ce ne sont que des conjectures », écrit prudemment Gelber.

Pareilles conjectures font marcher l’imagination. Il est tout à fait possible que tout se serait déroulé de la même manière, d’une guerre à l’autre. Le mouvement sioniste consacra d’immenses efforts pour obtenir une majorité lors du vote sur la Partition, mais en même temps, les frontières que l’ONU proposait étaient loin de répondre à ses aspirations. Si les Arabes avaient accepté ces frontières, il est possible que les sionistes les auraient refusées.

Quoi qu’il en soit, tout le monde savait que ce n’était pas les Nations unies qui détermineraient les frontières, mais bien l’issue de la guerre. Aujourd’hui, Israël contrôle un territoire environ deux fois plus grand que celui qui lui était alloué le 29 novembre 1947. On peut donc considérer les résolutions concernant le partage comme la mère de toutes les fictions diplomatiques qui ont suivi, de la résolution 242 du Conseil de sécurité à la « Feuille de route. »

Ces derniers mois, nous avons marqué un certain nombre de dates qui offraient, elles aussi, matière à réflexion : le 90ème anniversaire de la Déclaration Balfour [[Déclaration Balfour : lettre adressée le 2 novembre 1917 par le ministre britannique des affaires étrangères, Lord Arthur James Balfour, à Lord Rothschild. Texte : « Cher Lord Rothschild, 

J’ai le plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration ci-dessous de sympathie à l’adresse des aspirations sionistes, déclaration soumise au cabinet et approuvée par lui. 

Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays.

 Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste. »
Signalons qu’au même moment, la Grande-Bretagne promettait un empire aux Arabes (comprenant la Palestine), pour se les concilier contre l’empire ottoman, allé de l’Allemagne. Ce qui n’empêcha pas, 2 ans plus tard, la signature d’un accord entre Fayçal ibn Hussein et Haïm Weizmann, où l’émir Fayçal acceptait, par cet accord, les termes de la déclaration Balfour à condition que les Britanniques tiennent les promesses d’indépendance faites aux Arabes pendant la guerre. Elles ne furent pas respectées et l’accord resta donc lettre morte (un de plus dans cette longue liste d’accords restés lettre morte).]]
, le 70ème anniversaire du plan de partage de Lord Peel [[En 1936, Lord Peel fut nommé à la tête d’une commission chargée de rédiger un rapport sur la situation en Palestine. Le rapport, remis en 1937, recommandait la fin du Mandat britannique sur la Palestine (à l’exception d’un couloir allant de Jaffa à Jérusalem) et son partage entre deux Etats, juif et arabe.]] , le 40ème anniversaire de la guerre des Six jours, le 30ème anniversaire de la visite d’Anouar Sadate à Jérusalem. Il ne sert à rien de demander à qui la faute, question en général au cœur de tous les débats. En revanche, il serait utile de se demander pourquoi il est si difficile aux deux côtés d’en finir avec ce conflit, et où et quand ils se sont trompés.

Il n’est pas facile de comprendre pourquoi tant d’Israéliens pensent encore qu’il vaut mieux un grand Israël sans la paix plutôt qu’un petit Israël avec la paix, et pourquoi on associe si souvent le patriotisme au désir d’étendre les frontières plutôt qu’à celui d’un Etat juif et démocratique. Mais la question essentielle est la suivante : qui a le plus à perdre de la situation présente ? La réponse est claire : Israël. Pas seulement à cause de l’Iran, du Hamas et de la faiblesse révélée lors de la seconde guerre du Liban. Avec chaque colon qui s’installe dans les territoires, avec chaque enfant palestiniens tué par l’armée israélienne, se perd un peu de la justification morale de la décision de créer l’Etat d’Israël le 29 novembre d’il y a 60 ans. Et, pour leur part, les Palestiniens ont déjà pratiquement tout perdu.

La résolution du partage a reflété le constat que Juifs et Arabes ne pouvaient pas vivre ensemble. Le fait est que la plupart d’entre eux ne croient pas aujourd’hui qu’ils verront advenir la paix de leur vivant. Annapolis n’a pas changé cela. Mais, en prenant un peu de perspective historique, on peut dire que les fossés qui séparaient les positions des deux côtés ont progressivement diminué avec les années. Il fut un temps où Palestiniens et Israéliens refusaient de s’adresser la parole, où les Palestiniens refusaient de reconnaître l’Etat d’Israël et où Israël refusait l’idée d’un Etat palestinien. Tout cela est derrière nous. La plupart des Palestiniens comme des Israéliens sont d’accord sur le principe du partage de la terre.

Certains pensent qu’un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ne pourra pas survivre. Cela peut se révéler vrai, mais Gaza et la Cisjordanie pourraient aussi, un jour ou l’autre, se rattacher au Royaume hachémite de Jordanie. La décision de faire la paix avec le roi Hussein de Jordanie sans lui restituer la Cisjordanie peut ainsi être considérée comme une erreur que nous regretterons pendant longtemps.

Depuis la résolution du 29 novembre 1947, des générations de politiques, de juristes et d’économistes ont réfléchi à toutes les alternatives à la partition. Il y eut des Arabes qui voulurent jeter Israël la mer, des Israéliens qui voulurent expulser les Arabes dans le désert. L’idée d’une sorte de cadre binational est aussi régulièrement évoquée. Certains y croient aujourd’hui. La plupart d’entre eux ne sont ni israéliens ni palestiniens, mais des « experts », d’autres pays. Ils suggèrent aux Israéliens de renoncer à leur Etat et aux Palestiniens de renoncer à l’Etat qu’ils n’ont pas encore. Jolie idée post-sioniste, pour la fin des temps.