Le châpo de La Paix Maintenant

«Le monde selon Avigdor Lieberman: Quand un officiel palestinien prend langue avec des Israéliens, il faut le réduire au silence», note le Ha’Aretz. Mais l’ire à première vue paradoxale du nouveau ministre de la Défense va de soi: tout dialogue entre les sociétés israélienne et palestinienne – cette dernière incluant pour lui la quasi-totalité des Arabes citoyens d’Israël – menace sa vieille antienne: une “séparation” bien plus radicale qu’entre les townships colorés et les microcosmes blancs d’une Afrique du Sud pas encore arc-en-ciel.

Deux États certes, mais ethno-centrés sur une population essentiellement “juive” d’un côté et “arabe” de l’autre – dût-on en passer au gré des rectifications de frontières par des transferts de territoires frontaliers avec leurs habitants, qu’ils le veuillent ou non, en échange des grands blocs d’implantations de la région de Jérusalem.

Par-delà les lieux et les époques, l’imprégnation russe demeure… Tout ceci, en effet, rappelle singulièrement la politique des nationalités de Joseph Staline, le “petit père des peuples”, qui exporta les Tatars, Ouzbeks et autres Juifs en Sibérie ou dans les steppes asiatiques.

L’article de Oudeh Basharat

La première décision du nouveau ministre de la Défense Avigdor Lieberman concernant les Palestiniens fut d’annuler le permis d’entrée de Mo’hammad al-Madani, qui dirige au sein de l’OLP l’équipe chargée des interactions avec la société israélienne. Formée en 2012, elle a initié depuis des centaines de rencontres entre Israéliens et Palestiniens. D’après Madani, ils ont rencontré des gens de gauche comme de droite, des étudiants, des chercheurs, des maires et des membres d’organisations de femmes.

Lieberman a pris cette mesure car, dit-il, Madani projetait de constituer un parti politique regroupant des Arabes israéliens et des Juifs orientaux (du Maghreb et du Mashrek). Si les équipes du ministre avaient creusé un peu plus profond, ils auraient découvert qu’il projetait également de publier un tabloïd gratuit appelé Palestine Aujourd’huiq [1]. C’est vraiment une chance que le complot du Sheldon Adelson palestinien [2] ait été déjoué à la dernière minute.

Quand j’ai interrogé Madani quant à cette allégation du ministre, il a nié catégoriquement, notant mi-sérieux mi-sarcastique que celui-ci a apparement peu d’estime pour l’intelligence de ses partisans. Après tout, l’équipe palestinienne de dialogue a rencontré des Juifs d’origine russe, dont on peut supposer que certains sont membres du parti de Lieberman [3]: «Se pourrait-il que j’ai plus d’influence sur eux que lui-même?», a-t-il questionné.

C’est plus que probable, me suis-je dit in petto. Après tout, Lieberman redoute jusqu’aux siens. Toutes les têtes qui dépassent dans son parti s’évanouissent à la seconde où elles perdent sa faveur, alors que Madani, un type sympa, tente de convaincre, non d’intimider. J’ai demandé à Madani ce qu’il avait fait pour réussir à irriter Lieberman. Au lieu de répondre, il a décoché une salve de questions rhétoriques: «Est-ce que parler de la solution à 2 États constitue une menace pour Israël? Est-ce que nos rencontres avec des Juifs orientaux où nous-nous sommes remémorés le bon vieux temps, quand les deux peuples vivaient en paix, représentent une menace? Qu’en est-il de nos rencontres avec des immigrants de Russie, où nous avons évoqué les étudiants palestiniens formés là-bas par des professeurs juifs – est-ce qu’elles sapent l’ordre public en Israël?»

J’ai malheureusement dû me dire – en mon fors intérieur, bien sûr – que oui. L’approche de Madani ébranle les fondements de la droite israélienne, qui s’épanouit sur la haine et l’incitation. Madani surgit soudain du néant, soulevant la possibilité d’une réconciliation entre les deux peuples. Par sa faute, une nouvelle locution – “terrorisme réconciliateur” – va ajouter à la gloire de la langue hébraïque.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Une info postée sur le site de NRG relatait qu’un certain nombre de maires d’origine orientale, dont celui de la ville de Maalot-Tarshi’ha dans le nord du pays, étaient venus à Ramallah s’entretenir avec le président palestinien Ma’hmoud Abbas. Ceci, poursuivait l’article, «avait éveillé la suspicion des responsables des services de renseignement, qui avaient décidé de prendre des mesures immédiates». Je laissai échapper un soupir de soulagement. À la dernière minute, une méga-attaque avait été évitée. Le gardien d’Israël ne somnole ni ne s’endort jamais.

Le plus surprenant de l’histoire est que nul ne se soit dressé pour dire: «Assez de ces accusations kafkaïennes!» En une nuit les Palestiniens, eux-mêmes affectés par de profondes dissensions au sein de leur propre société, se sont mués en une superpuissance essayant de constituer des partis politiques en Israël. Mais si l’on examinait de plus près ces allégations ridicules, on constaterait qu’il n’y a derrière ce brouhaha que le profond désir de saboter tout dialogue israélo-palestinien quel qu’il soit. Pour Lieberman, un bon Arabe est un militant [de la cause] arabe, et un mauvais Arabe celui qui vise à la réconciliation entre les peuples.

Le combat entre Lieberman et Madani est l’essence du conflit tout entier. Le premier vient tout juste d’arriver et entend déjà montrer aux Arabes qui est le patron. Et le second, natif de la région depuis de nombreuses générations, essaie malgré la souffrance de tracer une nouvelle voie pour le bien des deux peuples.

Qui triomphera – celui qui nie l’autre ou celui qui cherche un place au soleil pour lui-même et pour l’autre? C’est toute la différence: là, il n’y a pas d’autre. Et indépendamment de votre religion, race ou genre, il vous revient de choisir.

Notes

[1] Allusion non voilée au quotidien gratuit Israel Hayom (Israël aujourd’hui), fondé en 2007 afin de soutenir la campagne de Benyamin Nétanyahou par l’homme d’affaires juif américain Sheldon Adelson. Distribué à tous les coins de rue et de plages ou sur abonnement,o ce papier de lecture aussi facile que le Sun britannique et qu’on a que la peine de ramasser sans bourse délier s’est acquis le quart du lectorat du pays – mettant en danger la presse traditionnelle, à commencer par Maariv, menacé de disparition. Ce quotidien, dont le public était le même, a tenté au printemps 2010 avec l’aide de l’ensemble de la presse nationale de faire adopter par la Knesset une “Loi Adelson” interdisant la diffusion de gratuits, proposition vite rejetée par la commission gouvernementale des lois.

[2] Toujours financé par lui depuis les paradis fiscaux où il opère.
continue de populariser sans faille les thèses et plaidoyers pro domo du Premier ministre. tant Adelson que Nétanyahou sont aujourd’hui mis en cause, qui aux USA qui en Israël, dans des affaires d’évasion fiscale, de financement occulte de campagnes électorales, voire de détournement de fonds publics,.. C’est d’autant plus ennuyeux que le Premier ministre entend contrôler le fonctionnement des organisations de gauche, qu’il accuse de “complot” à la solde de l’étranger.

[3] En 1999, Lieberman fonde le parti russophone Israel Beytenou (Israëtl notre maison) et est élu député à la Knesset. Il reproche au Premier ministre travailliste Ehoud Barak de négliger diplomatiquement la Russie, dont il espère influencer la politique étrangère en la soutenant «dans sa lutte contre le terrorisme islamique en Tchétchénie».