L’urgence de la lutte contre la « délégitimation de l’État d’Israël » est contagieuse et l’idée s’en répand aussi bien en diaspora que dans la société israélienne, tous courants confondus… Et si le danger véritable résidait, non dans l’ampleur d’une prétendue campagne contre le droit d’Israël à exister, mais dans l’usage de cet épouvantail pour résister à un retour aux frontières de 1967 ? Des frontières reconnues par la communauté internationale, rappelle Shlomo Avineri, et qui incluent Jérusalem-Ouest. [T.A.]


Un ministre du gouvernement Netanyahu, homme politique chevronné, ni membre du Likoud ni d’Israël Beïtenu [1], m’a fait part il y a quelque temps de son inquiétude concernant la possibilité d’une reconnaissance par l’Assemblée Générale des Nations Unies d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Une telle décision, selon lui, reviendrait à délégitimer Israël.

Un usage si peu approprié du terme “délégitimation” est symptomatique du discours politique israélien, de la ligne de communication gouvernementale et du travail d’organisations juives de par le monde, dont certaines ont mis sur pied des commissions exécutives spécifiquement vouées à « la guerre contre la délégitimation ». Malgré les meilleures des intentions, tout ceci ne fait que nuire à Israël.

Nul doute que l’appui de l’ONU à la formation d’un État palestinien sans négociations préalables poserait un sérieux problème. Mais une telle décision ne remettrait pas en cause la légitimité d’Israël. En fait, on pourrait même soutenir le contraire : reconnaître un État palestinien dans les frontières de 1967 revient à poser que leurs lignes constituent les frontières d’Israël. Celles-ci incluent Jérusalem-Ouest, qui se trouve ainsi de facto reconnue comme partie intégrante d’Israël – ce que même les meilleurs amis du pays se sont jusqu’ici refusés à faire.[2]

La vérité est qu’aucune dynamique significative destinée à délégitimer Israël n’est à l’œuvre où que ce soit sur terre. On rencontre de petits groupes marginaux, surtout dans les cercles universitaires d’extrême gauche nourris pour une part de propagande arabe, qui mettent en doute le droit d’Israël à exister. Mais aucun pays entretenant des relations diplomatiques avec Israël ne s’est jamais élevé contre la légitimité de son existence, la meilleure preuve en étant l’appartenance d’Israël aux Nations unies.

Le gouvernement israélien a fait de la délégitimation – question qui se situe aux marges bruyantes mais éphémères du discours politique international – un problème méritant d’entrer en ligne de compte. Il a ainsi conféré à une opinion marginale et sans importance un statut hors de proportion avec ses dimensions réelles.

Jusqu’à l’amiral Eliezer Marom, commandant en chef de la marine israélienne – un soldat intrépide mais pas précisément un expert en sciences politiques ou en droit public international -, qui a donné l’alarme quant aux objectifs, visant à délégitimer Israël, de la prochaine flottille à destination de la bande de Gaza. Voilà qui rappelle de bien près les (vaines) figures de rhétorique de la propagande soviétique, pour laquelle la moindre critique de l’URSS était un coup porté contre son droit même à l’existence. De telles allégations relèvent du phantasme : critiquer le blocus naval de Gaza ne revient pas à délégitimer Israël.

Les raisons qui poussent des personnalités politiques de droite à monter en épingle toute critique d’Israël et à en faire un cas de délégitimation sont claires. Pour la plupart, les critiques portent sur la poursuite de la colonisation, pierre angulaire du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, mais qui est très loin de faire l’unanimité dans l’ensemble du spectre politique israélien.

Dans la mesure où cette politique est difficile à défendre à l’étranger, en partie du fait qu’elle est contestée à l’intérieur, quoi de plus commode pour forger un consensus que la lutte contre la délégitimation d’Israël ? Mais cette tentative est imbécile, cynique et périlleuse pour Israël. Car nous légitimons ainsi le discours même qui met en doute le droit à exister de l’Etat nation du peuple juif.

La joute à venir aux Nations unies doit user d’honnêteté, la plupart des Israéliens étant prêts à admettre que seule la voie de la négociation peut aboutir à une solution à deux États. Point n’est besoin d’entraîner les citoyens d’Israël au royaume de la démagogie et du mensonge, ni de jouer l’intimidation.

Le contrôle par Israël du territoire palestinien et sa politique de colonisation sont sujets à critique. Mais c’est là-dessus que porte le débat, non sur la légitimité de l’État d’Israël. Nul ne remet sérieusement cette dernière en question.


NOTES

[1] Litt. “Israël notre foyer”, le parti d’Avigdor Lieberman.

[2] Cette phrase paraît mériter quelques précisions : Même les États-Unis, auxquels Shlomo Avineri fait sans doute allusion au premier rang des « amis d’Israël », ont en effet maintenu leur ambassade à Tel-Aviv, refusant ainsi de reconnaître Jérusalem pour capitale unie et indivisible du seul Israël lorsque la partie orientale de la ville, conquise en 1967, fut officiellement annexée. Ainsi ont-ils à Jérusalem un double consulat général, situé pour moitié dans la partie occidentale et pour moitié dans la partie orientale de la ville, sans que l’appartenance de Jérusalem-Ouest à Israël en soit pour autant remise en cause.