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Yediot Aharonot, 13 mai 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Pour les deux peuples, le 14 mai représente deux choses différentes. Pour Israël, c’est la fête de l’Indépendance. Pour les Palestiniens, c’est la journée de commémoration de la Nakba.

Le 14 mai représente deux choses différentes pour deux peuples différents, c’est peut-être bien là une grande partie du problème. Ni d’un côté ni de l’autre, on n’a envie de montrer de la compassion à l’autre, car les Palestiniens et les Israéliens se sont fait une spécialité de la différence de regard qu’ils portent sur toute chose.

Pour les Israéliens, « fête de l’Indépendance ». Pour les Palestiniens, « Catastrophe ». Deux regards irréconciliables, d’autant que des deux côtés, on utilise toujours l’histoire comme prétexte pour infliger à l’autre davantage de douleur et de souffrance.

Comment les Palestiniens vivent-ils les célébrations israéliennes ? Avec mépris. Ils crachent dessus, comme si les Israéliens célébraient la souffrance palestinienne.

La journée de la Nakba palestinienne, pourtant, est l’occasion de porter un regard sur sa propre souffrance, un peu comme les Juifs ont considéré leur Exil. Bien qu’aucune comparaison ne soit possible, les Palestiniens considèrent leur Nakba comme un événement qui imite la Shoah.

Bien sûr, les Israéliens n’envoient pas les Palestiniens dans les chambres à gaz. Mais ils les poussent dans des réserves qui ressemblent à des prisons. Ils leur prennent beaucoup de terres, leur refusent beaucoup de droits.

Pourtant, ce que font les Israéliens aux Palestiniens n’est pas une excuse pour les Palestiniens. Les Palestiniens ne peuvent pas accuser les Israéliens de toutes leurs souffrances.

Je ne m’attends pas à beaucoup de sympathie de la part des Israéliens. Ils vivent dans l’arrogance quand les choses semblent aller comme ils le souhaitent. Cela est peut-être vrai à court terme, mais sur le long terme, ce qui se passe, c’est que le mouvement palestinien pour l’indépendance, le mouvement laïque capable de compromis, est en train de devenir lentement un mouvement religieux qui ne peut avoir qu’une vision : la défaite d’Israël.

Parvenir à une paix durable semble la meilleure option pour les Israéliens. Ehoud Olmert paraît déterminé à définir les frontières entre les droits des Israéliens et ceux des Palestiniens. S’il le fait de façon raisonnable et équitable – en échangeant des territoires – cela pourrait marcher. Mais s’il se sert de la situation pour s’emparer de davantage de terres, pour « légitimer » les colonies illégales et agrandir Israël en annexant des portions de la Cisjordanie, tout ce qu’il fera, c’est nous préparer un conflit auquel nos enfants devront faire face.

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami »

Peut-être nous faudrait-il penser à l’avenir plutôt qu’au passé quand nous nous souvenons du 14 mai 1948. Peut-être devrions-nous tenter d’imaginer des manières de vivre ensemble.

En tant que Palestinien, j’ai un certain nombre de principes, qui ne me valent aucune approbation, ni chez de nombreux Israéliens ou Juifs, ni chez même chez les Palestiniens ou les Arabes. Cela fait même de moi le punching-ball favori des islamistes, qui s’attaquent à moi de façon aussi vicieuse que les Israéliens conservateurs. Tous deux sont à égalité dans la haine.

D’abord, je pense que la seule réponse à notre conflit, c’est de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour ne jamais laisser s’évanouir la perspective de deux Etats. Un Etat israélien et un Etat palestinien.

Ensuite, nous ne pouvons pas continuer à nous servir de l’Histoire comme d’une réponse aux revendications de chaque côté. Par exemple, les Israéliens font toujours remarquer, avec raison, que les Palestiniens et les Arabes ont rejeté la solution à deux Etats en 1947. C’est exact, mais ils l’ont fait pour des raisons qui ne s’appliquent plus aujourd’hui.

Plutôt que de respecter un changement d’attitude, certains continuent à s’en servir comme d’un obstacle qui empêche d’aller de l’avant. Les Palestiniens souhaitaient un seul Etat pour les trois religions. C’était irréaliste, « grâce », en partie, au Mandat britannique, à l’antisémitisme européen et à la résistance de certains pays, dont les Etats-Unis. Bien que certains Palestiniens aient soutenu les Nazis, rejoignant en cela les Juifs dans la même croyance biblique (l’ennemi de mon ennemi est mon ami), cela est souvent utilisé hors contexte.

« Nous voulons mettre fin à ce conflit »

En même temps, je comprends également la perspective israélienne de l’histoire. Je ne l’aime pas, mais je la comprends et la respecte.

Je pense que les Palestiniens et les Israéliens doivent arrêter de regarder le passé et de s’en servir comme d’un prétexte pour ne pas aller de l’avant. Nous devons être capables d’accepter que nous considérons l’histoire différemment. Si nous n’y arrivons pas, alors la vérité sera qu’aucun des deux côtés ne désire réellement ni la paix, ni le compromis.

Nous devons accepter l’idée que nous avons des visions différentes du passé, mais nous devons partager la même vision du futur. Nous devons regarder le futur, définir une seule réponse à notre conflit, et nous concentrer exclusivement sur cela.

Oui, il difficile de définir cette réponse, mais le problème tient en partie au fait qu’avec tout ce qui s’est passé, même ceux qui veulent être équitables ne peuvent l’être toujours. On devient cupide. On veut toujours plus, et donner moins à l’autre.

Il n’existe qu’une seule réponse pour empêcher le conflit d’empirer et pour, à terme, éliminer toute violence. Cela n’arrivera pas tout de suite. Cela prendra du temps. Cette réponse, c’est deux Etats. Un palestinien, l’autre israélien. Et nous devons être capables de partager Jérusalem. Pas la diviser. La partager. L’Etat palestinien doit être viable. Et, Israéliens et Palestiniens, Juifs et Arabes, nous devons nous confronter à la question des réfugiés, ouvertement, honnêtement, et en montrant du respect pour l’autre.

Beaucoup de Juifs ont fui les pays arabes. Beaucoup de Palestiniens ont fui ce qui est aujourd’hui Israël. Nous n’avons pas besoin d’entamer un débat, perdu d’avance, sur qui a causé quoi à qui. Cela revient à adopter les interprétations binaires et irréconciliables de l’histoire. Il faut tout simplement considérer les réfugiés comme des personnes, reconnaître leurs droits et travailler à résoudre ce problème, et non l’écarter ou nous montrer indifférents.

En réfléchissant à ce que cette solution signifie, cela veut dire qu’au fond, les Israéliens et les Palestiniens veulent la même chose. Nous voulons mettre fin à ce conflit. Nous savons que, des deux côtés, il y a des forces qui ne veulent pas du compromis qui mettrait fin au conflit. Toutes veulent la défaite de l’autre. Cela n’arrivera jamais. Plus tôt nous reconnaîtrons cela, plus tôt nous pourrons trouver des réponses à nos problèmes.

« Le sort des Palestiniens et des Israéliens est indissociable »

Les Israéliens et les Palestiniens ont chacun quelque chose que l’autre n’a pas. Les Israéliens ont le pouvoir de faire ce qui est juste. Ils peuvent imposer un accord de paix qui soit juste, avec ou sans partenaire.

Je pense aussi que les Palestiniens ont le pouvoir de rendre les choses pires ou bien meilleures. Ils peuvent arrêter cette stratégie de l’échec qui consiste à faire plus de mal aux Israéliens que ce que les Israéliens leur font. Les Palestiniens peuvent adopter la non-violence, non en tant que stratégie, mais en tant que manière de vivre.

Récemment, quelqu’un m’a demandé si je pensais que nous nous trouvions dans la deuxième ou dans la troisième Intifada. J’ai répondu que définir le conflit de cette manière était trompeur. En réalité, ce conflit a commencé dans les années 20, et il a connu des périodes de violences plus ou moins grandes. Le vrai conflit n’a jamais été résolu.

Il faut que nous résolvions ce conflit si nous voulons empêcher la violence. Dites-le comme vous voulez, mais le sort des Palestiniens et des Israéliens est indissociable.

En ce jour qui marque l’anniversaire de l’indépendance d’Israël et la commémoration de la Nakba palestinienne, j’espère qu’un jour, nous trouverons une voie pour en finir avec ce conflit et, ainsi, mettre fin aux violences.

Imaginons combien les Palestiniens et les Israéliens pourraient être forts dans ce monde, s’ils pouvaient investir leurs énergies et leurs passions, qu’ils ont énormes, dans le travail en commun plutôt que dans la haine de l’autre.

C’est ce qui me pousse à me lever tous les matins.