Shlomo Avineri emploie des termes qui peuvent sembler un peu rudes lorsqu’il qualifie de “disgraceful“ (scandaleux, indigne) le récent discours de Mahmoud Abbas, aux allégations somme toute symétriques de celles de Ronen Shoval ; ou lorsqu’il évoque, juste après le “peuple“ allemand, la “population“ palestinienne. L’exigence de rigueur historique ici affichée n’en sort cependant que plus forte. Une exigence certes non dénuée de portée politique, répondant presque terme à terme au titre de Shoval, « La paix et les mensonges de la Nakba », par la mention de « mensonges de propagande » dont « le sionisme n’a que faire ».

Avant de conclure, portant haut la bannière du sionisme de l’époque pionnière (souvent supplanté dans l’Israël d’aujourd’hui par une rhétorique nationalo-religieuse n’ayant de la nation ou de la religion que le nom), que ces mensonges « ne font que distordre la simple vérité sioniste, qui est le droit du peuple juif à jouir de l’autodétermination en peuple libre sur sa propre terre ».

Est-il besoin de le rappeler, il va de soi pour La Paix Maintenant que cette « simple vérité sioniste » que nous partageons appelle le droit symétrique du peuple palestinien à l’autodétermination.


Je suis d’accord avec Ronen Shoval, ce qui arriva aux Palestiniens en 1948 fut le résultat de leur propre rejet du plan de partition des Nations Unies et de leur entrée dans une guerre visant à détruire l’État d’Israël [1]. Du fait que les Palestiniens n’ont pas montré le désir de traiter de leur responsabilité historique dans ce qui s’ensuivit, le discours sur la Nakba souffre d’un sérieux déficit moral.

Mais Shoval fonde sa thèse sur des arguments dénués de fondement. Voilà qui nous donne une bonne occasion d’apurer les comptes, surtout après la publication la semaine dernière par le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas d’un article indigne dans le New York Times, lequel ne faisait pas mention du rejet par les Arabes du plan de partition et de leur déclaration de guerre à Israël [2].

Premièrement Shoval assure que, « en 1948, la majorité des habitants arabes du pays étaient de nouveaux immigrants venus avec la vague de prospérité économique amenée par le sionisme. » Cela ne repose sur aucune base. La croissance de la population arabe en terre d’Israël n’a pas été plus forte que dans les pays voisins, et il n’y a aucune preuve d’immigration arabe massive en Palestine. Bien qu’à Jaffa il y ait eu des dockers venus de Syrie, et à Haïfa en majeure partie des négociants chrétiens du Liban, la communauté arabe de Galilée sur les hauteurs, de même qu’à Jaffa, Jérusalem et dans la plaine côtière, était indigène. Répandre des absurdités n’est pas une bonne idée.

Deuxièmement, il soutient que « la plupart des Arabes qui quittèrent Israël le firent de leur propre chef, suivant les ordres du Haut Comité arabe. » Il n’existe ni preuve ni document à l’appui de cette assertion. Dans la réalité complexe des années 1947-48, avec le début des attaques arabes contre la communauté juive, il y eut des Arabes qui partirent de leur propre chef (les membres des élites arabes de Jaffa et Jérusalem furent les premiers à le faire). Il y eut ceux qui fuirent dans la panique, en particulier après le massacre de Deir Yassin. Il y eut des situations, comme à Haïfa, où les dirigeants de la communauté juive supplièrent les Arabes de ne pas partir, et il y eut ceux qu’on expulsa. Dans cette atmosphère d’émeutes et de combats, des rumeurs furent colportées ici et là quant à des consignes données par les autorités arabes à la population de fuir. Mais malgré des décennies de recherche, on n’a découvert à ce jour aucun document ou enregistrement confirmant que pareils ordres furent lancés.

Qui plus est, la guerre de 1948 se caractérisa par l’effondrement du leadership arabe, qui se montra incapable de constituer un commandement militaire uni ou coordonné. Imaginer qu’un tel ordre – quand bien même il aurait existé – eût pu conduire des centaines de milliers de gens à quitter leurs maisons, c’est faire abstraction de la situation socio-politique de la communauté arabe, dont la fuite à ce moment-là peut être imputée dans une mesure non négligeable à l’absence d’une autorité légitime et efficiente (absence qui persiste à ce jour, en dépit d’un accord apparent entre Fata’h et ‘Hamas).

Troisièmement, Shoval allègue que « le leadership arabe à la tête duquel se trouvait le mufti s’allia aux nazis pour promouvoir la Solution finale ». Il est vrai que le mufti passa la Deuxième Guerre mondiale dans le Berlin des nazis et soutint la destruction des Juifs. Mais de même qu’on ne saurait faire porter la responsabilité et l’opprobre des crimes nazis au peuple allemand dans son ensemble, il est impossible de faire porter collectivement une responsabilité et un opprobre similaires à l’ensemble de la population palestinienne.

Quatrièmement, si fort soit notre désir de ne pas négliger la responsabilité des nations arabes dans le sort des Juifs des pays arabes, les circonstances dans lesquelles ils quittèrent leurs foyers et la perte de leurs biens, la comparaison avec la fuite des réfugiés palestiniens n’est pas complètement pertinente. Ne serait-ce qu’en termes sionistes, les Juifs des pays arabes revinrent dans leur patrie – Israël – et l’État d’Israël les encouragea même à le faire en de nombreux cas, parfois sujets à controverse.

En conclusion, le sionisme n’a que faire de mensonges de propagande. Ils ne font que distordre la simple vérité sioniste, qui est le droit du peuple juif à jouir de l’autodétermination en peuple libre sur sa propre terre.
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NOTES

[1] Ronen Shoval, « Peace and the lies of the Nakba », Ha’aretz, le 16 mai 2011 [NdAvineri].

[2] Mahmoud Abbas, « The long overdue Palestinian State », The New York Times, le 16 mai 2011, où le président de l’Autorité palestinienne évoquait contre toute vérité des expulsions d’Arabes palestiniens immédiatement consécutives au vote des Nations Unies instituant la partition de la Palestine en deux foyers nationaux ; expulsions qui visaient à « assurer une majorité juive décisive dans le futur État d’Israël » et que l’entrée en guerre des pays arabes aurait, à l’en croire, suivi et non précédé. Notons que Mah’moud Abbas revendiquait cependant plus loin les négociations pour priorité : « Le choix ne réside pas entre l’unité palestinienne ou la paix avec Israël, il réside entre une solution à deux États ou les colonies. » [NdlT]

Voir [->http://www.nytimes.com/2011/05/17/opinion/17abbas.html]