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Ariga, 26 juin 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


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L’attaque [contre la base militaire israélienne de Kerem Shalom, proche de la bande de Gaza] constitue un baptême du feu pour quatre acteurs clés : le premier ministre israélien Ehoud Olmert, son ministre de défense Amir Peretz, le président palestinien Mahmoud Abbas et le premier ministre palestinien Ismail Haniyeh.

1/ Olmert
Sans passé militaire à proprement parler, il a été un de ceux qui ont promis que le désengagement de Gaza et son plan relativement similaire qui concerne la Cisjordanie, amélioreraient la sécurité d’Israël. La droite, beaucoup au centre, et la gauche, font leurs choux gras de cette théorie. Olmert est un politicien qui sait négocier et faire marcher la machine dans l’ombre, mais qui n’est pas à l’aise pour décider d’une politique militaire.
Ses instincts, qui sont ceux d’un homme de droite, peuvent se déchaîner contre les Palestiniens avec ce qu’il nomme une « réaction puissante et intensive ». Mais il sait aussi qu’une mesure militaire prise immédiatement contre Gaza condamnerait le pauvre soldat (Gilad Shalit). Rabin s’était retrouvé face à la même situation lors de l’enlèvement d’un soldat par le Hamas, avec exigence de libération de prisonniers. Rabin refusa, envoya des troupes pour sauver le soldat. Résultat : non le soldat est mort, mais l’un des sauveteurs aussi. Pour une opération chirurgicale, il est nécessaire de disposer de renseignements de très haute qualité : du genre que ne peuvent fournir que des Palestiniens qui collaboreraient avec Israël, par exemple des forces de sécurité loyales à Abbas.
Une opération d’envergure, destinée à punir les Palestiniens, pourrait plaire aux Israéliens qui en ont assez des roquettes Qassam et de l’anarchie qui règne en Palestine, mais elle provoquerait très certainement davantage de violences palestiniennes contre des Israéliens, et tôt ou tard, un usage décuplé de leur force par Israël, avec des pertes civiles disproportionnées, ce qui produirait des pressions et des condamnations de la communauté internationale.

2/ Peretz
Il a renoncé à un « programme social » pour accepter le ministère de la défense. Son calcul : ce titre de ministre de la défense le mènera à son objectif ultime, le poste de premier ministre. Avec aussi peu d’expérience militaire qu’Olmert, mais avec un ego et un appétit de pouvoir aussi gros que ceux de n’importe quel général, le « citoyen Peretz » a tenté de réfréner son armée, faciliter les conditions de vie des Palestiniens, et de convaincre ses concitoyens de Sderot qu’il fait tout son possible pour stopper les tirs de Qassam qui, si elles n’ont tué personne dans notre Néguev endormi depuis le désengagement d’août 2005, empêchent tout le monde de dormir à force d’angoisse. Du coup, il est vulnérable aux attaques venues d’une presse populaire chauvine. Les politiciens de droite et une rue israélienne prompte à l’émotion aimaient Peretz dans le rôle de militant social et de syndicaliste. Là, ils veulent voir de l’action contre les Palestiniens.
Pourtant, Peretz a su arrêter les barrages d’artillerie de l’armé sur les « zones de tir des Qassam », et depuis une semaine, après les frappes aériennes embarrassantes de l’armée de l’air, qui ont tué des civils innocents et non des terroristes recherchés, il a stoppé ces attaques aériennes. Il espérait que le président et le premier ministre palestiniens lui rendraient la pareille en faisant pression sur les tireurs de Qassam pour qu’ils cessent les tirs, et de fait, le nombre des tirs de Qassam s’est effectivement réduit à 1à 3 par jour. Mais cela n’a apporté consolation ni aux habitants de Sderot, ni à la presse, ni aux politiciens.
Les événements d’hier (dimanche) mettent donc Peretz sur la sellette. Sa réaction a été de dire que désormais, il ne fait plus la distinction entre la branche armée du Hamas et sa branche politique, ce que veut dire que, le moment venu, il sera prêt à donner l’ordre à l’armée de s’en prendre aux politiques du Hamas au gouvernement, Haniyeh en tête.

3/ Haniyeh
En réalité, il n’a aucun contrôle sur la branche armée du Hamas. Ce contrôle se trouve à Damas, entre les mains de Khaled Mesh’al qu’Israël a tenté d’assassiner dans les rues de Jordanie au milieu des années 90. Cette opération ayant échoué, la Jordanie obligea Israël à fournir l’antidote au poison administré à Mesh’al et, au moins aussi important, à libérer de prison le cheikh Yassine, fondateur du Hamas. Une dizaine d’années plus tard, Yassine sera assassiné par Israël, pour son rôle dans les attentats commis contre des Israéliens. Pourtant, le même Yassine avait souvent évoqué une trêve de 50 ans avec Israël par l’intermédiaire d’une « hudna », cérémonie arabe traditionnelle qui met fin à des vendettas entre clans ennemis.
Il y a deux ans, Mesh’al était contre la signature par le Hamas d’un cessez-le-feu pan palestinien, mais il a été convaincu de ne rien empêcher et de ne pas faire obstacle. Mais Haniyeh et Abbas se battent pour le pouvoir. Mesh’al craint que si Abbas et Haniyeh parviennent à un accord, il sera laissé pour compte. Aujourd’hui (lundi), des officiers israéliens de renseignement ont affirmé à la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset que l’attaque avait été commanditée par Mesh’al, et que Haniyeh tentait de faire libérer le soldat prisonnier. Le bureau de Haniyeh a d’ailleurs publié une adresse aux miliciens qui détiennent Gilad Shalit leur demandant de le libérer immédiatement.
Israël ne veut pas être vu en train de traiter directement avec le Hamas. Mais la sensitivité israélienne autour des soldats capturés pourrait ne pas lui laisser le choix. S’il est libéré par les Palestiniens, cela pourrait signifier qu’un accord a été trouvé en coulisses, où un certain nombre de Palestiniens pourraient être libérés dans quelques semaines, en tant que geste envers le président Abbas.

4/ Abbas
Pour le président palestinien, cela pourrait être sa dernière chance de prouver qu’il est le partenaire pour des négociations de paix qu’il prétend être et qu’Israël ignore et humilie consciencieusement. Si ses forces de sécurité peuvent localiser le soldat, il pourrait les envoyer le récupérer, ou renseigner les Israéliens pour qu’ils fassent le travail.
Il est constamment en relation avec Haniyeh, en personne et au téléphone, ainsi qu’avec les leaders arabes, dont Bachar Assad, l’hôte de Mesh’al à Damas. Il compte aussi beaucoup sur les personnels égyptiens diplomates et de sécurité à Gaza pour faire libérer l’Israélien.
Si Abbas (et Haniyeh en l’espèce) arrive à intervenir pour la libération de Gilad Shalit, cela mettra Israël dans l’embarras, car Abbas (et même Haniyeh) aura démontré sa fiabilité. Mais si le soldat n’est pas restitué vivant, en bonne santé, et rapidement, les Israéliens penseront alors qu’ils ont une bonne raison de se débarrasser d’Abbas une fois pour toutes.

Il s’agit d’un moment de tension extrême. Si Abbas et Haniyeh ne trouvent pas un moyen de libérer le soldat capturé, ils affronteront la colère des Israéliens, qui n’hésiteront peut-être pas à agir pour faire tomber le gouvernement Hamas. Si Abbas et Haniyeh ne trouvent pas un moyen de travailler ensemble sur ce problème, les efforts consacrés à résoudre leurs différends autour du « Document des Prisonniers », qui semblaient proches de la réussite il y a seulement deux jours, pourraient se désintégrer en ce qu’ils craignent le plus : une chute à la somalienne en guerre des gangs, ou une guerre civile à grande échelle entre les islamistes du Hamas et les laïques eu Fatah.

En attendant, les Israéliens hésitent à retourner à Gaza, à pied ou même par les blindés. Comme l’écrit aujourd’hui un éditorialiste, Gaza est peut-être du sable, mais c’est surtout du sable mouvant. Mais rien n’est plus infernal qu’une armée israélienne qui craint de perdre ses capacités de dissuasion. Le manque d’autorité, chez le premier ministre comme chez le ministre de la défense, pourrait signifier que c’est l’armée qui va décider de la politique à mener en réaction à ce qui est arrivé au caporal Gilad Shalit.

D’un autre côté, Olmert et Peretz sont parvenus à réfréner l’armée, une fois qu’ils ont senti qu’elle dépassait les bornes. Les prochaines 24-48 heures vont être critiques. Passé ce délai, vu la prédiction des radicaux palestiniens pour la hâblerie, la localisation du soldat israélien devrait être connue de tous les acteurs concernés. Les Israéliens n’auront pas la patience d’attendre qu’Abbas, Haniyeh ou les Egyptiens parlent aux ravisseurs. Ils veulent agir, et si les Palestiniens ne le font pas, ils agiront.

Il y a un petit rayon de lumière sur le front diplomatique : Gilad Shalit a un passeport français, et le gouvernement français tente de faire jouer de son influence dans le monde arabe pour faire libérer le soldat. Mais, comme dit l’ambassadeur américain en Israël : toute cette affaire est une preuve supplémentaire que le gouvernement du Hamas est « incapable de contrôler ses propres affaires, sans même parler de répondre aux besoins du peuple palestinien. »