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Blog de Mona Eltahawy, 27 août 2008

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Récemment, une femme m’écrivait pour me demander « comment un non-musulman peut avoir confiance dans la parole d’un musulman. » Elle disait qu’elle « savait qu’il est permis à tous les musulmans de mentir aux infidèles », et pour faire bonne mesure, m’informait que le fait d’être musulman était incompatible avec le fait d’être américain parce que « le but ultime des musulmans (sinon vous n’êtes pas une vraie musulmane) est d’instituer la charia aux Etats-Unis. »
« S’il vous plaît, ne discutez pas de ce point avec moi », écrivait-elle encore, « j’ai lu trop de commentaires sur le monde arabe. La manière de s’emparer de l’Amérique est de la prendre de l’intérieur. »

Bon. Je n’ai donc rien à ajouter. Même si j’avais répondu, qu’est-ce qui me garantit que ma réponse n’aurait pas été encore interprétée comme un « mensonge à un infidèle » ?

Bienvenue au Catch 22 [[ Catch 22 est un roman de Joseph Heller (1961). Le « catch 22 » est un paradoxe logique (ou double contrainte) contenu dans l’article du règlement intérieur n° 22 de l’armée américaine. Le roman a été adapté au cinéma par Mike Nichols en 1970. « Catch 22 » est entré dans la langue courante américaine et désigne une situation inextricable.]] de la vie musulmane américaine. Vous êtes condamné si vous faites et condamné si vous ne faites pas. Cela est assez clair aujourd’hui pour les partisans musulmans de Barack Obama, chrétien « accusé » d’être musulman.

Pour Jenan Mohajir, qui participe à un projet de rencontres interreligieuses à Chicago, une conversation qui a eu lieu en octobre 2006 sur un campus de gauche du Middle West lui a ouvert les yeux sur ce que c’était que d’être un partisan musulman de Barack Obama.

« J’avais un déjeuner de travail avec le rabbin du campus quand l’une des enseignantes du programme nous a abordés. Elle a d’abord engagé la conversation avec le rabbin sur Barack Obama », m’écrit-elle dans un email.
« Puis elle s’est tournée vers moi et a dit, ‘désolée que TU perdes, mais l’Amérique n’est pas prête à avoir un président musulman.’ J’étais si choquée que je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui répondre que Barack Obama n’était pas musulman ».

Cette enseignante n’est pas isolée. Ses préjugés sont bien vivants aujourd’hui. Un sondage récent [l’article date d’août dernier, ndt] effectué par le Pew Research Center montrait que 12% des personnes interrogées pensaient qu’Obama était musulman.

Le père d’Obama était kenyan, athée et d’ascendance musulmane. Barack a passé plusieurs années de son enfance en Indonésie (pays musulman le plus peuplé du monde) avec sa mère américaine et son mari indonésien. Dans sa campagne, Obama a souvent utilisé les thèmes de ses racines africaines et de ses années passées en Indonésie pour illustrer le pont qu’il pourrait constituer entre une Amérique post-Bush et le monde qu’elle s’est aliéné.

Alors, comment Obama en est-il arrivé à son meeting à Detroit en juin, quand un membre trop zélé de son staff a écarté deux femmes musulmanes qui se trouvaient derrière lui pour que des femmes portant foulard n’apparaissent pas sur une photo de presse ? Obama a appelé ces deux femmes pour s’excuser et a publié une déclaration disant que ce comportement était inacceptable et ne reflétait pas sa campagne.

Depuis, début août, le coordinateur national de la campagne d’Obama chargé des relations avec les musulmans a démissionné, après que le Wall Street Journal l’eut interrogé sur ses soi-disant relations avec un homme impliqué l’année dernière (mais non mis en examen) dans un procès pour racket auprès de leveurs de fonds pour le compte du Hamas, disait-on.

Difficile aussi d’ignorer les chaînes d’emails, puériles mais efficaces, initiées par la droite conservatrice, ainsi que le chœur de blogs incendiaires entonnant le refrain « Obama sonne comme Ossama (Ben Laden) ». [[On pourrait ajouter l’insistance qu’on met, dans certains meetings et talk shows pro-McCain, à prononcer le 2e prénom d’Obama, Hussein (ndt)]]

/…

Alors, que faire si on est un Américain musulman, pour surmonter son désarroi à la vue de sa religion utilisée comme catapulte toxique ?
Les musulmans américains sont en train d’apprendre que, dans l’Amérique d’après le 11 septembre, ils doivent s’impliquer à tous les niveaux de la vie politique, ne serait-ce que pour qu’il y ait toujours quelqu‘un, quand Obama est sali, pour dire : « Et s’il avait été musulman, qu’est-ce que ça changerait ? » De fait, de plus en plus de musulmans américains s’inscrivent sur les listes électorales et participent aux congrès, démocrates ou républicains.

Quant aux nombreux partisans américains musulmans d’Obama, Jenan Mohajir résume les leçons qu’elle a retenues : « Je me suis rendu compte que, peut-être, il valait mieux ne pas trop m’exprimer. Je ne pense pas que les rumeurs sur Obama musulman disparaîtraient si je me mettais sur les toits avec mon hijab rose et criais : Obama n’est pas musulman ! Obama n’est pas musulman ! J’ai donc adopté une approche plus discrète. J’ai décidé que ce que j’avais de mieux à faire pour Obama était de porter mon hijab à couleurs vives et de conduire ma mère en voiture au bureau de vote pour qu’elle puisse glisser dans l’urne son premier bulletin pour une élection américaine. Je voterai aussi, bien sûr. »