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Haaretz, 15 decembre 2003


Chose inquiétante, il existe au moins une indication qu’Ariel Sharon pense
réellement que le temps joue pour lui : il continue à croire qu' »un million
de Juifs » immigreront en Israël, et désamorceront ainsi la menace
démographique qui pèse sur l’Etat juif. Aucune rencontre avec des visiteurs
juifs ne se passe sans que Sharon ne prêche à ses interlocuteurs
l’immigration vers Israël. Ce qui est troublant, c’est que lorsqu’un
dirigeant pense que le temps joue pour lui, il n’a aucune raison de changer
la réalité. Yitzhak Shamir, qui était persuadé que le temps qui passe renforcerait sa vision du Grand Israël, formulait ainsi cette doctrine : « A la longue, les Arabes s’habitueront à la situation ».

Cette doctrine a provoqué la première intifada, la lutte contre le processus
d’Oslo (avant le premier attentat terroriste) et différents stratagèmes pour
éviter des negociatons en vue d’un accord final. Le camp qui croit que « le
temps joue pour nous » accuse la gauche de succomber au « maintenant-isme » qui
affaiblit la capacité de négociation d’Israël. Donnons-nous encore un an ou
deux (disent-ils), ignorons les Cassandre, comme les ancens chefs du Shin
Bet, et Tsahal gagnera la bataille. Débarrassons-nous des hérétiques comme
Yossi Beilin, et les Palestiniens se débarrasseront de Yasser Arafat. Eloignons les défaitistes comme l’ex chef d’état-major Amnon Lipkin-Shahak, et Arafat sera remplacé par un leadership qui lapera avec joie le bantoustan clôturé que Sharon leur octroiera si généreusement.

Dans son discours de Hertzliya de l’année derniere, Sharon critiquait les
Israéliens qui espèrent que le conflit avec les Palestiniens puisse être résolu par « un coup d’épée ». Sharon disait qu’une solution ne pouvait être trouvée que d’une manière « prudente, par etapes ». Au nom de la méthode prudente et par étapes de Sharon, des milliers d’Israéliens et de Palestiniens ont été tués ou blessés l’année dernière. Des milliers de gens sont passés sous le seuil de pauvreté. Des dizaines de milliards de dollars ont été dilapidés. La haine monte. Et la menace démographique a augmenté. La premiere etape du plan 2002 de Sharon était le « remplacement du leadership palestinien » (apres quoi il devait y avoir un Etat palestinien sur les zones « A » et « B », et des négociations autour d’un règlement définitif).

Avant de prononcer son discours d’Hertzliya 2003, Sharon ferait bien de jeter un coup d’oeil sur le rapport réalisé par d’anciens fonctionnaires du Shin Bet et par des officiers des renseignements militaires, avec un groupe d’experts du Proche-Orient, et remis au Centre interdisciplinaire d’Hertzliya. Sharon y trouvera que le temps joue contre lui, même au regard de la première étape de son plan : en réalité, si nous n’agissons pas rapidement et passons un accord avec Arafat, le temps viendra ou nous le regretterons. « La mise a l’écart d’Arafat aggraverait très probablement les processus de dissolution de la société palestinienne », conclut le rapport. Une fois Arafat parti, ajoute-t-il, « on peut s’attendre à l’arrivée des seigneurs de la guerre. »

Pour les auteurs du rapport, la lutte contre Israël servira de carte de visite, et de preuve d’engagement pour la cause nationale, pour les différents groupes palestiniens qui aspireront à un premier rôle ; et ainsi, cette lutte interne ne fera pas baisser la motivation d’effectuer des attentats contre Israël. Les groupes islamidtes seront les grands bénéficiaires de la mort d’une société civile palestinienne cohérente qui aurait pu diriger le ferment social vers des canaux démocratiques. Le Hamas émergera probablement comme la seule force politique ayant assez de poids, de statut et de force pour mobiliser l’opinion palestinienne. L’absence d’une direction palestinienne efficace pourrait porter un coup fatal aux espoirs de négociations serieuses, et de restauration du calme sur le terrain, conclut le rapport.

Les auteurs du rapport, comme le général (res) Yaakov Amidror, ancien chef du
département recherche aux renseignements militaires, ne sont pas précisement
des militants de Shalom Akhshav. Ce sont des gens pondérés, qui tirent la
sonnette d’alarme. Le temps joue en faveur des fanatiques et des criminels
des deux bords, et contre ceux qui croient au compromis et au respect de la
loi. Le temps est du côté du cauchemar de l’apartheid, ou de la fin du
sionisme. Le temps qui passe joue contre nos parents, qui voulaient la
création d’une démocratie juive et morale. Ces parents quittent la scène, et
laissent leurs enfants et leurs petits-enfants aux mains de dirigeants qui
n’ont rien d’autre à proposer que du sang, de la sueur et des larmes.